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Des propriétés spécifiques

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CHAPITRE I. DIFFERENTES APPROCHES DU CONCEPT DE PATRIMOINE

1.3.2.1. Des propriétés spécifiques

Le patrimoine culturel est composé de biens aux propriétés spécifiques (Vecco, 2006 ;

hétérogènes, intransférables, non-reproductibles et non-substituables. Ils disposent de certaines caractéristiques des biens publics et collectifs. Enfin, si leur cycle de vie est extrêmement long, une modification de leur état a souvent un caractère irréversible.

Hétérogénéité, unicité et non-substituabilité

Comme on l’a vu dans les développements précèdent, le patrimoine culturel est extrêmement hétérogène. Il recouvre des types d’édifices et d’objets variés, de toutes fonctions, formes et époques. L’hétérogénéité est renforcée par le caractère unique de chaque bien patrimonial. Chaque site archéologique, chaque collection d’objets, chaque édifice religieux, dispose de caractéristiques physiques spécifiques, d’attributs qui lui sont propres, d’une histoire et d’un lien avec un territoire qui le rende unique1. Des principes d’unicité et d’hétérogénéité découle celui de non-substituabilité : la multiplicité des formes et le caractère unique de chaque bien empêche d’autres biens de remplir une même fonction (Icomos, 1998) 2.

Immobilisation

Les biens patrimoniaux sont intransférables, ils ont une localisation fixe. Leur consommation induit donc un déplacement. Cette caractéristique détermine leur rôle d’attraction (Icomos,

1998). C’est assez évident pour le bâti qui ne peut être déplacé3. Ce principe reste largement

pertinent dans le cadre de la définition économique des collections. Il découle du caractère inaliénable des collections nationales ; principe largement rependu dans de nombreux pays du monde. Au niveau international, les conventions Unesco de 1970 et Unidroit de 1995 interviennent pour limiter l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels. Le droit communautaire impose aux États membres de l’Union Européenne l’exercice d’un contrôle sur la circulation des biens culturels et des œuvres d’art (Cornu,

2003). En droit français, le système de classement rend les biens patrimoniaux inaliénables.

1 En découle une difficulté méthodologique importante. Si chaque bien est unique on ne peut tirer de

conclusions générales des résultats observés sur un nombre limité de biens (Icomos, 1998).

2

On verra que bien que l’offre en patrimoine culturel soit extrêmement hétérogène, une classification plus fine permet sans doute l’obtention d’un certain degré de substituabilité au sien de catégories spécifiques. Ainsi, Si le château de Versailles et le canal du midi ne sont pas substituable, les cathédrales gothiques de Picardie le sont sans doute, dans une certaine mesure.

3 On connait bien sur l’extraordinaire histoire du temple d’Abou Simbel, sauvé de la montée des eaux suite à la

construction du barrage d’Assouan en Egypte. Une mobilisation internationale sans précédent a permis de déplacer les temples hors de la zone inondable. C’est bien évidement un exemple unique qui ne remet pas en cause le principe général d’immobilisation.

Ainsi, les trésors nationaux1 sont frappés d’une interdiction d’exportation définitive sauf à titre temporaire et dans des conditions strictement encadrées. Un système de classement produit les mêmes effets dans les législations Belge ou Allemande bien que les listes concernent un nombre de biens plus limité (Prott, 2012). En Egypte, le développement du commerce d’antiquités et la multiplication de fouilles sauvages ont progressivement amené le pays à réglementer, durcir et enfin interdire les exportations d’antiquités (Bierbrier, 1995). L’Afrique du Sud, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, suivent le modèle Anglo- Saxon avec la mise en place d’un système de contrôle des exportations. Plutôt que d’être frappé d’une interdiction complète, les exportations d’objets patrimoniaux sous le contrôle de propriétaires privés sont contrôlées. Lorsqu’il s’agit d’éléments significatifs de la culture nationale la permission d’exporter n’est pas accordée. Certain Etats ont mis en place des mesures de dissuasion (système de taxes en Italie par exemple). D’autres introduisent dans la constitution ou la législation des règles plaçant le patrimoine culturel mobilier sous la protection et le contrôle de l’Etat2. Ainsi, même s’il prend différentes formes et entre parfois en conflit avec d’autres principes juridiques (libre circulation des biens), ce principe limite considérablement le mouvement des biens culturels. Ainsi, outre cas exceptionnels3, la visite du patrimoine culturel nécessite un déplacement.

Unicité et non-reproductibilité du patrimoine

Une des caractéristiques qui fonde la spécificité des biens patrimoniaux tient du fait que l’objet préexiste à sa qualification patrimoniale (cf. chap.1 sect.2). Il ne fait pas l’objet d’un processus de production, pas au sens où on l’entend habituellement. Il n’est pas non plus reproductible. Bien sûr, un certain nombre d’exemples comme la reproduction de la ville de Colmar en Malaisie, ou celle de la grotte de Lascaux, montre qu’il est possible de recréer les caractéristiques physiques d’un bien. Cependant, si dans de rares cas on peut effectuer une copie, celle-ci n’est pas chargée de sens. Il semble bien difficile de reproduire la valeur historique et symbolique d’un bien, surtout lorsque cette copie se trouve déracinée de son contexte culturel. Quoi qu’il en soit, le patrimoine n’est pas produit au sens conventionnel du

1 C'est-à-dire les objets classés au titre des monuments historiques, les archives classées, les œuvres des

collections publiques, les œuvres des collections placées sous le label « Musée de France » (Cornu, 2003).

2 Brésil, Cambodge, Chine, Mongolie, Iran (Prott, 2012).

3 Les collections nationales se déplacent parfois à l’occasion d’expositions exceptionnelles (Prêt du musée du

Caire pour les expositions d’antiquités égyptiennes) ; le prêt accordé par le Louvre pour la constitution du musée d’Abou Dabi.

terme. En économie on l’assimile parfois à un stock (Icomos, 1998 ; Lemaire, dans Greffe,

1990). L’analyse économique va alors plutôt se préoccuper de la gestion du stock,

matérialisée par des opérations de maintien, transformation, et démolition (Greffe, 1990). Le caractère non-reproductible renforce l’unicité du patrimoine et apparait comme le fondement de sa conservation ; c’est parce qu’il est unique, qu’on ne peut ni le recréer ni le reproduire à l’identique, qu’il convient de le protéger. Cette caractéristique est largement mise en avant par les institutions chargées de sa promotion, et justifie sa protection d’une part, et le déplacement touristique d’autre part.

Bien public, bien collectif

Le patrimoine répond (au moins partiellement) à la définition d’un bien public. Son utilisation est non-exclusive, indivisible et non-rivale. Prenons l’exemple de la Tour Eiffel. Depuis sa construction, tout un chacun peut en bénéficier. Sa « consommation » est non-rivale dans le sens où le fait qu’une personne la regarde n’empêche pas une autre de la regarder simultanément1. De plus, on ne peut pas empêcher sa consommation gratuite : elle est accessible aux regards, tous peuvent la contempler (Barrère et all., 2005). Bien sûr, cette propriété est en général limitée à la façade extérieure des monuments. Pour les collections et l’intérieur des édifices patrimoniaux, il est possible d’exclure les consommateurs à travers le paiement d’un droit d’entrée (Benhamou, 2011). Enfin, les biens patrimoniaux appartiennent à la collectivité, ils font partie du patrimoine régional ou national et en ce sens peuvent être assimilés à des biens collectifs (Icomos, 1998). Leur consommation ne limite en rien la quantité de biens disponible pour les autres consommateurs.

Cycle de vie et irréversibilité

Les biens patrimoniaux bénéficient d’un cycle de vie extrêmement long, qui dépasse celui des biens économiques ordinaires. Certains ont plusieurs siècles, d’autres plusieurs milliers d’années. Ces témoignages du passé ne jouissent de leur immuabilité que dans la mesure où le système de protection mis en place assure efficacement leur conservation, et que l’on choisisse de continuer à les préserver. Comme on l’a vu dans la section précédente, le patrimoine fait l’objet d’un processus de sélection ; le choix des objets représentatifs d’une

1 Le principe de non-rivalité s’applique au patrimoine dans la limite de la congestion (Greffe, 1990), et donc

culture, et dignes d’être préservés. Les sociétés et les représentations qu’elles ont d’elles- mêmes ne sont pas fixes, et à ce titre, leur identité comme leur patrimoine peuvent faire l’objet de redéfinitions. Ce processus de sélection et de redéfinition patrimoniale conduit à des arbitrages.

Du point de vue de la rationalité économique, on peut choisir de conserver un bien dans la mesure où son utilité économique excède le coût nécessaire à sa conservation (Icomos, 1998). On peut aussi choisir de réutiliser un bien patrimonial et de lui attribuer une nouvelle fonction. Comme le souligne Vecco (2006), de nombreux édifices n’ont été conservés que de par leur capacité à s’adapter à de nouvelles fonctions. La réaffectation du patrimoine a pu prendre de multiples formes : religieuse, militaire, industrielle, administrative, nécessitant des aménagements plus ou moins importants, parfois peu respectueux de leur intégrité initiale. On peut enfin choisir de ne pas (ou ne plus) conserver un bien.

Greffe (1990:59) introduit l’idée d’un seuil de conservation au-delà duquel il n’est plus possible de restaurer ou d’utiliser le bien. On peut mobiliser la notion d’effet d’irréversibilité pour analyser l’arbitrage entre différents choix de conservations (Richard, et al. 1992). Pour le patrimoine, les décisions prises quant à sa conservation ou son utilisation ont un caractère irréversible dans la mesure où elles induisent une perte d’options futures. En effet, une fois laissé à l’abandon, et passé un certain seuil de dégradation (Greffe, 1990), l’état du bien patrimonial ne permettra pas un retour à un stade de conservation passé. De la même manière, un bien patrimonial réaffecté à de nouvelles fonctions ne pourra bien souvent plus revenir à son état d’origine. On comprend aisément ce que la transformation d’un édifice patrimonial en lieu d’hébergement touristique peut avoir d’irrévocable. Une fois endommagé ou détruit, le patrimoine ne peut recouvrir sa forme originelle1 ; pour continuer à en jouir, il est nécessaire de le conserver (Vecco, 2006).

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