Écoutez quand le ciel est clair, avez-vous vu, du rivage, ces points sombres qui tachent la mer embrasée?
Loin, bien loin, si loin que l'œil se fatigue à deviner ce qu'il voit.
Ce sont des iles.
Dans la plus grande de ces îles, le comte Otto a son palais, dont les colonnes sont d'or et de porphyre.
C'est là qu'il verse le sang des enfants et des femmes dans des vases de jaspe et de cristal.
C'est là 1
Pour se défendre, il a la grande mer et l'aide du démon.
II a ses hommes d'armes, sa lance et ses maléfices.
Et
ce-pendant, il sera tué..Allons soleil reviens si tu
veux
IFier-à-Bras avait guetté de l'œil le passage de la nuée. Le
soleil, docHe, inonda la vas!e cuisine cL fiL danser de nouveau la poussière dans ses rais larges et dorés.
Fier-a-Bras
n'était
plus un nain, c~etait un géant.Les bonnes gens du Roz avaient envie de s'agenouiller
autour de lui et de baiser la poussièrede ses sandales usées.
vu
L'ÉGLISE F,T LE CIMETIÈRE }
Fier-à-Bras l'Araignoire était évidemment satisfaitde l'eiTet
!jj
produit par son éloquence. Il avait grand'peine à garder sa r gravité. Des gens moinscomplètement subj uguésquelesbraves -j paysans assis dans la cuisine du Roz auraient découvert, à des
symptômes infaillibles, que la nature espiègle du nain allait bientôt prendrele dessus, et que
tout
ce lyrisme devait finir en comédie.Par
le fait, Fier-à-Bras était en équilibre entre deux fan-taisies.La première le poussait à prolonger cette solennelle épou-vante qui serrait le cœur de son auditoire.La seconde
l'exci-tait
à fairejaillir
brusquementle rire du beau milieu de cette terreur.La chose était malaisée. Mais le nain
n'était
pointmodeste.Eût. il-été nain sans ceia?
La première fantaisie cependant l'emporta. Il préféra le drame à la comédie. Seulement il changea encore une fois de ton et abaissa un peu le vol de son Pégase.
–
Mes amis, poursuivit-ilen prenantcette voix
de contour sans emphase qui n'exclut point le mystère et appellel'inté-rêt, l'Homme de Fer sera tué, devinez
par
qui? V oyons, Jdevinez Personne
ne répond? je vous ai fait peur avec cesoleil? Oh! oh! je sais bien d'autres rubriques! Mais il ne
s'agit ni du soleil ni de moi, ni des relations que nous pouvons avoir ensemble. Parlons du MaudiL
Le comte Otto Béringhcm qui a la barbe bleue sera tué, non point par un tribunal de hauts barons et d'archevêques, commeGilles de Lavai, baron de Raiz;
Non point par les soldats du roi Louis de France;
[
Non point par les hommes d'armes de François de Bretagne;Non point par la lanced'un chevalier;
Non point par la foudre de Dieu tout-puissant
Le comte Otto Béringhem, l'Homme de Fer qui a la barbe bleue périra par la main d'une femme
D'une femme répéta
tout
d'une voix l'assistance, réveillée à ce coup.D'unejeune fille, reprit Fier-à-Bras; et ce n'est pas moi qui le dis.
Je
ne suis pas sorcier, quoique vous en ayez, mes braves gens. Je ne suis non pas plus assez saint pourque Jésus ou la Vierge me révèlel'avenir.
Avez-vous entendu parler d'Enguerrandle Blanc, l'ermite du mont Dol?Si nous avons entendu parler du bienheureux
Engucr-rand s'écria dame Goton.
Femme, retiens
ta
langue fit Mathurin.De quoi Tu m'empêcheras peut-être de dire que c'est
le bienheureux Enguerrandqui a béni mon rosaire 1
Je
dis quetu
ferais mieux d'écouter 1Et
toi, tu ferais mieux de tetaire
1Patience des anges! s'écria Mathurin sans dents en
ser-rant
les poings.J'ai envie.
De quoi? de quoi as-tu envie, l'homme? ripostala bonne femme en prenant sa posturede combat.
–
La Goton, prononça Fier-à-Bras d'unton
sévère, leschapelets que bénit le saint ermite du mont Dol se changent
en couleuvres dans la poche des méchantes femmes 1
Oh
gronda Mathurin, la femme doit avoir une cou-leuvre sous son tablier, alors, pour sûr 1La
paix
Le matin de la Noël dernière, le bienheureuxEnguerrand
était
sur le pas de son ermitage avec sa vache blanche qu'il appelle Alba. L'Hommede Fer chassait à courredans le marais. L'ermite faisait ses oraisons au pied du mont J
DoJ. Une belle petite chevrette grimpa la bruyère et vint se cacher derrière la vache qui broutait à côté du saint homme.
L'ermite étendit la main. Les chiens courants passèrent au
loin, sans plus flairer la trace de la chevrette. a
Mais un cavalier monta tout droit à l'ermitage, un cavalier
à la barbe bouclée, noire avec des reflets bleus comme la t
mer.
j
– Je
suis le comte Otto Béringhem, dit-il, fais retirerta
vache, vieillard, afin que je mette l'épieu dans le ventre de mon gibier.
Tant pis pour toi, si
tu
es le comte Otto Béringhem, j réponditl'ermite; tongibier està moi,puisqu'ilest àl'ombredema croix de pierre. Passe ton chemin, et je prierai Dieu qu'il t'envoie des pensées de pénitence.
L'ogre se prit à rire.
–
Moi, cagot, s'écria-t-il, je prierai le diable qu'il t'envoie Íde bonnes pensées
d'amusette.
Fais retirerta vache
1Comme l'ermite ne répondait point, Otto leva l'épieu qui s'enfonça jusqu'au manche dans les flancs d'Alba, la vache blanche. L'ermite tendit encore la main. L'épieu sortit de la blessureet tomba à terre. Il n'y avait pas une seulegoutte de sang au fer. La vache blanche continuait de brouter; la
che-vrette
s'était
couchée et soumait. JLe comte blasphéma et tira son épée. i
Le saint ouvrit son livre d'évangiles.
L'épée du comte se courba au vent et se balança. EHe s'était j