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Vers une nouvelle forme de distinction : de la culture cultivée à l’éclectisme

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CHAPITRE III. PRATIQUES, ENJEUX, ET MOTIVATIONS CULTURELLES LIEES A LA CONSOMMATION TOURISTIQUE DU PATRIMOINE LIEES A LA CONSOMMATION TOURISTIQUE DU PATRIMOINE

3.2.2. Vers une nouvelle forme de distinction : de la culture cultivée à l’éclectisme

On peut replacer l’évolution des pratiques culturelles dans le contexte plus général de la transformation des sociétés modernes, et de la notion de culture elle-même. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, une nouvelle approche vient contester la conception humaniste

et universaliste qui limitait la culture aux œuvres culturelles, aux productions artistiques ou littéraires socialement valorisées et chargées d’une valeur symbolique. La notion glisse progressivement vers une acception relativiste. Elle est dorénavant entendue comme l’expression de la vie sociale de l’homme dans sa totalité, englobant l’ensemble des idées, des valeurs, des attitudes et des symboles qui marquent la spécificité d’un groupe.

Cette approche, héritée de l’anthropologie diffusionniste, s’employait à l’origine dans l’étude des civilisations lointaines. La déclaration de Bogota (1978) et la conférence Mondiacult

(1982) qui rejette unanimement toute hiérarchie entre les cultures, marque le début de la

reconnaissance internationale de la diversité culturelle et l’émergence du relativisme culturel comme grille de lecture dominante (au moins au niveau des institutions internationales). Le principe est transposé aux cultures occidentales par les cultural studies. Centrées sur l’étude de la culture dans sa dimension quotidienne, elles s’attachent à réhabiliter les sous-ensembles généralement mésestimés : la culture de masse, la culture populaire (Grossberg, 2003). Un changement de paradigme s’opère. Changement qui forme la base d’un élargissement considérable du domaine traditionnel de la culture légitime, depuis les années 1980 (Peterson,

1976 ; Coulangeon, 2003). Ces transformations ont bien sûr des conséquences importantes au

niveau des pratiques culturelles et du sens qui leur est attaché. On va tacher ici de replacer les thèses légitimistes et relativistes dans le contexte de l’évolution des sociétés modernes, et de présenter les travaux récents qui proposent un nouvel éclairage quant aux pratiques touristiques et culturelles dans le cadre des processus de distinction sociale.

Grignon et Passeron (1989) soulignent les tendances populistes des postures relativistes, et le risque de misérabilisme qui découle de l’approche légitimiste. Philippe Coulangeon (2004) note que les rapports à la culture légitime ont changé. Elle est aujourd’hui plus ouverte. Ses membres sont aussi influencés par la culture de masse. Les frontières culturelles deviennent perméables (Peterson 2004, 1992 ; DiMaggio 1987). Bien que les pratiques élitistes restent confinées à des réseaux relativement étroits (cf. 3.2.1.), des objets culturels communs comme la télévision influence le quotidien, toutes classes sociales confondues. Ainsi, on constate un décloisonnement entre culture populaire et cultivée, et une baisse du pouvoir symbolique de

cette dernière. Gans (1974) et Peterson (1976) soulignent non seulement que les cultures légitimes et populaires s’influencent mutuellement, mais aussi que leurs audiences respectives se mêlent.

Plusieurs travaux remettent en question l’homogénéité des dispositions culturelles au sein d’une même classe supposée par Bourdieu. Bernard Lahire (2003) montre notamment que l’existence d’un système cohérent de comportements culturels n’est pas vérifié statistiquement. L’individu est mieux défini par son appartenance à de multiples mondes, des réseaux. C’est le faisceau d’interactions sociales qui s’avère déterminant dans la formation des goûts et des pratiques culturelles. Ainsi, il démontre que l’individu dispose d’une palette large de choix entre des pratiques plus ou moins légitimes. Chacun, même au sein des classes dominantes, est partagé entre des goûts légitimes et d’autres appartenant à la sphère du populaire. Ces multiples influences donnent naissances à des pratiques variées. Peterson

(2004, 1992) met en avant l'éclectisme des pratiques culturelles de la classe dominante. En

lieu et place de l’opposition entre pratiques légitimes et illégitimes, il propose d’opposer les pratiques univores et omnivores. La classe dominante n’est plus caractérisée par le prestige d’une consommation de culture cultivée, mais par un « omnivorisme », c'est-à-dire une ouverture d’esprit lui permettant d’apprécier plusieurs types d’objets culturels, légitimes ou non. Ainsi, la distinction s’opère par la capacité à l’éclectisme, un comportement univore serait le marqueur d’un capital culturel moins important et d’une place moins favorable dans la hiérarchie sociale.

Les démarches individualistes de Lahire et Peterson viennent compléter plus qu’elles ne remettent en cause l’analyse de Bourdieu. Comme le montre Philippe Coulangeon (2004), l’éclectisme fait appel à de vastes compétences culturelles qui restent l’apanage des classes dominantes. Les études ne remettent donc pas en question la différenciation sociale des comportements culturels1.

On observe aussi ce décloisonnement entre culture populaire et cultivée au sein des pratiques touristiques. Ainsi, en Europe, les classes dominantes consomment aujourd’hui non seulement des formes classiques mais aussi des formes populaires de culture au cours de leurs séjours

(Richards, 2001). On le voit aussi dans l’enquête sur les pratiques touristiques des américains (TAMS, 2007a). Si elle parvient, à l’aide d’analyses factorielles, à identifier plusieurs

1 On l’a vu dans le cadre de l’analyse du tourisme culturel (cf. 3.2.1.). C’est aussi largement le cas en ce qui

concerne les pratiques culturelles dans un cadre quotidien. En France par exemple, les pratiques culturelles restent conditionnées par l’appartenance socioprofessionnelle (Pichère, 2004).

segments de clientèles en fonctions du type d’activités pratiquées1, on voit bien qu’au sein de chaque segment, les touristes consomment une grande variété d’activités de toutes natures : des activités culturelles au degré de légitimité variable, des activités de loisirs, de nature, etc.

(cf. tab.3.2.n°3). Ainsi, les touristes qui consomment principalement des activités de culture

cultivée comme l’opéra, le théâtre, ou les concerts de musique classique, pratiquent aussi au cours de leurs séjours des activités comme le shopping (93,7%) ou la visite de foires ou de festivals (72,6%). Ils assistent aussi parfois à des concerts de rock (35,6%) ou pratiquent une activité sportive (36,6%). De même, les touristes qui visitent surtout des sites historiques et des musées aiment aussi observer la nature (50%) et visiter des parcs à thème (57%). Ainsi, la frontière entre culture et loisir devient de plus en plus fragile. On assiste à un phénomène de dédifférenciation entre des pratiques culturelles, sportives, écologiques, caractéristique des modes de consommation post-moderne (Nuryanti, 1996 ; Munt, 1994 ; Rojek, 1993 dans

Richards, 2002,2001). Les consommations culturelles (dans un cadre touristique ou quotidien)

sont dorénavant mises sur le même plan que d’autres formes de divertissement.

La consommation touristique du patrimoine apparait toujours comme le théâtre de processus de distinction où le déterminisme social joue un rôle central, mais celui-ci intervient dorénavant moins dans la définition des goûts et des pratiques et plutôt dans la manière d’aborder les objets culturels et patrimoniaux. S’il existe toujours une différenciation sociale des modes de consommation culturelle, le processus de distinction se déplace donc, de l’objet visité (légitime ou populaire) vers la manière dont celui-ci est abordé par le touriste, sa motivation. Ainsi, c’est la façon dont l’individu s’approprie les objets culturels, la manière d’aborder les pratiques dans leur diversité, l’intensité de l’expérience culturelle recherchée et vécue, qui confère à la pratique sa dimension culturelle, valorisée, distinctive. On peut ainsi distinguer schématiquement deux tourismes culturels :

Celui promu par les institutions internationales comme une alternative au tourisme de masse (Cousin, 2006 ; Picard 1992). L’incarnation d’une mobilité idéalisée qui apparait plus comme un tourisme de niche, spécifique (Tweed, 2005), dont les adeptes sont moins nombreux mais plus actifs, désireux d’interagir avec le lieu visité et sa population. C’est un tourisme marqué par une forte stratification sociale. Une clientèle disposant d’un niveau d’éducation et d’un pouvoir d’achat élevé, qui pratique de

1 On distingue ainsi les touristes qui participent aux pratiques historiques et d’explorations culturelles, aux

nombreuses activités, qui s’intéresse à tout, mais qui adopte une autre manière d’aborder l’objet visité. Une clientèle qui dispose d’un regard spécifique.

Et celui, de manière un peu paradoxale, qui renvoie à une consommation de masse du patrimoine et de la culture. Un tourisme plus passif, dont l’intérêt pour la culture est plus « général » (Tweed, 2005), qui suit les grandes tendances, et se concentre sur les « incontournables ».

Si touristes culturels spécifiques et générales consomment parfois les mêmes lieux, ils adoptent des approches différentes, ou s’y succèdent. Comme le souligne Munt (1994, dans

Richards, 2001), les destinations qui séduisent « l’avant-garde » perdent leur capacité de

distinction dès que le marché de masse s’en empare. Le tourisme culturel « de niche » se déplace alors vers de nouvelles destinations, plus confidentielles. Ces bouleversements de la demande suggèrent de dépasser la dichotomie traditionnelle, opposant activités de loisir et pratique culturelle ou patrimoniale, en proposant de nouvelles classifications des touristes basées sur la demande.

Tableau 3.2.n°3 : Les activités pratiquées au cours du séjour par différents segments de touristes culturels U.S.

Les touristes U.S. qui consomment principalement: historiques, des sites musées, galeries des concerts classiques, opéras, ballets Consomment aussi : Diner et shopping 90,3 93,7 Sites historiques, musées et galeries 100 81,6 Concerts classiques, opéras, ballets 16,7 100

Parcs à thème 57,0 67,8

Foires et festivals 54,4 72,6 Observation de la faune et de la flore 50,0 53,6 Sports et activités de bord de mer 47,6 54,7 Restaurants gastronomiques et spas 43,3 60,7 Activités sportives et jeux de société 28,2 36,6 Evènements sportifs 20,6 31,9 Concert « Rock », dance folklorique et récréative 20,4 35,6

Jogging 19,8 30,3

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