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CHAPITRE I PROLÉGOMÈNES À L’ANALYSE DIÉGÉTIQUE

I. 1.3.1.1 Nom propre du personnage

I.1.4. Focalisation

Dans Nouveau discours du récit, Gérard Genette définit la focalisation comme « une restriction de “champs”, c’est-à-dire en fait une sélection de l’information narrative par rapport à ce que la tradition nommait l’omniscience […]. L’instrument de cette (éventuelle) sélection est un foyer situé, c’est-à-dire une sorte de goulot d’information, qui n’en laisse passer que ce qu’autorise sa situation […] » (Genette, 1983 : 49). Autrement dit, la focalisation constitue le mode d’accès au monde raconté, qui est limité ou pas par un point de vue particulier. Il y a trois types de focalisation : zéro, interne et externe.

La focalisation zéro ou une vision par-derrière – la perspective passe par un narrateur qui sait plus que les personnages. C’est un narrateur omniscient qui pénètre dans les plus intimes pensées des personnages et dans leur inconscient (N > P).

La focalisation interne ou une vision avec – la perspective passe par le personnage et coïncide avec sa conscience (N = P). Si le narrateur relate uniquement ce que le personnage sait, voit et ressent, c’est une focalisation interne fixe. Lorsqu’il raconte successivement les évènements de plusieurs personnages, c’est une focalisation interne variable. Lorsqu’il raconte le même évènement selon les points de vue de personnages différents, c’est une focalisation interne multiple. La conscience du personnage contribue à la matérialisation du monde représenté.

37 Remarquons que ce procédé de singularisation semble se rapprocher du procédé différentiel que Philippe

Hamon qualifie de commentaire explicite. Ce dernier « indique dans le récit le statut des personnages en recourant à un ensemble d’évaluations internes (“notre héros”, “le traître”…) » (Glaudes, Reuter, 1998 : 52).

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La focalisation externe – la perspective passe par une vision du dehors. C’est un point de vue limité aux perceptions visuelles (parfois auditives) et le narrateur en sait moins que les personnages (N < P). Elle consiste à situer le foyer focal en un point indéterminé de la diégèse, sans l’identifier avec la conscience d’un personnage. Les récits à la focalisation externe sont riches en les dialogues. Le narrateur n’a pas accès à la conscience du personnage.

I.1.4.1. Lien entre la focalisation et la diégèse

La focalisation interne doit répondre à deux critères :

• au sens diégétique, « la focalisation est interne parce que le point focal est situé à l’intérieur de la diégèse : quelque chose est perçu dans l’univers de l’histoire »38. Dans ce cas-là, la

focalisation interne s’oppose à la focalisation zéro ;

• au sens psychologique, « la focalisation est interne parce que nous accédons à l’information depuis l’intérieur d’une conscience » (Ibid.). Autrement dit, la focalisation interne s’oppose à la focalisation externe, « où un point de vue est bien situé dans l’histoire, mais sans coïncider avec la conscience, l’intériorité d’un personnage » (Ibid.).

Au sens diégétique, la focalisation interne ne s’oppose pas à la focalisation externe car les deux se trouvent à l’intérieur de la diégèse. Dans la focalisation externe, le lecteur se trouve devant « un point de l’univers diégétique, qui […] est étrangement démuni de toute aptitude psychologique » (Ibid. : III.2.). Le foyer de perception se limite à décrire des phénomènes, des objets ou des personnages du point de vue extérieur uniquement, il ne les interprète pas.

Selon Gérard Genette, la focalisation zéro peut se manifester de deux manières : la non- focalisation et la multifocalisation :

• la non-focalisation, l’absence d’un point de vue spécifié – limité à la conscience d’un personnage ou à un observateur anonyme.

• la multifocalisation, le narrateur laisse le lecteur accéder aux pensées conscientes et inconscientes de plusieurs personnages. Selon Genette, cela témoigne d’une omniscience du narrateur :

38 Jean Kaempfer et Filippo Zanghi, « La perspective narrative », 2003.

Consulté dans http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/pnarrative/pnintegr.html, le 13 février 2015.

Étant donné que cet article est sous forme électronique et sa pagination n’existe pas, les citations et les renvois sont suivis par l’indication d’un endroit précis de l’article. Voici une référence complète : Kaempfer et Zanghi, 2003 : II.1.2.

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En somme, tandis que la focalisation interne variable a plutôt pour effet de limiter, de fragmenter l’accès au monde raconté en plusieurs points de vue, focalisation zéro, même lorsqu’elle multiplie les points de vue, permet au contraire, de donner le sentiment d’une vue complète sur l’histoire. Mais elle ne peut le faire que dans la mesure où elle résulte, au fond, d’une combinaison de plusieurs modalités narratives : omniscience, multifocalisation, interventions explicites du narrateur. (Ibid. : IV.2.)

Gérard Genette observe que les changements de focalisation interviennent dans la plupart des récits. Les altérations de la perspective peuvent être interprétées « comme une infraction momentanée au code qui régit [un contexte cohérent – A.H.T.], sans que l’existence de ce code soit pour autant mise en question » (Genette, 1972 : 211). Si plusieurs types de focalisation sont adoptés dans un récit, les altérations interviennent de deux manières :

• la paralipse « consiste à donner moins d’informations qu’il n’est en principe nécessaire ». C’est l’omission (l’ellipse) latérale que Genette situe au cœur de l’analepse interne homodiégétique (Ibid.) ;

• la paralepse « consiste à en donner plus qu’il n’est en principe autorisé dans le code de focalisation qui régit l’ensemble » (Ibid.).

Concernant l’étymologie de ces deux termes, Gérard Genette puise dans la langue grecque et dans le préfixe -lipse (λείπω, leipo), qui veut dire être absent. Il s’agit de « laisser une information que l’on devrait prendre (et donner) » (Ibid. : 211-212). Par la suite, la paralepse est un néologisme inspiré du grec parce que le préfixe -lepse (λαμβάνω, lamvano) veut dire recevoir. Il s’agit de « prendre et donner une information que l’on devrait laisser » (Ibid. : 211-212).

La paralipse classique a lieu en focalisation interne lorsqu’une action ou une pensée importante du personnage focal est omise. En effet, « ni héros ni le narrateur ne peuvent ignorer, mais que le narrateur choisi de dissimuler au lecteur » (Ibid. : 212).

I.1.4.2. Personnage focalisé et personnage focalisateur

Selon Gérard Genette, pour analyser la focalisation interne, il faut poser la question de savoir qui perçoit : « où est le foyer de perception ? – ce foyer pouvant ou non s’incarner en un personnage » (Genette, 1983 : 43). L’objectif de la focalisation est de répondre à la question « qui voit ? », celui de la « perspective narrative » et du « point de vue » est la réponse à la question « qui raconte ? »(DTL, « focalisation » : 205). Pour éviter une éventuelle confusion que le narrateur reproduit la vision d’un personnage focalisateur (Ibid.), il faut établir l’importance du personnage et de sa « visibilité » dans le récit en posant quelques questions :

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• est-il le narrateur, et si c’est le cas, est-il homo- ou autodiégétique ;

• joue-t-il le rôle de focalisateur : occupe-t-il la place de celui dont le point de vue oriente la perception du lecteur, qu’il soit ou non le narrateur de l’histoire ;

• est-il le personnage focalisé-narrativisé de façon dominante, c’est-à-dire celui de qui l’on parle le plus et/ou que l’on suit le plus dans l’histoire ? (Glaudes et Reuter, 1998 : 54-55)

Autrement dit, la relation entre la focalisation et le personnage littéraire se manifeste dans la séparation du sujet et de l’objet de la perception. En focalisation interne (N=P), le personnage est un objet focalisé, il est celui qui est perçu ; il n’est jamais décrit ni même désigné de l’extérieur, ses pensées ou ses perceptions ne sont jamais analysées par le narrateur. En focalisation externe (N<P), le personnage est un sujet focalisateur, il est celui qui perçoit.

Notre attention est particulièrement centrée sur les procédés permettant d’analyser le personnage romanesque au niveau de la narration. L’analyse de la focalisation apporte de nouveaux éléments pour établir la hiérarchie des personnages. Ainsi, l’étude de la focalisation permet de distinguer si un personnage est un objet focalisé, il est un personnage secondaire ; si un personnage est focalisateur, il est un personnage principal, le héros. Nous faisons l’hypothèse que le type de focalisation pourrait révéler le statut du personnage. Par exemple, dans La Logeuse, Rosa Ost est au début le personnage focalisé et après s’être installée à Montréal, elle devient le personnage focalisateur.