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La réappropriation des valeurs esthétiques et artistiques

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CHAPITRE II. TOURISME ET PATRIMOINE CULTUREL : ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE

2.1.1. Le patrimoine des grandes œuvres : genèse de l’approche universaliste

2.1.1.1. La réappropriation des valeurs esthétiques et artistiques

Les profonds bouleversements qui touchent les sociétés occidentales au moment de la Renaissance ont eu une influence considérable sur les valeurs associés au Patrimoine. Pour appréhender l’ampleur des transformations qui sont intervenues à cette époque, il faut comprendre le rôle qu’occupaient les biens culturels au Moyen-âge.

Le lien qui unit alors art et religion est très fort1 : le culte intervient comme sponsor et inspiration, l’art et l’artiste comme vecteur de diffusion du sacré. Le fait religieux rythme le quotidien. L’église érige dans toute l’Europe des monuments de toutes tailles. Elle régit et finance la production artistique. Elle détermine son contenu et motive sa diffusion. Peintures décoratives et allégoriques, épisodes bibliques ou représentations saintes, quantités de peintures et de statues ornent les cathédrales, les églises et les chapelles comme autant d’outils au service de la transmission de la foi. Le christianisme développe une iconographie très riche autour des grands thèmes2 et poursuit un objectif éducatif et pédagogique (Didron, 1843). A

travers l’art figuratif et les paraboles, est diffusé le message de l’Eglise, ainsi libéré des entraves de l’illettrisme. Son influence sur les codes de l’esthétique est déterminante, au moins jusqu’à la renaissance européenne qui marque le début d’une autonomisation et d’une sécularisation progressive de l’art.

Un ensemble de facteurs vont participer au changement de statut de l’art et de l’architecture. Ainsi, à la fin du Moyen-âge, l’Europe est dévastée par les guerres, les famines, et la peste noire. Ces crises successives affament puis déciment près d’un tiers de la population. Le désarroi de l’Eglise et son incapacité à soigner les malades entament considérablement l’emprise qu’elle exerçait jusqu’alors, et pose les premières pierres d’un profond renouveau spirituel et scientifique.

Après la chute de l’Empire Byzantin en 1453, artistes et savants fuient Constantinople et se réfugient en Italie3, emportant avec eux connaissances et textes de la Grèce antique. Sous l’impulsion de cette redécouverte de l’antiquité, artistes et savants, sous la protection de riches mécènes, lancent un double mouvement intellectuel et artistique qui allait bientôt s’étendre à l’Italie et à l’ensemble de l’Europe4. S’ouvre alors une période de renouveau artistique,

littéraire, scientifique et économique. Le mouvement humaniste, véritable révolution de la pensée, se diffuse rapidement et imprègne la philosophie et l’esthétique. Au-delà d’une simple

1 Du moins en Europe. Contrairement au christianisme, la production des arts de l’Islam (production artistique

qui s’étend de l’Espagne à L’Inde, de l’hégire au XIXe siècle) est en grande partie profane (Grabar,2000).

2 Le Jugement dernier, l’Apocalypse, etc.

3 L’Italie du nord, et notamment les Cités-Etats telles que Milan, Venise ou Florence, bien que très durement

touchées, bénéficient d’un contexte économique plus florissant à la fin du Moyen-âge que le reste de l’Europe. Le commerce de l’épice et de la soie avec l’Orient place alors ces Cités-Etats au centre des échanges commerciaux européens.

4 L’Esthétique et les idées de la renaissance se propagent de cours en cours. Gutenberg et l’invention de

transformation de l’art occidental, les modes de représentations, le rapport de l’homme au monde, à l’autre, au sacré, changent1.

L’art et l’architecture s’en trouvent profondément transformés. La Renaissance artistique succède à l’esthétique romane et gothique, et en bouleverse les codes. Dans les collections et sous les voutes des lieux saints, figures païennes et penseurs antiques2 côtoient les icones chrétiennes, dont la sainteté perd son caractère ostentatoire. L’homme, sous l’influence des principes humanistes, acquiert une place nouvelle. Valorisé, magnifié, il est mis au centre des réflexions, tant philosophiques qu’artistiques. Le nu, qui n’avait de place au Moyen-âge que dans son association au péché, redevient avec la Renaissance l’une des formes artistiques les plus achevées3.

La période se caractérise par le regard porté sur les civilisations grecque et romaine, auxquelles on voue un véritable culte. Les références à la culture antique y sont omniprésentes. Des fouilles, à Rome surtout, permettent de mettre à jour des chefs-d’œuvre longtemps perdus. Les plus belles pièces viennent orner les palais de riches mécènes, princes et papes rivalisant pour constituer les plus extraordinaires collections. C’est ainsi que se tisse un rapport nouveau aux objets anciens, que Choay décrit comme :

« Le singulier éveil du regard distancié et esthète, affranchi des passions

médiévales, qui en se posant sur les édifices antiques, les métamorphose en objets de réflexion et de contemplation »

Choay (1992 ; dans Senil, 2011:45).

L’intérêt porté aux biens culturels reposait jusqu’alors essentiellement sur leur valeur « vénale »4, sacrée, et cognitive, ou leur capacité à assoir un statut social. L’émotion procurée par la valeur esthétique d’une œuvre d’art ou d’un édifice sacré servait surtout la didactique religieuse. La Renaissance fait naitre le « beau » comme fin en soi. La valeur esthétique des

1 On voit bien comment le phénomène s’étend bien au-delà du domaine de l’art et de l’architecture. Ce n’est

pourtant qu’au XIXe siècle que les historiens Michelet et Burckhardt élargiront le concept de Renaissance à l’ensemble de la civilisation Européenne.

2

Comme dans la basilique Saint-Pierre, à Rome, réalisée par Raphaël au début du XVIe siècle.

3 L’érotisme latent ou plus déclaré de certaines œuvres n’a pas été sans susciter quelques scandales, dans un

monde loin d’être totalement libéré des préceptes de la bien séance religieuse. Ainsi, la voute de la Chapelle Sixtine, sans doute parmi les plus beaux et les plus célèbres chefs-d’œuvre de la renaissance italienne, fut menacée de destruction. Les fresques de Michel-Ange ont d’ailleurs été censurées par l’ajout de morceaux d’étoffes pour cacher la nudité des représentations, alors jugées obscènes.

4 C’est avec la renaissance que le talent se substitue progressivement à la dimension des toiles ou au prix des

biens culturels prend alors tout son sens. On cherche à égaler voir à dépasser les maitres antiques en excellence et en audace. Les réalisations d’une qualité technique exceptionnelle sont autant de contributions, tant au domaine de l’art qu’à celui de l’architecture. Elles prennent place dans l’histoire de la discipline et acquièrent ainsi une valeur artistique. On voit aussi apparaitre les prémisses d’une valeur historique, reconnue aux biens antiques comme témoignages des civilisations disparues.

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