Mais viens donc, ma mie dit Berthe d'un ton grondeur et affairé;
tu
vois bien qu'ilme faut faire unpeu de toilette 1Javotte
fixa surelle sesgros yeux stupéfaits. '°Mi Jésus 1 murmura-t-elle, nous venons
d'y
passer deux bonnes heures 1– Regarde continuait Berthe cependant regarde si cela J
ne donne pas
compassion
Mon corsagefait unpli m?l gracieux au beau milieu de ma poitrine et ne mettrait-onpas le poing dans ma ceinture?Ah Seigneur 1 Seigneurque
je suisaban-donnée N'as-tu pas honte,
Javotte,
de me laisser aux brasces festons surannés? La modeenétait
sousle feu duc et mesche-veux 1 ne dirait-on pas que
tu
as cru coiffer M"~ ma chèretante?.
Vraiment,moije t'admire,Javottetu
restes là,tu
nedis
rien.
Penses-tuque ce soit à toi queje parle?Ah 1 dame ah 1 dame fit
Javotte
suffoquée; mi Jésus 1faut
pas mentir,qué qui vous a mordue, not' demoiselle?Elle ne savait positivement point d'où lui tombait cette averse de reproches. Son regard courroucé se tourna vers
Jcanniiic. La paLKic Jc~UtUne, triste c.L muette, se tenait auprèsde la croisée.
C'est ce bel oiseau-là, pensa
Javotte,
qui mevrut
cepaquet!
Je
te retrouverai, péronnelle?– Voyons reprit Berthe avec une pétulance croissante, m'entends-tu, oui ou non? Je ne veux pa-s de ce corsage je
ne veux pas de cette ceinture je ne veux pas de ces tresses lourdes et gauchement disposées 1
C'est
bon, c'est bon,tout
a l'heurec'était
superbe[
Je veux.
je veuxêtre jolie
1Toute une chacune souhaite ça assez.
– Silence et à l'ouvrage 1
Ce fut un grave et solennel
quart
d'heure, un vrai coup de feu, oùJavotte
ne semontn
point trop au-dessous de lares-ponsabilité qui pesait sur elle.
t Elle se multiplia, elle se surpassa.
La une taille de Berthe s'assouplit sous un autre corsage;
ses beaux cheveux ondulèrent, prodiguant leurs opulents
reflets.
Jeanninc
était
restée pensive. Il yavait
une larme à sa paupière.Était-ce l'?nvie? oh non Jeanninc n'avait rien de mauvais dans le cœur, mais quand elle interrogeait l'avenir elle n'y découvraitque menaces et tristesses.
Là! s'écria Berthe; viens ça, Jeannine! suis-je belle?
)
Oui, demoiselle Berthe, répondit la jeune fille, qui essaya de sourire; vous êtes bien belle.Tu nous accompagneras, Jeannine?
Non, répondit celle-ci avec un gros soupir, cela m'est impossible.
Je
leveux.
Je
vous en prie, demoiselle, ne me demandez pointcela
Mais Berthe lui prit la
tête
à pleines mains et la baisa gaî-ment en répétant– Je
le veux1
).En ce moment, le pavé de la cour
retentit
sous les pas deschevaux. Berthe perdit sa gaîté. Elle jeta un regard craintif
vers son miroir, et ne se trouva plus assez jolie. <
Mi Jésus
Javotte,
quiétait
un peu physionomiste, craignit un instant d'être obligée de recommencer une troisième fois la toilette de mademoiselle de Maurever. Mais iln'était
plus temps, heureusement pourJavotte.
Berthedescendit au salon, où dame Josèphe de la Croix-Mauduitrecevait messire Aubry et sa suite.Une demi-heure âpres
tout
le mondeétait
en route.Le soleil chaud se cachait derrière les nuages. La cavalcade descendait le chemin de Dol à Pontorson.
C'étaient d'abord deux hommesd'armesde Mnurever, suivis dupage mignonde Berthe, qui se
nommai
Fidèle,tout
commeun petit chien.
Venait ensuite la vieille (.lame Josèphe, montée sur une vieille haqucnée grise, un vieux faucon au poing, un vieil écuyerà la hanchedroite, une plus vieillesuivanteà la hanche gauche.
En troisième lieu, Berthe, Jeannine et Aubry chevauchaient côte à côte Aubry entre deux.
L'arrière-garde
était
composée de Jeannin et de deux vas-saux de Kergariou, équipés en hommes d'armes pour cette grande occasion.Berthe
était
enchantée. Ellen'avait
jamais vu Aubry, son jbeau cousin, si gai et si empressé auprès d'elle; aussi, elle se
disait
Que
j'ai
eu bonne idée de faire une autretoilette
1 jJavotte,
que nous avons eu letort
de ne pas mentionner dans le dénombrement de la cavalcade, se tenait entre sa maîtresse et l'arrière-garde.Elleétait
fort en courroux de voir la petite Jeannine sur la même ligne que mademoiselle deMaurever. v
Elle eût été bien autrement courroucée si elle
avait
pu comprendre pourquoi messire Aubry était aujourd'hui siempressé et de si charmantehumeur.
f Pauvre Berthe avec sa seconde toilette 1 Jeannine allait dans sa simplicité de tous les jours.
Et pourtant,
messire Aubry ne voyait que Jeannine.XVIII
LA CAVALCADE
Et
pauvre Jeannine aussi car elle souffrait cruellement de ce qui peut-être eût fait la joie d'une autre jeune fille. Elle avait accompli son sacrifice sérieusementet résolument. Cette journéerouvrait la plaie vive de son cœur.Il
n'y
avait pas bien longtemps que Jeannines'était
inter-rogée au-dedans de son âme. Il avait fallu pourcela les regards soupçonneux de madame Reine, sa rudesse succédant à la bienveillante affection, ses demi-mots cruels,tout
ce change-ment enfin quis'était
opéré en elle et que Jeanninen'avait
pu manquerde constater.
Jeannine avait pour madame Reine le respect le plus pro-fond, la tendresse la plus dévouée. Elle se demanda un jour pourquoimadame Reine avait ainsi changé.Hélas la réponse ne se fit pas attendre. Aubry
était
filsd'un
chevalier; Aubryétait
héritier de trois domaines; Aubry avait devant luitout
un noble avenir.
Et
le père de Jeanninen'était
qu'un pauvreécuyer.Ne vous étonnez plus si l'espiègle enfant est devenue en si peu de tempsune jeune fille mélancolique et grave.
Le soir mêmede cejour, où sesyeux s'étaient ouverts, Jean-nine avait quitté le manoir.
Dans cette humble boutique de la rue Miracle, où dame
Fanchon 1 .e Priol achevait sa vieillesse, la vogue
était
venueavec Jeannine. Leschalands abondaientdepuis deux semaines.
Nobles dames et bourgeoises accouraient pour voir la bru-nette dont
tout
le mondevantait
le sage maintien et l'incom-parable beauté.La brunette ne songeait guère à ceux ou à celles qui s'occu-paient ainsi d'elle dans la bonne ville de Dol. Elle
s'était
ré-fugiée tout au fond de ses souvenirs.Ne plus vivre qu'aupassé a seizeans c'est trop jeune,
n'est-ce pas?
Souvent, tandis que son aiguille, distraite, piquait la fine toile d'un rabat, autour de la lèvre pâlie vous eussiez vu
co~ime le reflet d'un sourire.
A quoi penses-tu, petite mie? demandaitla Le Priol.
A rien, grand'mèrc.
Elle pensait aux paysages enchantés qui encadrentle cours de la Rance, aux verts coteaux de Châteauneuf, à ce ravin sombre où messire Aubry s'asseyait, au retour de la chasse, sous l'immense châtnignier dont le tronc se fendait.
Une larme furtivc mouillait alors les longs cils noirs de sa paupière.
Qu'as-tu, petite Me demandait encore dame Fanchon
Le Priol.
–
Rien, grand'mcre.Et
quandla Le Priol ajoutaitPetite fille, on
dirait
quetu
pleures?Jeannine répondait effrontément, les yeux
tout
pleins delarmes
Mais non, grand'mère, je ne pleure pas.
Et
refoulanttout
au fond d'elle-même ses pauvres beaux souvenirs d'enfant. Elle pensaitDieu est bon;je mourrai
jeune
1Cependant, la cavalcade suivait le chemin tortueux qui longele rivage.
Bette, prononçaitgravementla
tante
Josèphe en s'adres-sant a sa vieille suivante, M~e Reine de Kergariou estMaurever, fille de feu mon honoré beau-frère, M. Hue, et par conséquent ma
nièce
propre et germaine. Puisqu'elle a prisles devants et que nous la retrouvons à Pontorson, je vous ordonne,Bette,de lui faire par troisfois la révérencede seconde dignité, la révérence de dignité première
étant
réservée au suzerain; vous descendrezde cheval,Bette, et vous tâcherezde vous conduire de telle sorte qu'on dise « Voilà une suivante qui sait son cérémonial. Ehmais
je croisbien
répondra-t-on aussitôt, c'est la suivante de la noble dame Josèphc~
douairière de la Croix-Mauduit. »
Bette s'inclina commeelle le devait.
Approchez, maîtreBiberel, continuala douairière.
Le vieil écuyer s'approcha.
Maître Biberel,
dit
la bonne dame,M'~
Reine de Kergariou est Maurever, fille de feu mon honoré beau-frère,M. Hue, et par conséquent ma nièce propre et germaine. Il paraîtrait, maître Biberel, qu'elle a pris les devants et que nous la retrouveronsà Pontorson.