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Quadriphonie du roman hétérolingue du XIX e siècle

CHAPITRE II HÉTÉROLINGUISME LITTÉRAIRE AU QUÉBEC

II.6. Tétraglossie d’Henri Gobard

II.6.2. Quadriphonie du roman hétérolingue du XIX e siècle

Dans la conclusion de son ouvrage Des langues qui résonnent, Rainier Grutman affirme que l’hétérolinguisme dans le roman québécois du XIXe siècle se présente sous la forme « [du]

bilinguisme, [de] la tétraglossie et [de] la diglossie » (Grutman, 1997 : 184, les italiques viennent de Grutman). Le premier phénomène de contact de langues concerne la pratique langagière de l’individu, tandis que les deux autres se développent au sein de la société. Par contre, selon le chercheur, la seule présence « du latin […], de l’anglais et du parler local, dans un texte en français standard, ne suffit pas pour parler de tétraglossie à la Gobard » (Ibid. : 186). Ceci indique que la textualisation des langues étrangères ne présente pas obligatoirement la « quadripartition exhaustive en langages vernaculaire, véhiculaire, référentiaire et mythique » (Gobard, 1976 : 39) au sein d’une société. Pour pouvoir étudier la dimension sociale de la tétraglossie dans une œuvre littéraire, Rainier Grutman établit un classement hiérarchique des langages, qu’il propose d’appeler la quadriphonie (Grutman, 1997 : 187, les italiques

135 Le tableau de la tétraglossie appliquée à l’analyse synchronique et à l’analyse diachronique est recueilli dans

l’ouvrage d’Henri Gobard, op. cit., p. 39.

136 Henri Gobard fait référence à la fondation de l’Institut de Recherches Sociolinguistiques de Paris. Il

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viennent de Grutman). Il la conçoit à partir du corpus littéraire québécois du XIXe siècle. La

quadriphonie permet de faire « ressortir les contrastes entre des idiomes hiérarchisés en fonction de leur rôle dans l’économie textuelle » (Ibid. : 187). Nous rapportons la quadriphonie étudiée par Grutman :

• le parler québécois est le parler natal et joue la fonction de langage vernaculaire ; • l’anglais britannique est la langue de culture et joue la fonction de langage véhiculaire ; • le français de France est la langue du sujet des œuvres et joue la fonction de langage

référentiaire ;

• le latin de l’église est la langue de la solidarité et joue la fonction de langage mythique (Ibid. : 191-192).

Rainier Grutman estime que « le répertoire quadriphonique [représente] la collectivité québécoise cultivée par ceux qui avaient accès aux moyens de production littéraire » (Ibid. : 191). Le recours aux registres et aux variétés de langue relevant de « deux cultures de référence du monde moderne » permet de faire comprendre au lecteur du XIXe siècle « qu’il se trouve devant une page de

Littérature » (Ibid.). Par ailleurs, l’immense intertextualité du roman québécois hétérolingue avec les littératures, aussi bien américaine qu’européenne, nous conforte dans l’idée qu’il s’adresse à un lecteur cultivé et sensible à la dimension audible de la langue.

De son côté, Chantal Richard explique que la théorie de la tétraglossie n’est pas conforme à ses objectifs de recherche :

Si le modèle tétraglossique d’Henri Gobard pouvait encore être appliqué au XIXe siècle, il paraît

lacunaire devant la grande hétérogénéité des textes de la fin du XXe siècle. On ne peut parler de

diglossie ou de polyglossie que lorsqu’il y a une répartition fonctionnelle des langues ou registres de langues dans la société ; tel n’est plus le cas dans les textes littéraires contemporains dans lesquels chaque auteur organise de sa façon les langues en jeu. L’organisation interne des œuvres ne se trouve donc pas dans la répartition des langues, mais dans les formes et fonctions des changements de langues. (Richard, 2004 : 16-17)

Ceci indique que la chercheuse étudie les alternances codiques pour déterminer les formes et les fonctions de l’hétérolinguisme littéraire. Rappelons qu’elle parvient à établir la typologie de l’hétérolinguisme grâce au paramétrage de la grille d’analyse. Pour notre part, l’accent sera mis sur la capacité de la langue de transmettre le savoir, d’exprimer le point de vue et de créer la conception du monde des personnages littéraires. En effet, les protagonistes et leur pratique langagière sont au centre de notre recherche. Puisque nos objectifs de recherche sont différents de ceux de Chantal Richard, nous trouvons pertinent d’appliquer le modèle tétraglossique à l’étude de notre corpus romanesque.

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Cette classification s’avère efficace pour analyser la formation de la Weltanschauung des protagonistes provenant de certaines communautés culturelles de Montréal.

II.7. Conclusion partielle

Selon Chantal Richard, aucun roman ne répondrait à un type d’hétérolinguisme pur, parce que l’écriture hétérolingue se caractérise à la fois par le mimétisme, par la parodie et par la création. La chercheuse conçoit un modèle pyramidal de l’écriture hétérolingue pour montrer que :

[l]e mimétisme est toujours présent dans les romans, il forme donc la base de la pyramide ; l’hétérolinguisme parodique est construit sur le mimétisme, mais en le parodiant, et l’hétérolinguisme créateur contient des éléments de deux autres catégories, tout en insistant davantage sur la dimension créatrice des contacts de langues. (Ibid. : 307)

Chaque type de l’écriture hétérolingue se manifesterait par des effets dominants : au niveau mimétique ce seraient les effets de réel, au niveau créateur les effets d’œuvre, et au niveau parodique ces deux effets seraient plus au moins égaux.

Conformément aux résultats de recherche de Chantal Richard, nous postulons qu’il serait incongru de fixer Hadassa, Côte-des-Nègres, Le Fou d’Omar et La Logeuse dans un type d’écriture hétérolingue unique. Par conséquent, nous menons une recherche qui favorise l’examen de la plus grande diversité de phénomènes linguistiques. Rappelons que notre objectif principal est de saisir le lien entre l’hétérolinguisme et la pratique langagière des personnages littéraires.

Résumons notre démarche méthodologique permettant d’atteindre cet objectif. Selon Henri Gobard, la conception du monde, la Weltanschauung, se transmet dans une langue. Cependant, dans le cadre de l’analyse que nous effectuons, nous procédons par induction, parce que nous partons de la pratique langagière des protagonistes pour décrypter leur conception du monde.

Ensuite, nous considérons la présence des registres et des variétés de langue comme s’ils intervenaient dans la diégèse au même titre que les personnages littéraires. Afin d’estimer le rôle d’un registre et d’une variété de langue dans leur pratique langagière, nous empruntons à Boris Tomachevski les notions de « motif libre » et de « motif associé ». Ainsi, chaque registre et chaque variété de langue équivaut à un motif. En fonction de son importance dans la pratique langagière du personnage, nous attribuons à un registre et à une variété de langue une valeur associée ou une valeur libre.

Entre autres, nous faisons l’hypothèse que chaque registre et chaque variété de langue est connoté d’une certaine manière pour le personnage littéraire, qu’il lui sert pour exprimer un contenu

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spécifique. Lorsqu’une langue ou une variété de langue n’enrichit pas la conception du monde du personnage littéraire ou sa pratique langagière, elle a une valeur dénotative. Lorsqu’une langue ou une variété de langue enrichit considérablement la conception du monde du personnage littéraire ou sa pratique langagière, elle a une valeur connotative.

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