• Aucun résultat trouvé

Dunlap en profite également pour souligner le caractère « bancal » du modèle POET, qui donne trop d’importance aux facteurs humains. Il écrit même que le complexe écologique de Duncan est « clairement anthropocentrique », mais rappelle, comme Duncan lui-même, que cela est du à l’entrée sociologique du traitement des problèmes environnementaux. Ceci est déterminant pour les fondements de la sociologie de l’environnement, qui trouve ici son ancrage fondamental dans la question environnementale. Plutôt que de chercher à travailler le complexe écologique pour lui-même, c'est-à-dire comme un système, il faut se limiter à rendre compte des modalités d’interaction entre les phénomènes environnementaux d’une part et les sociétés humaines d’autre part. Ces modalités doivent être considérées comme deux domaines, distincts et complémentaires : l’action des facteurs humains sur la nature et l’action de la nature sur l’environnement.

12 Ici, c’est la population qui a le taux de variation le plus fort (59 %) et le plus proche de celui de l’énergie

consommée (79 %), ce qui pousse à croire que c’est surtout le premier qui influencerait le second, les autres facteurs jouant un rôle moindre. Cependant, Ehrlich, et beaucoup d’autres, ont poursuivi leurs travaux en acceptant de donner davantage de poids aux autres facteurs concomitants. Cf. par exemple un récent article de Ehrlich & Goulder, 2007.

Cependant Dunlap se limite à cibler le premier aspect, celui des causes humaines et sociales des problèmes environnementaux, et propose le modèle suivant, qu’il intitule d’ailleurs « Les causes majeures des problèmes environnementaux » (fig. IV).

Figure IV : Reprise du modèle POET par Dunlap Les causes majeures des problèmes environnementaux

D’après Dunlap, [1993] 1995

Dans ce schéma, Dunlap associe chaque facteur à un auteur. Les exemples de Ehrlich et Commoner ont été évoqués plus haut. Une cause culturelle des problèmes environnementaux peut être celle que met en avant Whyte (1967) dans sa recherche des racines de la crise écologique. Dans cet article, Whyte fait le lien entre le christianisme et les désastres écologiques, arguant d’abord que « le christianisme est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait jamais vue » (Whyte, 1967 : 1205), que la genèse établit clairement la domination de l’homme sur le reste de la création, et que l’exemple de Saint- François d’Assise, rare chrétien chantre de la nature mais soupçonné d’hérésie, vient encore confirmé13. D’une manière plus générale, la culture occidentale est dominée par un anthropocentrisme ô combien néfaste pour l’environnement, que ni les sociétés collectivistes ni les sociétés individualistes n’ont dénoncé.

13 Pour les liens entre religion et environnement, cf. le numéro spécial de Social Compass (collectif, 1997).

Population (e.g. Ehrlich) Technologie (e.g. Commoner) Système culturel (e.g. White) Système social (e.g. Schnaiberg) Système de personnalité (e.g. Pogo) Problèmes environnementaux

La référence à Schnaiberg pour le facteur « système social » vise à rappeler que les modèles socio-économiques de production et de consommation ont toujours favorisé des systèmes à faibles coûts (économiques, voire sociaux), mais engendrant de fortes pression sur l’écosystème, du point de vue de l’exploitation des ressources et des externalités environnementales.

Enfin, le système de personnalité renvoie au personnage de comics Pogo, crée par Walt Kelly et dont les aventures ont paru entre 1948 et 1975. C’est à ce personnage qu’on associe le slogan suivant : « Nous avons rencontré l’ennemi et c’est nous » (We have met the

ennemy and he is us). Bien que l’expression apparaisse dans la bouche du personnage dès

1953 (Kelly, 1953), elle se diffuse largement à partir de 1970 et de la célébration du premier jour de la Terre qui rencontrera un vif succès aux Etats-Unis14.

Figure V : « We have met the enemy and he is us »

Poster parus (de gauche à droite) pour le 1er jour de la terre (1970), le 3ème (1972) et le 2nd (1971). Source : http://www.igopogo.com/we_have_met.htm et http://en.wikipedia.org/wiki/Pogo

14 L’expression serait une reformulation du message envoyé en 1813 par le commandeur O. H. Perry au général

W. H. Harrison après la bataille de Lake Erie déclarant : « Nous avons rencontré l’ennemi, c’est nous-même » (We have met the enemy, and they are ours). Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Pogo.

Par cet exemple, Dunlap rappelle que les conduites individuelles sont un des facteurs déterminants de la crise écologique, et on peut renvoyer à ses propres travaux sur les valeurs environnementales (Dunlap, 1995, Dunlap et al. 2007).

Selon ce schéma il faudrait agir sur chacune des variables en même temps pour réduire l’impact environnemental des sociétés : limiter la population, contrôler les technologies, transformer le système social, sensibiliser l’opinion à des valeurs et comportements plus respectueux de l’environnement15.

Vaillancourt (1996) revient sur ce modèle qu’il considère comme la formulation schématique du nouveau paradigme environnemental de Catton & Dunlap en lui apposant la réciproque de l’interaction, c'est-à-dire l’effet de l’environnement sur la société (Fig. YZ)

Figure VI : Schéma du nouveau paradigme environnemental de Catton & Dunlap

Source : Vaillancourt, 1996 : 31

15 Ou, comme le précise Vaillancourt et al. (1999 : 180), « pour résoudre les problèmes environnementaux, il

faudrait agir à partir de cinq types de stratégies : il faudrait diminuer la population, adopter une nouvelle technologie plus douce, changer le systèmes social, sensibiliser les gens sur le plan des valeurs et enfin modifier les comportements individuels et collectifs. Il faudrait utiliser toutes ces mesures simultanément. »

Population Technologie Système culturel Système social Système de personnalité Problèmes environnementaux

C’est uniquement cette réciprocité qui permet de clarifier le domaine complet de la sociologie de l’environnement : elle ne peut se contenter d’être limitée aux seuls impacts de la société sur la nature mais doit également s’intéresser aux aspects sociaux des phénomènes naturels. Et l’usage ici du terme de nature a toute sa signification, car c’est bien l’interaction entre la société et la nature que recouvre le terme d’environnement. Il est alors légitime de s’interroger sur la signification du modèle de Dunlap ([1993] 1995) exposé plus haut : il n’intègre que les pressions sociales et humaines sur la nature et propose ainsi une sociologie de l’environnement partielle, excluant le poids des déterminismes naturels sur la société.

Il ne fait aucun doute que l’exposé de Dunlap ([1993] 1995) s’est limité volontairement, pour les règles de l’exercice, à cet unique aspect de la sociologie de l’environnement : la plupart de ses travaux (cf. chapitre VII) insiste sur sa prise en compte de l’interaction réciproque des phénomènes naturels et sociaux. Et au-delà de la personne de Dunlap, certains chercheurs ont développé un courant de sociologie des désastres naturels au sein de la sociologie de l’environnement, axant leurs travaux sur les implications sociales des phénomènes naturelles à grande échelle16.

En définitive, les premiers développements de ce chapitre ont permis de montrer l’inspiration, sinon la filiation entre les premiers courants d’écologie humaine et la sociologie de l’environnement contemporaine. Il rappelle les liens qu’ont établis les tenants de l’écologie humaine entre les aspects matériels de la société et ses fondements sociaux : que ce soit chez Simmel, Park, Duncan ou les auteurs contemporains, il y a un désir de signifier la nécessité d’inscrire la société dans ce qui la matérialise le plus, le milieu naturel, et qui influe sur elle au moins autant qu’elle peut agir en retour. Cela rappelle fortement les propos développés dans les travaux français de morphologie sociale. Et on peut se demander dans quelle mesure l’écologie humaine classique et/ou néo-orthodoxe ne s’est pas elle-même inspirée de la morphologie sociale pour élaborer ses développements. Cette hypothèse prolonge la recherche des impulsions sociologiques de l’analyse sociale de l’environnement et devrait permettre d’achever celle-ci sur une comparaison de portée internationale entre deux courants singuliers de la sociologie, l’un limité aujourd’hui à la part congrue du substrat matériel de la société, le second réduit à un mythe historique et fondateur de la sociologie nord-américaine (Chapoulie, 2001), alors même que la mise en commun de leurs avancées permet une approche conséquente des phénomènes environnementaux contemporains.

16 Lire par exemple le numéro d’Organization and Environment consacré à l’œuvre de Charles Perrow et