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Les publications collectives et la parution de manuels viennent renforcer le sentiment de spécialité sociologique. La revue Sociological Inquiry serait la première à avoir proposé un numéro spécial – et double – sur la sociologie de l’environnement, en 19838. Les ouvrages de Schnaiberg (The Environment. From surplus to scarcity, 1980) et Humphrey et Buttel (Environment, Energy, and Society, 1982) sont venus rapidement baliser le domaine aux Etats-Unis (Dunlap, [1997] 2002 : 24). L’ouvrage collectif dirigé par Mehta & Ouellet (1995) est présenté, dans son quatrième de couverture, comme « le premier livre définissant, intégrant et synthétisant les diverses perspectives théoriques dans le champ de la sociologie de l’environnement (environmental sociology) ». Les directeurs de l’ouvrage préfèrent écrire qu’il n’est que le premier ouvrage collectif (textbook) canadien de ce domaine (Mehta & Ouellet, 1995 : vi).

Dans cet ouvrage, quoi qu’il en soit, les premières contribution indiquent clairement l’effort de structuration que réalise lui-même ce domaine. Par exemple, Tindball (1995) évalue la cohérence du paradigme du domaine et Moore (1995) s’interroge sur la possibilité d’un théorie sociale verte (green social theory). Mais c’est surtout Vaillancourt (1995a9) et D. E. Hughes (1995), qui proposent une réflexion particulièrement audacieuse. Le premier retrace l’histoire du domaine et plonge ses racines dans l’écologie humaine : ceci donne une force historique au domaine et permet de faire référence à des théories que l’on ne peut pas critiquer – à moins de se permettre de relire l’histoire de la sociologie. Hughes use d’un autre détour : plutôt que de tester la cohérence de la sociologie de l’environnement comme domaine sociologique, elle s’interroge sur la possibilité de cette sociologie d’être un champ de recherche distinct de la sociologie elle-même. Concluant sur l’impossibilité de cette dernière

7 Dunlap revient souvent sur la création de ces différents groupes de recherche : le lecteur pourra consulter

Dunlap ([1997] 2002) et Dunlap (2002) pour des rétrospectives 20 et 25 ans plus tard.

8 Hannigan, 1995a, repris par Tindball, 1995 : 34. Les auteurs ne donnent pas de précision concernant la date de

parution. Nos propres recherches ont trouvé le numéro 53 d’avril 1983 (cf. Dunlap & Catton, 1983, pour une présentation du numéro).

éventualité, elle affirme alors que l’orthodoxie et la diversité interne de ce domaine ne lui permettent pas de remettre en cause le fonctionnement de sa discipline mère, et que la sociologie de l’environnement demeure – simplement – un champ de recherche sociologique, « une noble place pour débuter [dans l’analyse sociale de la thématique environnementale] » (Hughes, 1995 : 77).

Plusieurs ouvrages revendiquant le titre de « manuel » ont paru dans les années 1990. Burningham (1997) propose dans un seul et même compte rendu de rassembler le Mehta & Ouellet (1995) avec un ouvrage écrit par Hannigan (1995) et un second ouvrage collectif, co- dirigé par Lash, Szerszynski & Wynne (1996). Ce sont bien trois approches différentes qui se fondent en une seule perspective dans ce compte rendu : bien que Burningham n’ait ni le recul – ni la place – pour exposer ce qui justifie l’association de ces ouvrages dans ce compte rendu, sa manière de traiter chacun des ouvrages est révélatrice. D’un côté elle salue le travail de présentation théorique de Vaillancourt (1995a) dans Mehta & Ouellet, qui inscrit la sociologie de l’environnement dans une histoire de la sociologie, mais elle reproche à l’ouvrage de confiner la sociologie de l’environnement dans un domaine marginal de la sociologie. De l’autre, elle admet que les contributions rassemblées par Lash, Szerszynski & Wynne (1996) ne se limitent pas à la sociologie de l’environnement, mais qu’elles permettent de faire de l’environnement un objet central de la sociologie contemporaine voire de la modernité. Entre ces deux études, l’ouvrage d’Hannigan (1995) est présenté comme s’inscrivant clairement dans la sociologie de l’environnement, tout en élargissant les thèmes classiques de ce domaine via son insistance sur l’approche constructiviste dans ce domaine.

L’ouvrage d’Hannigan apparaît ainsi, à travers le compte rendu de Burningham, comme un ouvrage conciliateur des deux pôles représentés par Mehta & Ouellet (1995) et Lash et al. (1996) : Hannigan reprend à la fois les fondements historiques et les thématiques contemporaines de l’approche sociologique de l’environnement. L’intérêt porté à Durkheim, Marx, ou plus sûrement encore à l’écologie humaine vise, tout comme chez Vaillancourt, à inscrire la sociologie de l’environnement dans la sociologie générale. Le détail des thématiques proposées ensuite permet de montrer la contribution actuelle de ce domaine sociologique pour le traitement de sujets contemporains, notamment l’analyse du rôle des sciences et des médias dans la construction des problèmes environnementaux, ou l’étude de la biodiversité comme « la ‘carrière’ à succès d’un objet environnemental global » (Hannigan, 1995 : chap. 9).

Par contre, l’ouvrage collectif dirigé par Lash et al. (1996) pêcherait par une trop large ouverture : ce n’est plus l’environnement mais la modernité, la post-modernité et le risque qui sont au cœur de l’ouvrage. Ce ne peut donc être la sociologie de l’environnement qui domine l’ouvrage, mais une sociologie générale, moins thématisée et davantage personnalisée : les contributions sont orientées vers une discussion des travaux de Beck et, à moindre échelle, de Giddens, et demeurent des contributions théoriques (Burningham, 1997 : 711). Les directeurs de l’ouvrage ne se situent d’ailleurs pas dans un domaine sociologique spécifique – ni même ne se limitent à la sociologie – mais proposent une réflexion sur les thématiques environnementales à l’ordre du jour (environmental agenda) (Lash et al., 1996 : 25, repris par Burningham, 1997 :710).

L’environnement doit-il avoir une place centrale dans la sociologie contemporaine générale, ou doit-il rester confiné dans un champ spécifique de la discipline mère ? C’est cette question qui conclue l’analyse des trois ouvrages. Selon Burningham, mieux vaut prendre le parti de Lash et al. (1996), celui d’une discussion ouverte sur l’environnement. Pourtant, une telle réflexion ne semble possible que si elle s’appuie sur une base solide, comme celle établie par Vaillancourt ou Hannigan. Cette difficile prise de position est au cœur de la majorité des manuels : précisément, les ouvrages qui s’intitulent « manuels de sociologie de l’environnement » paraissent opter pour le choix du domaine spécifique, quand d’autres préfèrent laisser ouvert le lien entre environnement et pensée sociologique, comme pour Lash

et al. (1996).

Ainsi, dans le cas des manuels on peut référencer, outre Metha & Ouellet (1995), Redclift & Woodgate (The International handbook of environmental sociology, [1997] 2000) ainsi que Dunlap et Michelson (Handbook of environmental sociology, 2001), et peut-être M. Bell (An invitation to environmental sociology, [1998] 2004). Dans le cas du lien ‘ouvert’ entre sociologie et environnement, en plus de Lash et al. (1996) on peut citer Redclift & Benton (Social theory and the global environment, [1994] 1997), Irwin (Sociology and the

environment, 2001), ou Dunlap et al. (Social theory and the environment, 2002). Cette liste

permet de montrer que la sociologie de l’environnement est non seulement un domaine sociologique spécifique, avec ses réseaux et ses manuels, et dans le même temps elle est aussi une réflexion plus générale sur la place de l’environnement dans les sociétés contemporaines, réflexion qui ne veut pas se contraindre, se limiter à un domaine sociologique académique. Ce sont donc deux forces contradictoires qui structurent la sociologie de l’environnement : la première organise et limite le domaine en l’inscrivant dans des associations de chercheur et

dans des manuels, la seconde ouvre les perspectives de ce domaine, préférant même nier une sociologie de l’environnement stricte, i.e. limitée aux seuls réseaux de chercheurs et manuels, pour discuter des liens entre environnement et société dans un cadre plus général.

Parler de forces paradoxales ou contradictoires peut toutefois prêter à confusion. Du point de vue de l’épistémologie proposée par Lakatos, on peut dire qu’il s’agit de forces complémentaires. Les réseaux et manuels produiraient ce que Lakatos appelle le noyau paradigmatique, les recherchent ouvertes chevaucheraient l’heuristique productive, et un ensemble de travaux, dont celui d’Hannigan si l’on garde l’exemple de Burningham, assurerait le rôle de ceinture protectrice (cf. Lakatos, 1984, 1994).

Pour terminer sur les publications, il faut remarquer avec Dunlap ([1997] 2002 : 28) que la plupart des ouvrages parus en anglais ne sont plus le seul fait des sociologues étasuniens. Les canadiens (Murphy, 1994, 1997 ; Metha & Ouellet, 1995, Hannigan, 1995, 2006), mais également les européens comme les anglais Yearley (1991, 1996, 2005) et Dickens (1992), ou Spaargaren et Mol (Spaargaren, Mol & Buttel, 2000) ont contribué et contribuent au développement du champ. Bien qu’élaborée aux Etats-Unis, la sociologie de l’environnement s’est depuis largement ouverte à d’autres régions du monde. Un récent colloque sponsorisé par le RC 24 de l’ISA s’est d’ailleurs déroulé en Chine (cf. Hong, 2007c).