– Aïe mon compère1 s'écria le moine; une affaire
d'Ëtat
menée par le Dain le barbier 1 ça doit être noir comme sac à
charbon
Je
ne suis pas encore descendu plus bas que l'église depuisl'arrivéedu roi de France au monastère, car mes pauvresjambes n'en veulent plus, mais
j'ai
ouï dire que cet Olivier le Dain était l'âme damnée de son maître.–
Si vous connaissiez le roi, mon bonfrère.
commençaPierre Gillot.
Je
le connais de renommée, moncompère.
Écoutez, interrompit Gillot; le prieur m'a afïïrmé que vous étiez un hommede grandsens et de bon
conseil.
C'est donc pour me tenir en humilité chrétienne que le prieurme dit toujoursà moi queje suis un vieuxfou 1
Le tempsme presseet monmaître m'attend. Avecvousje ne veux pas aller par quatre chemins; je suis venu parce queje sais que vous avez d'anciennes relations d'amitiéavecce Jean-nin dontvous avez prononcéle
nom.
Jeannin des Quatre-Salines?
Jeannin l'homme d'armes,qui sera chevalier demain, si
vous voulez.
Merci Dieu1 s'écria le moine, si jele veux 1 Jeanninest la
meilleure lance du monde entier, mou compère1 et son cœui'
vaut
dix fois mieux que sa lancemais.
Il s'arrêta et regarda pour la secondefois en face son mysté-rieux visiteur.
Mais depuis quand, acheva-t-il, les valets de barbier, mon compère Gillot, de Tours en Touraine, peuvent-ils confé-rerle noble ordre de chevalerie?
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CHARLES ET ANNE
C'est uniquement parce que Pierre Gillot,de Tours en Tou-raine,
était
valet de barbier que nous avons mis une sorte de négligence à peindre sa personne. Pourquoi faire unportrait
en pied d'un si pauvre hère, quand les pages de ce livre four-millent de noms nobles? quandnous aurons sans doute à nous occuper de son illustre maître. Olivier le Dain, comte de Mcu-Ion? et même du maîtred'Olivierle Dain, Louisde l'rance2
Il est bien vrai que
l'art
ne tient pas compte des grades.Callot, misen faced'unearmée,négligele généralpourdessiner l'humble goujat, dont les loques se drapent mieux sous le crayon.
Charlet, l'Appelles de notre Olympe soldatesque, ne quitte
le caporal que pour la cantinière, et la cantinière que pour le conscrit.
Nonobstant ces exemples, nous sommes bien résolus à ne
point vous dire combien de rides Pierre Gillot avait sous l'œil droit quand son sourire félin et un peu sournois éclairait son bilieux visages. Nous vous tairons cette circonstance qu'il croisait volontiers ses jambes l'une sur l'autre, alors qu'il
était
assis. Nous ne vous apprendronsmêmepas que, devançantles âges, il
tournait
ses pouces bellement comme nos oncles pau-drés, amis de l'Encyclopédie et guillotinéspar elle.Et
pourtant P.erre Gillotn'était
pas le premier venu. Mais nous aurons vous reparler de lui.A cette question du bon frère convers « Depuis quand les
valets de barbierconfèrent-ilsle noble ordre de la
chevalerie?
»Pierre Gillot baissa les yeux et frotta du revers de sa manche une tache qu'il avait à ses chausses.
Avez-vous vu les chats lisser leurs poils quandva tomberla pluie?
Frère Bruno le regardait en homme qui vL'nt de frapper un grand coup.
Kh eh mon digne frère, murmura Gitiot tout doucement, vousdeve7être un peu clerc, puisque vous portez le froc depuiss longtemps. Voici une anecdote que vous avec pu lire dans l'historien Troque Pompée, abrégé par Justin Philippe, roi de Macédoine, père d'Atcxandrc le Grand avait un ministre qui avait une femme, qui avait un cousin, qui avait un joueur
de flûte, qui avait un chien. Le chien devait avoir un
philo-sophe, mais l'histoire garde
le
silence a cet égard. Un Illyrien, qui s'appelait Philopator ou Phnomctor, suivant qu'il avait empoisonnéson père ou sa mère,eut la fantaisie de gouverner une ville deCappadocc.
A qui pensez-vousqu'il s'adressa?Au roi? répondit frère Hruno.
Non pas.
Au ministre?
–
Du LouL–
A la dame?Point.
Au cousin alors?
Pas davantage.
–
J'entends, il alla au joueurde {lûte.– Vous
n'y êtes pas encore, mon frère il alla au chien, après s'être muni d'un bon morceau de viande qu'il lui ofl'rit avec respect. Lejoueur de Hûte était fou de son chien, le cousin écoutait le joueur de flûte, la dame avait confiance dans le cousin,le ministreaimailla
dame, le roi détestait le ministrel'Illyrien,de fil en aiguille, eut son gouvernement.
– Ah par
exemple
s'écriale frèreBruno, voilà une bonne aventure Vou!cz-vous me la redirepourque je puisse la conter couramment?Pierre Gillot répéta son anecdote avec une parfaite obli-geance.
Et
la date? demanda le moine; car j'aime à dire C'était enl'an.
–
C'était
en l'an 340 avant Jésus-Christ, mon frère.– En
l'an 340 avant Notre-Seigneur, grommela Bruno, qui faisait son travail mnémotechnique FiIIot-Patte-d'or d'Arménie qui achète de la viande au lévrier du joueur de vielle du cousin de la femme du ministre de Philippe, père d'Alexandre leGrand.
Est-ce bience!a?–
Parfaitement.– Le
chien devait avoirun nom? Et le joueur de musique aussi? c'est éga!, ma foi, compère, vous êtes un camarade de joyeux déduit, et je serai bien aise de vous rendre service.C'est donc de mon ami Jeanninque vous~vez bcsom?
– Pas
moi, mais me~ moi! maîh'c.–
Alors
que signifiel'histoiredu levrier?Pasqucs-Dicu
murmura
Pierre Giliot, voici un vieuxretors L'histoiredu chien, mon frère, vientcommeil faut, en
ce sens queJeanninaura affaireà moi.
– Et
que lui direz-vous?–
Mon frère,il y a de riches et nobles héritières à la cour de France;ce Jeanninest-ilmarié–
Il
est veuf.-–
Sans enfants?–
H a une fille belle commeles arnours.–
A la cour du roi deFrance
mon frère, il y a de nobleset ¡ richesjouvenceaux.J'entends
bien, mon compère, mais ce que je veuxsavoir.
–
C'est
le secretd'État,
n'est-ce pas?–
Juste
Pierre Gillot rapprocha son siège. Il euL fallu êtreplus expert
que le frère Bruno pour découvrir le travail soudain et rapide qui sefaisait dansla têtedecet homme.Son visagene changeait point. Sa parole restait douceet tranquille.
Aimez-vous les Anglais demanda-t-il en fixant sur le moineses regards subitementrelevés.
Le moinecrut le voirpour la premièrefois.