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Javotte se montra sur le seuil

Dans le document A la plus belle / Paul Féval (Page 142-148)

Mais viens donc, ma mie dit Berthe d'un ton grondeur et affairé;

tu

vois bien qu'ilme faut faire unpeu de toilette 1

Javotte

fixa surelle sesgros yeux stupéfaits.

Mi Jésus 1 murmura-t-elle, nous venons

d'y

passer deux bonnes heures 1

– Regarde continuait Berthe cependant regarde si cela J

ne donne pas

compassion

Mon corsagefait unpli m?l gracieux au beau milieu de ma poitrine et ne mettrait-onpas le poing dans ma ceinture?Ah Seigneur 1 Seigneur

que

je suis

aban-donnée N'as-tu pas honte,

Javotte,

de me laisser aux brasces festons surannés? La modeen

était

sousle feu duc et mes

che-veux 1 ne dirait-on pas que

tu

as cru coiffer M"~ ma chère

tante?.

Vraiment,moije t'admire,Javotte

tu

restes là,

tu

ne

dis

rien.

Penses-tuque ce soit à toi queje parle?

Ah 1 dame ah 1 dame fit

Javotte

suffoquée; mi Jésus 1

faut

pas mentir,qué qui vous a mordue, not' demoiselle?

Elle ne savait positivement point d'où lui tombait cette averse de reproches. Son regard courroucé se tourna vers

Jcanniiic. La paLKic Jc~UtUne, triste c.L muette, se tenait auprèsde la croisée.

C'est ce bel oiseau-là, pensa

Javotte,

qui me

vrut

ce

paquet!

Je

te retrouverai, péronnelle?

Voyons reprit Berthe avec une pétulance croissante, m'entends-tu, oui ou non? Je ne veux pa-s de ce corsage je

ne veux pas de cette ceinture je ne veux pas de ces tresses lourdes et gauchement disposées 1

C'est

bon, c'est bon,

tout

a l'heure

c'était

superbe

[

Je veux.

je veux

être jolie

1

Toute une chacune souhaite ça assez.

Silence et à l'ouvrage 1

Ce fut un grave et solennel

quart

d'heure, un vrai coup de feu,

Javotte

ne se

montn

point trop au-dessous de la

res-ponsabilité qui pesait sur elle.

t Elle se multiplia, elle se surpassa.

La une taille de Berthe s'assouplit sous un autre corsage;

ses beaux cheveux ondulèrent, prodiguant leurs opulents

reflets.

Jeanninc

était

restée pensive. Il y

avait

une larme à sa paupière.

Était-ce l'?nvie? oh non Jeanninc n'avait rien de mauvais dans le cœur, mais quand elle interrogeait l'avenir elle n'y découvraitque menaces et tristesses.

Là! s'écria Berthe; viens ça, Jeannine! suis-je belle?

)

Oui, demoiselle Berthe, répondit la jeune fille, qui essaya de sourire; vous êtes bien belle.

Tu nous accompagneras, Jeannine?

Non, répondit celle-ci avec un gros soupir, cela m'est impossible.

Je

le

veux.

Je

vous en prie, demoiselle, ne me demandez point

cela

Mais Berthe lui prit la

tête

à pleines mains et la baisa gaî-ment en répétant

– Je

le veux

1

).

En ce moment, le pavé de la cour

retentit

sous les pas des

chevaux. Berthe perdit sa gaîté. Elle jeta un regard craintif

vers son miroir, et ne se trouva plus assez jolie. <

Mi Jésus

Javotte,

qui

était

un peu physionomiste, craignit un instant d'être obligée de recommencer une troisième fois la toilette de mademoiselle de Maurever. Mais il

n'était

plus temps, heureusement pour

Javotte.

Berthedescendit au salon, où dame Josèphe de la Croix-Mauduitrecevait messire Aubry et sa suite.

Une demi-heure âpres

tout

le monde

était

en route.

Le soleil chaud se cachait derrière les nuages. La cavalcade descendait le chemin de Dol à Pontorson.

C'étaient d'abord deux hommesd'armesde Mnurever, suivis dupage mignonde Berthe, qui se

nommai

Fidèle,

tout

comme

un petit chien.

Venait ensuite la vieille (.lame Josèphe, montée sur une vieille haqucnée grise, un vieux faucon au poing, un vieil écuyerà la hanchedroite, une plus vieillesuivanteà la hanche gauche.

En troisième lieu, Berthe, Jeannine et Aubry chevauchaient côte à côte Aubry entre deux.

L'arrière-garde

était

composée de Jeannin et de deux vas-saux de Kergariou, équipés en hommes d'armes pour cette grande occasion.

Berthe

était

enchantée. Elle

n'avait

jamais vu Aubry, son j

beau cousin, si gai et si empressé auprès d'elle; aussi, elle se

disait

Que

j'ai

eu bonne idée de faire une autre

toilette

1 j

Javotte,

que nous avons eu le

tort

de ne pas mentionner dans le dénombrement de la cavalcade, se tenait entre sa maîtresse et l'arrière-garde.Elle

était

fort en courroux de voir la petite Jeannine sur la même ligne que mademoiselle de

Maurever. v

Elle eût été bien autrement courroucée si elle

avait

pu comprendre pourquoi messire Aubry était aujourd'hui si

empressé et de si charmantehumeur.

f Pauvre Berthe avec sa seconde toilette 1 Jeannine allait dans sa simplicité de tous les jours.

Et pourtant,

messire Aubry ne voyait que Jeannine.

XVIII

LA CAVALCADE

Et

pauvre Jeannine aussi car elle souffrait cruellement de ce qui peut-être eût fait la joie d'une autre jeune fille. Elle avait accompli son sacrifice sérieusementet résolument. Cette journéerouvrait la plaie vive de son cœur.

Il

n'y

avait pas bien longtemps que Jeannine

s'était

inter-rogée au-dedans de son âme. Il avait fallu pourcela les regards soupçonneux de madame Reine, sa rudesse succédant à la bienveillante affection, ses demi-mots cruels,

tout

ce change-ment enfin qui

s'était

opéré en elle et que Jeannine

n'avait

pu manquerde constater.

Jeannine avait pour madame Reine le respect le plus pro-fond, la tendresse la plus dévouée. Elle se demanda un jour pourquoimadame Reine avait ainsi changé.Hélas la réponse ne se fit pas attendre. Aubry

était

fils

d'un

chevalier; Aubry

était

héritier de trois domaines; Aubry avait devant lui

tout

un noble avenir.

Et

le père de Jeannine

n'était

qu'un pauvreécuyer.

Ne vous étonnez plus si l'espiègle enfant est devenue en si peu de tempsune jeune fille mélancolique et grave.

Le soir mêmede cejour, où sesyeux s'étaient ouverts, Jean-nine avait quitté le manoir.

Dans cette humble boutique de la rue Miracle, où dame

Fanchon 1 .e Priol achevait sa vieillesse, la vogue

était

venue

avec Jeannine. Leschalands abondaientdepuis deux semaines.

Nobles dames et bourgeoises accouraient pour voir la bru-nette dont

tout

le monde

vantait

le sage maintien et l'incom-parable beauté.

La brunette ne songeait guère à ceux ou à celles qui s'occu-paient ainsi d'elle dans la bonne ville de Dol. Elle

s'était

ré-fugiée tout au fond de ses souvenirs.

Ne plus vivre qu'aupassé a seizeans c'est trop jeune,

n'est-ce pas?

Souvent, tandis que son aiguille, distraite, piquait la fine toile d'un rabat, autour de la lèvre pâlie vous eussiez vu

co~ime le reflet d'un sourire.

A quoi penses-tu, petite mie? demandaitla Le Priol.

A rien, grand'mèrc.

Elle pensait aux paysages enchantés qui encadrentle cours de la Rance, aux verts coteaux de Châteauneuf, à ce ravin sombre où messire Aubry s'asseyait, au retour de la chasse, sous l'immense châtnignier dont le tronc se fendait.

Une larme furtivc mouillait alors les longs cils noirs de sa paupière.

Qu'as-tu, petite Me demandait encore dame Fanchon

Le Priol.

Rien, grand'mcre.

Et

quandla Le Priol ajoutait

Petite fille, on

dirait

que

tu

pleures?

Jeannine répondait effrontément, les yeux

tout

pleins de

larmes

Mais non, grand'mère, je ne pleure pas.

Et

refoulant

tout

au fond d'elle-même ses pauvres beaux souvenirs d'enfant. Elle pensait

Dieu est bon;je mourrai

jeune

1

Cependant, la cavalcade suivait le chemin tortueux qui longele rivage.

Bette, prononçaitgravementla

tante

Josèphe en s'adres-sant a sa vieille suivante, M~e Reine de Kergariou est

Maurever, fille de feu mon honoré beau-frère, M. Hue, et par conséquent ma

nièce

propre et germaine. Puisqu'elle a pris

les devants et que nous la retrouvons à Pontorson, je vous ordonne,Bette,de lui faire par troisfois la révérencede seconde dignité, la révérence de dignité première

étant

réservée au suzerain; vous descendrezde cheval,Bette, et vous tâcherezde vous conduire de telle sorte qu'on dise « Voilà une suivante qui sait son cérémonial. Eh

mais

je crois

bien

répondra-t-on aussitôt, c'est la suivante de la noble dame Josèphc~

douairière de la Croix-Mauduit. »

Bette s'inclina commeelle le devait.

Approchez, maîtreBiberel, continuala douairière.

Le vieil écuyer s'approcha.

Maître Biberel,

dit

la bonne dame,

M'~

Reine de Kergariou est Maurever, fille de feu mon honoré beau-frère,

M. Hue, et par conséquent ma nièce propre et germaine. Il paraîtrait, maître Biberel, qu'elle a pris les devants et que nous la retrouveronsà Pontorson.

Je

vous ordonne de lui pré-senter le triple honneur de dignité seconde, l'honneur ou hommage de dignité première

étant

réservé au suzerain. Vous lui tiendrez i'étrier, maître Biberel, et vous tâcherez de faire en telle sorte qu'on dise alentour « Voilà un homme d'armes

Dans le document A la plus belle / Paul Féval (Page 142-148)