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L’analyse des publics : pratiques culturelles et stratification sociale

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CHAPITRE III. PRATIQUES, ENJEUX, ET MOTIVATIONS CULTURELLES LIEES A LA CONSOMMATION TOURISTIQUE DU PATRIMOINE LIEES A LA CONSOMMATION TOURISTIQUE DU PATRIMOINE

3.2.1. L’analyse des publics : pratiques culturelles et stratification sociale

A l’origine, le tourisme culturel était réservé aux classes privilégiées de la population. Ainsi, au XVIIIe siècle, les jeunes aristocrates anglais achèvent leur éducation par la découverte des capitales Européennes et des hauts lieux de la culture et du patrimoine avec « le Grand Tour »

(Boyer, 2005). Il semble qu’aujourd’hui encore, malgré les politiques culturelles et la

démocratisation de certaines pratiques, ce tourisme s’adresse plutôt aux populations qui bénéficient d’un statut social élevé. Ces pratiques restent en effet fortement liées au statut social et économique des touristes. On observe ainsi une surreprésentation marquée des populations les mieux éduquées, exerçant une profession valorisée et disposant de revenus relativement importants. Un public qui, sans surprises compte tenu de son pouvoir d’achat élevé, a tendance à dépenser plus que la moyenne des touristes.

Les « touristes culturels » sont pourtant loin d’être un groupe homogène. On constate en effet qu’une stratification sociale s’opère aussi au niveau des pratiques, en fonction de leur degré de légitimité d’une part, et d’autre part en fonction de leur banalisation ou au contraire de leur caractère plus confidentiel. On observe ainsi des différences importantes entre une clientèle plus fortement spécialisée, disposant généralement d’une instruction et de revenus supérieurs, et une clientèle qui consomment essentiellement les attractions culturelles incontournables. Clientèle qui comprend un public plus large, qui dépasse largement celui des amateurs d’art et de patrimoine.

Ainsi, les touristes américains qui visitent des sites historiques et des musées au cours de leurs séjours sont mieux éduqués que la moyenne des touristes1. Ils disposent aussi de revenus plus importants2. De manière générale, plus les touristes pratiquent d’activités culturelles au cours de leurs séjours, plus ils disposent de revenus importants et d’un niveau d’éducation élevé

(TAMS, 2007a). De surcroît, plus les activités consommées sont des éléments de culture

légitime, plus les revenus moyens des touristes américains qui les pratiquent augmentent

(TAMS, 2007b).

Ces données sont cohérentes avec celles collectées dans le cadre de l’analyse des pratiques touristiques en Europe. Là aussi, les touristes qui consomment des attractions culturelles disposent d’un niveau d’étude élevé (cf. tableau 3.2.n°1). Un peu plus de 80 % des personnes visitant un site culturel ont suivi des études d’enseignement supérieur, parmi lesquels les 3/4

1 43 % disposent d’un diplôme universitaire (TAMS, 2007a).

possèdent un diplôme universitaire de type Licence, ou Master1. On observe un niveau d’éducation plus élevé chez les touristes étrangers que chez les touristes locaux ou les résidents2.

Comme pour les touristes américains, les touristes voyageant en Europe qui consomment du patrimoine et de la culture disposent d’un statut économique élevé. On compte ainsi, parmi les visiteurs exerçant une activité professionnelle, presque 70 % de personnes exerçant une activité managérial ou une profession libérale (ATLAS, 2007). Ces données sont cohérentes avec le niveau d’étude observé, et vont de pair avec un niveau de revenus relativement haut. Selon Atlas, le revenu moyen des touristes qui consomment des produits culturels est 1/3 supérieur au revenu moyen des citoyens européens (Richards, 2001)3. Ce pouvoir d’achat supérieur se traduit par des dépenses élevées. Avec en moyenne 580 euros par voyages, les touristes culturels sont ceux qui dépensent le plus (cf.graph.3.2.n°1). Les enquêtes les plus récentes placent même ces dépenses moyennes au-dessus de 600 euros, avec des dépenses beaucoup plus importantes pour les touristes étrangers que pour les touristes domestiques

(ATLAS, 2007).

Le phénomène de stratification sociale s’opère aussi au sein des pratiques culturelles elles- mêmes en fonction de leur degré de légitimité, ou du dégré de compétence culturelle qu’elles requièrent (Richards, 1996a). La recherche d’une audience plus large ou au contraire les productions d’avant-garde destinées à une audience avertie aura donc un impact sur la structure de la clientèle. Ainsi, les classes sociales élevées sont plus fortement représentées dans l’audience des musées d’art que dans les autres musées. De la même manière, le patrimoine historique s’adresse à une audience plus large que le spectacle vivant et les arts visuels.

Les données de l’Eurobaromètre (2011) montrent que la culture est plus fréquemment le motif déterminant du départ chez les touristes européens bénéficiant d’un niveau d’éducation élevé. Elle est plus fréquemment la motivation des personnes exerçant une profession libérale et des indépendants, ou chez les personnes sans activité professionnelle4, plutôt que chez les employés et les ouvriers. Il semble aussi que les européens disposant d’un revenu élevé soient plus influencés par la présence de sites historiques et culturels lors du choix de leurs vacances.

1 Soit respectivement 35 % et 24 % du total

2 73 % des touristes étrangers disposant d’un diplôme de niveau licence ou master, contre 49 % des résidents. 3 Le phénomène est sans doute accentué par la présence de touristes étrangers aux revenus élevés, des Etats-

Unis notamment

Une large majorité de touristes européens se concentrent sur les destinations connues1. C’est plus souvent le cas des touristes les plus âgés et les moins bien éduqués, ainsi que chez les ouvriers et les personnes sans activité. Les touristes les mieux éduqués, les étudiants, ceux exerçant une profession libérale, les indépendants, ou encore les employés, ont plus tendance à s’aventurer hors des sentiers battus (Eurobaromètre, 2011).

On retrouve ce goût prononcé pour l’incontournable dans l’enquête sur les touristes long- courriers chinois (CCT, 2007). La visite de villes de renommée mondiale, d’attractions connues, et de sites historiques célèbres, est pour l’ensemble de ces touristes une motivation importante (pour plus de 90 % d’entre eux). L’enquête met en lumière différents segments motivationnels qui se distinguent notamment par leur sensibilité culturelle et leur statut socio- économique2 (cf.tabl.3.2.n°2). Les jeunes explorateurs (13 %), les visiteurs de lieux célèbres (20%), les traditionalistes enthousiastes (6 %), les adeptes des vacances sans risque (31%), et les économes (25%), sont les segments principaux3.

Le premier groupe est composé des touristes chinois les mieux instruits et disposant des revenus les plus importants. Ils sont plus souvent cadre ou dirigeant dans des entreprises étrangères, ou fonctionnaire de niveau moyen ou supérieur. Ils sont aussi ceux qui recherchent l’expérience culturelle la plus profonde, caractérisée par une volonté de découverte, une recherche de nouveauté, un intérêt marqué pour la culture et l’identité du lieu visité. Plus audacieux et plus indépendants que les autres touristes, ils ont plus tendance à s’écarter des chemins battus que les visiteurs de lieux célèbres. Ces derniers sont moins instruits et moins à l’aise financièrement que le segment des jeunes explorateurs. Ils travaillent souvent dans des entreprises étrangères. Ils se caractérisent par la recherche de l’incontournable, et disposent d’un profil socio-économique assez proche de celui du touriste long-courrier chinois moyen. Plus proche du touriste moyen au niveau de l’échelle des revenus que les autres segments4, ces touristes sont légèrement mieux instruit que la moyenne. L’intérêt culturel est moins marqué dans les autres segments, composés de touristes disposant d’un niveau d’éducation ou de revenus moins important. Le segment des traditionalistes enthousiastes se rapproche de la

1

58 % contre 28 % pour les destinations émergentes (13 % ne jugent pas le critère important).

2 Notons que le touriste long-courrier chinois moyen dispose déjà d’un niveau d’éducation et de revenus

importants. En effet, si 83 % de la population chinoise dispose de revenus mensuels inférieurs à 7 000 yuans, 76 % des touristes long-courriers disposent d’un revenu allant de 7 000 à plus de 20 000 yuans. De même, 73 % d’entre eux bénéficient d’un niveau baccalauréat ou universitaire, contre 37 % pour l’ensemble de la population chinoise (CCT, 2007).

3 Auxquels on ajoute les hédonistes (3 %) tournés vers les produits de luxe, et les touristes de nature (2 %). 4 Le premier segment semble tirer la moyenne des revenus vers le haut.

notion de « touristes culturels consciencieux » proposée dans la typologie de McKercher et Du Cros (2002), et pour lesquels la culture est un élément important de la motivation bien que l’expérience recherchée et ressentie soit superficielle (cf. Schéma 3.2.n°1). Ceux disposant des revenus les moins importants (les économes) se distinguent par un certain manque d’appétence pour la dimension culturelle de la destination.

Soulignions enfin que le tourisme culturel est particulièrement développé chez les personnes exerçant une activité professionnelle en lien avec la culture. Environ ¼ des visiteurs de sites culturels considèrent avoir une profession en rapport au milieu culturel. Proportion beaucoup plus importante que la proportion d’emploi culturel au niveau Européen1. Ceci tendrait à montrer que les personnes travaillant dans la culture ont plus tendance à pratiquer des activités culturelles dans leurs loisirs et pendant leurs vacances ; mais aussi sans doute que les personnes interrogées ont une vision plus large du secteur que la définition statistique relativement stricte des professions culturelles2 (ETC/WTO, 2005). Comme le souligne

Richards (1996a), ces visiteurs jouent un rôle central comme consommateurs mais aussi comme innovateurs ou prescripteurs pour les consommateurs culturels plus passifs. Ils jouent le rôle d’intermédiaires et vont dans une certaine mesure, avec les médias, les guides, etc., façonner la consommation touristique de produits culturels (cf. chap.5, sect.2).

1 En 2002 dans l’UE, 4,2 millions environ d’actifs ont un emploi culturel, soit 2,5 % de la population active

occupée – (Enquêtes Forces de travail/Eurostat/Deps 2005).

Tableau 3.2.n°1: Niveau d’études (%) Touristes

étrangers T. domestiques ou résidents Total

2001 Primaire 1 2 1 Secondaire 13 24 20 BTS 14 25 21 Licence 45 30 34 Master 28 19 24

Source : ETC/WTO (2005) à partir des données d’ATLAS (2001)

Tableau 3.2.n°2: Segments motivationnels des touristes long-courriers chinois

Exp.1 Cél.2 Trad.3 Risq.4 Eco.5 Total

2007 % % % % % % Age De 18 à 34 ans 58 50 36 38 42 42 De 35 à 44 ans 17 26 23 26 22 24 De 45 à 64 ans 25 20 39 30 30 30 Plus de 65 ans 0 3 1 6 6 4 Education

Niveau BAC ou universitaire 75 67 44 64 62 64

Emploi

Revenu mensuel > 10 000 yuans 44 37 35 35 31 39 État : niveau moyen ou sup 14 10 11 13 11 12 État : technicien ou ouvrier 16 16 15 20 22 18 Entr. étrangère : cadre ou dirigeant 24 26 13 19 13 19 Entr. étrangère : employé ou ouvrier 21 24 23 20 27 23 Culture / Enseignement / Sciences 8 7 6 9 8 7 Pigiste / Travailleur autonome 17 16 27 13 15 16

Source :CCT, 2007

(1) : les jeunes explorateurs, 13% ; (2) : les visiteurs de lieux célèbres, 20%; (3) : les traditionalistes enthousiastes, 6 % ; (4): les adeptes des vacances sans risque, 31% ; (5) : les économes, 25%.

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