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La diffusion du modèle occidental : difficultés d’adhésion et échanges d’influences

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CHAPITRE II. TOURISME ET PATRIMOINE CULTUREL : ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE

M. of the World

2.2.2. La diffusion du modèle occidental : difficultés d’adhésion et échanges d’influences

La diffusion des canons patrimoniaux occidentaux (Labadi, 2007) comporte un certain nombre de risques : la commodification des ressources, leur standardisation, et un désintérêt des populations locales qui ne se retrouvent pas dans ce qui devrait pourtant être la manifestation de leur passé et de leur culture. On assiste parfois à une patrimonialisation subi, qui répond à une demande occidentale. Une demande qui se nourrit de manifestations tangibles de la culture des territoires visités, et qui pousse à la production d’un patrimoine

commercialisable (Gravari-Barbas et Guichard-Anguis, 2003:934). Le tourisme semble ainsi intervenir à la fois comme moteur de la valorisation et de la protection des spécificités culturelles des zones où il s’installe, et comme facteur d’uniformisation de ces ressources. Il impose une vision occidentale de la notion de patrimoine, une « mise aux normes » (Gravari-

Barbas et Jacquot, 2008:20), destinée à satisfaire la demande d’un tourisme international

occidentalisé.

A ce titre, l’exemple de la Chine est édifiant. Assez récemment, le pays s’est emparé de son patrimoine bâti (Ged, 2003) et l’a placé au centre des enjeux de développement économique, touristique et urbain (Fresnais, 2003). La crainte d’une dilution « des sites historiques et

culturels (…) dans une interprétation convenue, touristico-commerciale » n’est pas sans

fondements (Ged, 2003:400). Comme le montre Fayolle Lussac (2003), à Xi’an comme dans de nombreuses villes connaissant une urbanisation rapide, le contenu culturel du patrimoine s’efface devant sa valeur marchande. La protection intervient plus dans le cadre d’un plan de communication au niveau international que comme l’outil d’un développement au niveau local.

Bien sûr, l’évaluation en termes d’antagonisme des liens entre tourisme et patrimoine est tout à fait restrictive. Dans de nombreux cas il participe à la réactivation de certaines traditions et à la valorisation de certains sites y compris auprès des populations locales (Lazzarotti, 2003). Néanmoins, il semble que la « mondialisation du patrimoine » (Claval, 2003:47) tende à l’uniformisation des pratiques qui encadrent la conservation, la gestion, la mise en valeur des biens patrimoniaux, ainsi que les attentes et les pratiques touristiques qui l’entourent. Phénomène renforcé par l’action d’organismes internationaux qui le promeuvent tels que l’Unesco, qui jouent un rôle central dans de nombreuses régions du monde. La standardisation du patrimoine au profit d’une conception occidentale tend ainsi à s’imposer à l’échelle mondiale (Gravari-Barbas et Guichard-Anguis, 2003). On constate dès lors un décalage entre ce patrimoine qui répond aux standards internationaux, et celui qui renvoie aux spécificités d’une culture, aux expressions originales qui la compose, et qui recouvre une grande diversité de formes et de sens selon le contexte culturel dans lequel il prend forme.

On comprend mieux pourquoi on observe certaines difficultés d’adhésions à la notion de patrimoine telle qu’elle est véhiculée au sein de cultures non occidentales. Dans un tel contexte, il est parfois difficile d’impliquer des populations locales qui témoignent dans de nombreux cas d’un manque profond d’intérêt pour une patrimonialisation subie.

« Certaines cultures ne semblent pas manifester une très grande considération pour les musées, fruits d’une démarche intellectuelle étrangère aux populations concernées et qui relèvent souvent d’initiatives coloniales dans plusieurs régions du monde. »

Gravari-Barbas et Guichard-Anguis (2003:12).

La répartition très inégale de l’offre muséale mondiale illustre bien les difficultés d’adhésion à un modèle centré sur des valeurs parfois très éloignées de celles du pays dans lequel on cherche à l’implanter. Ainsi, 80 % de l’offre est située en occident (cf.graph.2.2.n°1). On compte à peine quelques centaines de musées en Afrique et quelques milliers en Amérique du Sud et en Asie (cf.tabl.2.2.n°1). L’Europe de l’Ouest, du Nord et du Sud concentre quant à elles un peu plus de 50 % du nombre total de musées.

Si en Europe, la densité de population semble influer sur leur distribution spatiale (cf. Ballé,

2003), il apparait très clairement au niveau mondial que les régions les plus peuplées ne sont

pas les mieux dotées en musées. Ainsi, des régions très peuplées comme l’Asie du Sud compte moins d’un musée par million d’habitants (cf.carte2.2.n°1) ; l’Asie de l’Est à peine plus (cf.tabl.2.2.n°1). Les institutions muséales semblent donc rencontrer un succès limité dans les cultures non occidentales.

« Parallèlement l’action des ONG dévouées à la protection du patrimoine bâti ne semble pas rencontrer non plus l’adhésion de toutes les populations locales, attirées par d’autres expressions de leur culture »

Gravari-Barbas et Guichard-Anguis (2003:12).

Parallèlement à la très forte concentration de l’offre muséale en Europe, on retrouve une tendance similaire dans la répartition mondiale de l’offre monumentale. C’est en tout cas ce que suggère la répartition des biens de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco (cf.chap.5). Ainsi, et bien que la conception occidentale de la notion de patrimoine se diffuse, elle reste fortement centrée sur l’Europe.

Tableau 2.2.n°1 : Répartition de l’offre muséale mondiale par rapport à la population

Population

(en million) Musées Ratio

ENSEMBLE DU MONDE 7 052,9 53 018 7,517

AMÉRIQUE LATIN ET CARAÏBES 4 144

Caraïbes 42,2 539 12,773 Amérique centrale 160,1 1 540 9,619 Amérique du Sud 400,6 2 065 5,154 AMÉRIQUE DU NORD 350,3 10 460 29,860 EUROPE 31 807 Europe de l'Ouest 189,5 15 435 81,451 Europe du Nord 100,3 5 668 56,510 Europe du sud 156,1 6 354 40,705 Europe de l'Est 293,7 4 350 14,811 AFRICA - AFRIQUE 803 Afrique Australe 58,5 278 4,752 Afrique septentrionale 216,5 226 1,043 Afrique occidentale 320,7 141 0,439 Afrique orientale 341,6 117 0,342 Afrique centrale 133,4 41 0,307 ASIA - ASIE 4 608 Asie de l'Ouest 241,2 826 3,424 Asie de l'Est 1 587,4 2 535 1,597 Asie du Sud-est 606,4 562 0,926 Asie du Centre et du Sud 1 816,4 685 0,377

OCÉANIE 37,6 1 196 31,809

Inversement, d’autres conceptions éloignées des canons patrimoniaux occidentaux (Labadi,

2007) cheminent, et atteignent une reconnaissance internationale. On constate alors des

« glissements sémantiques qui rendent [le patrimoine occidental] plus proche des conceptions

Africaines ou orientales » (Gravari-Barbas et Guichard-Anguis, 2003:935).

Ainsi, la reconnaissance des dimensions immatérielles du patrimoine culturel se diffuse progressivement en occident. En témoigne la création de nouvelles catégories de biens, reconnues par le centre du patrimoine mondial de l’Unesco, et intégré à la liste culturelle. Les catégories des routes ou itinéraires culturels, des paysages culturels, des sites associatifs, et des lieux de mémoire, ont été spécialement élaborées pour intégrer certains sites disposant d’une dimension symbolique forte, mais d’une faible valeur physique (cf. chap.1 sect.1). L’Unesco et le centre du patrimoine mondial, au travers de la convention de 1972, reflétait jusque-là les préoccupations des pays développés, liées à la protection d’une forme de patrimoine hautement valorisée (Paris, 2011). La communauté internationale entame ainsi une démarche vers la prise en compte « des formes de patrimoine plus répandues dans des

régions où les énergies culturelles s’étaient concentrées sur d’autres formes d’expression » (Paris, 2011:9). La dématérialisation du patrimoine (Di Méo, 2007) se poursuit, notamment

au travers de la convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Le patrimoine qui s’exprime sous forme de pratiques, de représentations, d’expressions, de connaissances et de savoir-faire (Article 2, 2003) bénéficie désormais d’une protection juridique.

L’offre patrimoniale mondiale subit des influences contradictoires. On constate la diffusion de l’idée d’un patrimoine hautement valorisées, centré sur des formes tangibles, architecturales, représentant la culture dans ce qu’elle a d’universelle. Dans le même temps, on observe une évolution concrète vers une dématérialisation des objets patrimoniaux, et la reconnaissance internationale d’autres manifestations de la culture des peuples. On constate la reconnaissance de nouveaux objets, parfois totalement dépourvus de prétentions artistiques ou esthétiques, et dont la valeur repose principalement sur la notion de témoignage. On relève enfin une prise en compte croissante d’un patrimoine locale, qui répond au besoin exprimé par de nouveaux espaces cherchant à se construire une identité distincte (Origet du Cluzeau, Tobelem, 2009). Ainsi, l’offre mondiale se compose tout à la fois d’un patrimoine commercialisable, apte à répondre à une demande internationale occidentalisée (Gravari-Barbas et Guichard-Anguis,

2003) ; d’un patrimoine qui, face à l’accélération du monde, apparait comme le témoin de la

permanence des sociétés (Senil, 2011) ; d’un patrimoine qui, face à la globalisation et l’homogénéisation des différences entre les cultures, apparait comme le marqueur de la spécificité des lieux, et participe à leur différenciation par l’affirmation des identités locales. On peut, dès lors, se demander si tous ces objets nouvellement patrimonialisés disposent d’une même vocation touristique. On verra dans le chapitre suivant comment ces phénomènes de fragmentation et de régionalisation de l’offre se traduisent au niveau de la demande. On peut dès à présent noter, malgré ces profonds bouleversements, que l’offre reste largement structurée autour d’un nombre restreint d’incontournables d’une part, et des grands centres urbains d’autre part. Certains hauts lieux du patrimoine monumental ou muséal disposent d’une valeur culturelle et d’une notoriété majeure, qui en font des attractions phares. De même, les grands centres urbains occupent souvent une position dominante sur le marché, du fait des ressources patrimoniales parfois considérables accumulés au cours des siècles, et parce qu’ils concentrent souvent l’essentiel des investissements culturels.

CHAPITRE III. PRATIQUES, ENJEUX, ET MOTIVATIONS CULTURELLES

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