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La morphologie serait ainsi une branche fondamentale de la sociologie, une branche nécessaire à la sociologie en ce sens que l’analyse sociologique ne pourrait se passer d’elle. La preuve en a été faite par l’essai de Mauss, accompagnant en ce sens les remarques du grand ordonnateur de la sociologie française, Emile Durkheim. Mais celui-ci mourra en 1917, et Mauss se tournera vers l’ethnographie comparée, pour être reconnu aujourd’hui davantage comme un ethnologue, prenant en compte sa participation à la fondation de l’institut d’ethnologie de la Sorbonne en 1925 et de la compilation des cours qu’il y donnera parue dans un Manuel d’ethnographie (Mauss, 1947).

La sociologie ciblera alors ses luttes : elle confirmera son importance dans l’étude de la vie sociale, tenant ses positions face à l’histoire, la psychologie et la psychologie sociale. Mais elle abandonnera la thématique des bases matérielles de la société, laquelle avait su maintenir ses adversaires à bonne distance. Le champ du cygne de la morphologie sociale paraît alors en 1938 sous la plume de Maurice Halbwachs, intitulé justement Morphologie

sociale (Halbwachs, 1938).

Dans cet ouvrage, Halbwachs propose d’abord une définition en quatre points des « structures ou formes de la société » (ib. : 7) :

2 – les différences de genre, de composition par sexe et âge, en ce sens que « [l]es sociétés humaines ne sont pas seulement en contact avec la matière. Elles sont elles-mêmes vivantes et matérielles. » (ib.),

3 – La conscience que la société prend d’elle-même, la réalité de la vie psychologique, 4 – Les formes matérielles des organes de société, de ses institutions.

En sus de ces premières distinctions, Halbwachs ajoute une seconde division, partageant la morphologie sociale entre morphologie lato sensu et morphologie stricto sensu. La première rassemble les formes matérielles des sociologies particulières. Il détaille par exemple la morphologie religieuse à partir des cartes des pratiquants ou de celles des structures religieuses ; la morphologie politique, plus complexe, qu’il définit comme suit :

« La morphologie politique est l’étude des divers systèmes de gouvernement et d’administration dans leurs rapports avec les formes extérieures des groupes auxquels ils s’appliquent. Platon […] préoccupé d’assurer la stabilité de l’Etat […], fixait le nombre des citoyens […]. Rousseau, dans son Contrat

social, remarquait qu’il doit y avoir un rapport entre l’étendue du territoire et la

forme du gouvernement […]. Montesquieu consacrait tout un livre de l’Esprit des

lois au sujet suivant : de lois dans le rapport qu’elles ont avec le nombre des habitants. » (ib. : 31-32)

La morphologie économique, enfin, a trait certes aux formes de productions et aux techniques, mais surtout à « l’étendue dans l’espace de ces entreprises du commerce, de l’industrie, de l’agriculture, avec la masse des hommes qui gravitent autour d’elles » (ib. : 61) avec par exemple l’occupation spatiale de chaque classe (e.g. les faubourgs ouvriers).

Ceci étant dit, on peut conclure que la morphologie sociale est un complément à la physiologie sociale, en ce sens que l’une et l’autre analyse une partie de la réalité : réalité matérielle pour la morphologie, réalité collective pour la physiologie.

Halbwachs insistera sur l’importance de la morphologie sociale stricto sensu, autrement dit la science de la population. Cette dernière peut être étudiée pour elle-même en ce sens qu’elle est une science sociale particulière. Halbwachs nous plonge alors dans une histoire et une géographie de l’accroissement de la population mondiale ; dans une étude sur

la densité de population dans la grandes villes ; une autre sur les mouvements migratoires comme faits sociaux ; sur le sexe et l’âge ; la natalité, la nuptialité et la mortalité ; le renouvellement des générations ; et termine par une critique du rapport Malthusien entre population et subsistance, avançant qu’il s’agit d’un lien biophysique entre fécondité humaine et rendement de la terre, alors que ces mêmes catégories peuvent être analysée socialement, et précisément économiquement avec la loi de l’offre et de la demande. Bref, cette seconde partie se consacre à l’approche démographique.

Dans sa conclusion, Halbwachs revient sur l’importance des réalités matérielles des sociétés et de leurs institutions, et insiste sur la nécessité de lier l’analyse morphologique à l’analyse physiologique : « Puisqu’il n’est aucune des sociétés qui n’ait une forme matérielle, la morphologie sociale les embrasse toutes, et on pouvait en entreprendre l’étude en passant en revue toutes les sections principales de la sociologie. » (Halbwachs, 1938 : 185)

Des ces morphologies spécifiques, le sociologue en dégage des formes et des mouvements dans l’espaces ce que Halbwachs traduit par cette loi :

« En d’autres termes, tout fonctionnement collectif a des conditions spatiales. […] C’est en ce sens que toutes les morphologies particulières, en tant qu’études des formes et des mouvements matériels des sociétés, se rejoignent dans ce que nous avons appelé la morphologie stricto sensu, qui se confond avec la science de la population. ». (ib. : 189)

Savoir si les variables biologiques ou géographiques ont leur part d’influence dans cette matérialité n’est pas l’objet des propos d’Halbwachs. Comme la plupart des sociologues, il esquive le débat, mettant en avant que ce qui est l’objet d’analyse est moins ces variables, qui sont d’ailleurs associées à d’autres variables (sociale, techniques, démographique, économiques, etc.), mais bien la conscience que l’on se fait de ces variables, de cette matérialité.

« Il y a donc bien là, termine Halbwachs, tout un ordre de représentations collectives qui résultent simplement de ce que la société prend conscience, directement, des formes de son corps matériel, de sa structure, de sa place et de

ses déplacements dans l’espace, et des forces biologiques auxquels il est soumis. » (ib. : 125)