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Le phénomène de régionalisation du patrimoine

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CHAPITRE II. TOURISME ET PATRIMOINE CULTUREL : ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE

M. of the World

2.1.3.2. Le phénomène de régionalisation du patrimoine

Cette crise de la modernité évoquée aux paragraphes précédents, cette crise identitaire, se matérialise aussi dans son lien avec le territoire. La globalisation et ses conséquences : le décloisonnement des cultures proches et lointaines, le tourisme, l’émergence de nouveaux espaces cherchant à se construire une identité distincte ; autant de facteurs susceptibles de déstabiliser les identités locales et régionales, de remettre en question le groupe dans ses rapports à la culture et au territoire. Le patrimoine se présente alors comme un outil au fort potentiel dans l’affirmation des identités local.

Comme le souligne Richards (1996a), si le nationalisme fut le moteur principal du développement patrimonial du XIXe siècle, c’est un phénomène de régionalisation du patrimoine qui détermine son expansion dans la seconde moitié du XXe siècle. Il est favorisé par la dissolution de l’idée d’universalisme culturel et le déclin des cultures nationales uniformes (Richards, 1996a) ; laissant ainsi plus d’espace aux éléments des cultures locales et régionales qui peuvent alors être mis en avant et acquérir un statut patrimonial. Le cas du développement des écomusées depuis les années 19701, institutions centrées sur un territoire, sa culture, et son développement, illustre bien ce phénomène. Ce type d’institutions fut initialement définies lors de la neuvième conférence du Conseil International des Musées de 1971 par Rivière et Varine, comme :

« Un musée éclaté, interdisciplinaire, démontrant l’homme dans le temps et dans l’espace, dans son environnement naturel et culturel, invitant la totalité d’une population à participer à son propre développement par divers moyens d’expression basés essentiellement sur la réalité des sites, des édifices, des objets, choses réelles plus parlantes que les mots ou les images qui envahissent notre vie ».

Rivière et Varine (1971) 9ème conférence du Conseil International des Musées.

L’exemple de la France montre une évolution du cadre institutionnel et législatif qui tend à favoriser l’ancrage territorial du patrimoine. On observe un processus de spatialisation du

1 Selon la Fédération des écomusées et des musées de société (FEMS), on compte aujourd’hui en France plus

de 180 établissements muséographiques adhérents, dont 65 % bénéficient de l’appellation Musée de France. Près d’un Musée de France sur dix est donc adhérent FEMS. Ces membres accueillent chaque année 4 millions de visiteurs.

patrimoine qui entraine une extension du domaine de protection, d’objets et d’édifices d’abord1, vers des espaces de plus en plus vastes (Di méo, 2007). On fait progressivement

entrer dans le champ de protection l’environnement proche des monuments2 ; des secteurs

urbains entiers, avec les secteurs sauvegardés introduits par la Loi Malraux3 ; et enfin des villes et des régions entières, comme en témoigne la création du label « villes et pays d’art et d’histoire », ou les zones classées au titre des paysages culturels du patrimoine mondial de l’Unesco comme le Val de Loire4. On compte aujourd’hui 163 villes et pays d'art et d'histoire répartis dans toute la France, 102 secteurs sauvegardés et 627 ZPPAUP (MCC/DGP/DEPS,

2012).

Le processus de décentralisation joue aussi un rôle important. La prise en compte du patrimoine local se consolide à partir des années 1980 avec le renforcement de compétences accordées aux régions, aux départements et aux communes5. Les procédures d’inscription sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques sont décentralisées en 19846. On prend en charge, en 19967, le patrimoine de proximité, patrimoine modeste ne faisant pas l’objet d’un classement ou d’une inscription. Enfin, la loi du 13 août 2004 organise le transfert de propriété de monuments de l’Etat aux collectivités territoriales. Les collectivités gèrent désormais le patrimoine culturel, les opérations d’inventaire et les crédits affectés à la conservation du patrimoine rural non protégé.

Le lien entre patrimoine et territoire c’est donc considérablement renforcé. De nombreux acteurs ont de plus en plus recours au patrimoine dans la construction de projets territoriaux

(Landel et Teillet, 2003). Outil prisé des collectivités et des acteurs du développement local, il

occupe désormais une part active dans les politiques territoriales, mobilisé à des fins de

1

La démarche initiale visait parfois des éléments d’architectures isolés. La zone de protection était limitée à l’essence même de l’objet patrimonial. On classait ainsi un balcon ou une façade sans que l’édifice dans son ensemble ne bénéficie de protection : e.g. à Strasbourg, la façade ainsi que la toiture et la grille d'entrée de l’Hôtel Brion sont inscrit au MH depuis 1934 ; la même année, l’Hôtel voisin Brackenhoffer a bénéficié d’une inscription pour ses portes sur rue et sur cour avec vantaux.

2 La loi du 25 février 1943 étend la protection à un périmètre de 500 mètres autour des monuments et impose

un contrôle des travaux par l’architecte départemental des Bâtiments de France.

3 La création des parcs naturels en 1960, puis de la DATAR en 1963, ouvre la voie à une conception plus large

des espaces de protection du patrimoine culturel. Ainsi, en 1962, la Loi Malraux permet la protection de quartiers entiers et prend la forme, au début des années 1980, de « Zones de protection du patrimoine architectural et urbain » avec les lois de décentralisation, renforcées par la loi « paysages » du 8 janvier 1993 (ZPPAUP).

4 Le Val de Loire est inscrit comme paysages culturels vivants depuis 2000 au patrimoine mondial de

l’UNESCO. La protection s’étend sur 280 km de long et 800 km2.

5 La loi du 7 janvier 1983 répartie les compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat. 6 Décret du 15 novembre 1984

construction identitaire et de développement économique. Les liens entre patrimoine, territoire et identité se renforcent donc et se matérialisent par un échange réciproque.

D’une part : « Les territoires, les représentations culturelles qu’ils engendrent,

jouent un rôle très puissant dans toute qualification patrimoniale des objets comme des lieux qui les parsèment et les caractérisent. L’effet territorial leur confère une forte dimension identitaire ». D’autre part : « Les objets et les lieux patrimoniaux (patrimonialisés) contribuent à forger des territoires en fournissant quelques symboles clés (…) aux schèmes structuraux qui les sous-tendent et les charpentent ».

Di Méo (2007:6)

Si le régionalisme devient un moteur du développement patrimonial, le patrimoine apparait comme un nouvel outil, un levier du développement local, une ressource économique pour les territoires et un moyen d’affirmer leur identité et leur spécificité.

Le patrimoine devient une « ressource territoriale » (Landel et Pecqueur, 2009 ; François et

al., 2010 ; 2006 ; Landel et Senil, 2009), une ressource collective endogène qui doit être mise

à profit, et dont le caractère spécifique, c’est à dire ancré sur un territoire et non reproductible

(Colletis et Pecqueur, 1993), lui confère un pouvoir de différenciation, « une possibilité de distinction des produits » dans un contexte de concurrence généralisée (Landel et Senil 2009:2). Ainsi, le développement régional et l’arrivée de nouveaux territoires cherchant à se

construire une identité distincte et à promouvoir leur image, est à l’origine d’une valorisation et d’un maillage de plus en plus dense de l’offre patrimoniale. L’étude de la répartition territoriale de l’offre patrimoniale en France semble confirmer cette tendance (cf. carte

2.1.n°1 ; tabl.2.1.n°12)1. La carte 2.1.n°1 montre comme l’offre patrimoniale s’étend sur

l’ensemble du pays. Chaque région dispose de ressources patrimoniales, bien que celles-ci ne soient pas réparties de façon homogène sur l’ensemble du territoire2.

1 On est passé de plus de 360 Musées et 2 260 MH au début du siècle, à plus de 1 200 Musées et 45 807 MH

aujourd’hui.

2 Ainsi, les régions Rhône-Alpes et PACA, disposent de 2 et 2,3 fois plus de Musée de France que la moyenne.

Nombre moyen de MDF par régions = 1216/23=52 (MCC/DGP/DEPS, 2012). Le Midi-Pyrénées, le Centre, l’Aquitaine, et la Bretagne sont les régions comptant le plus de monuments historiques. L’Ile-de-France apparait largement mieux dotée que les autres régions en termes de patrimoine muséal et monumental.

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