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L’émergence d’institutions superstars

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CHAPITRE II. TOURISME ET PATRIMOINE CULTUREL : ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE ANALYSE D’UNE OFFRE A GEOMETRIE VARIABLE

M. of the World

2.1.4. Une offre polarisée autour des grandes villes et des attractions majeures

2.1.4.2. L’émergence d’institutions superstars

On l’a vu, au XXe siècle le patrimoine se diversifie. Il se fragmente. Il touche progressivement

tous les domaines, du plus valorisé au plus trivial, parfois. Si bien qu’aujourd’hui, rares sont les objets qui ne disposent pas d’un potentiel patrimonial (Melot, 2005). Cependant, au sein de cette dynamique du « tout patrimoine » (Hartog, 2003), émerge des biens bénéficiant d’un statut particulier. Ces incontournables disposent de caractéristiques spécifiques qui les différencient des autres biens patrimoniaux et les placent au centre de l’offre patrimoniale des destinations. On discutera dans ce paragraphe des spécificités de ces institutions « superstars » (Benhamou et Thesmar, 2011 ; Frey, 1998). La manière dont celles-ci se traduisent au niveau de l’attractivité des biens et des flux touristiques sera discutée au chapitre suivant (cf.chap.3sect.1). Comme le suggère Françoise Benhamou et David Thesmar (2011), on peut étendre cette analyse en terme d’institutions superstars à l’ensemble du marché du patrimoine. Néanmoins, c’est d’abord dans le cadre de l’analyse des musées que la notion a été utilisée (Frey, 1998). Ainsi, Frey (1998) identifie un groupe de musées qui se distingue des autres institutions muséales : les musées superstars.

- Se sont des attractions présentées comme indispensable, des « must see » sans lesquelles la visite d’une destination ne serait pas complète. Le musée du Vatican pour Rome, l’Hermitage pour Saint-Pétersbourg, le Louvre pour Paris, sont des institutions mises en avant par les destinations, les guides, les opérateurs. Elles ont acquis le statut d’attractions phares1 et leur visite constitue parfois le motif principal d’un séjour.

- Leur succès tient sans nul doute à la richesse de leurs collections, tant en termes de volume2 qu’au regard de la notoriété des pièces qui y sont exposées. Bien qu’ils présentent souvent des centaines d’artistes et des milliers d’œuvres, leur notoriété repose principalement sur un petit nombre d’artistes et d’œuvres mondialement connues3 ; des

artistes superstars et des œuvres dont la notoriété constitue sans nul doute un avantage

décisif sur les musées de moindre importance. Ainsi, la majorité des œuvres de la

1 Ils attirent un grand nombre de visiteurs. Ils accueillent un tourisme de masse, souvent tourné vers une

clientèle étrangère. Ainsi, le Louvre accueillait 8,3 million de visiteurs en 2010, dont 67 % d’étrangers.

2 Ainsi, les collections de l’Ermitage comptent près de 3 millions d'objets. S’il n’expose que 5 % des œuvres, le

musée compte dans ses réserves 17 000 tableaux, 620 000 œuvres d’art graphique, 12 000 sculptures et 250 000 œuvres d’art décoratif, 740 000 objets archéologiques et plus d’1 million d'objets numismatiques

(www.hermitagemuseum.org).

3 Si le British Muséum de Londres dispose d’une collection de 8 millions d’objets, dont 50 000 sont exposés

(www.britishmuseum.org), il met en scène des pièces d’une valeur inestimable comme le Buste de Ramsès II, la frise du Parthénon ou encore la Pierre de Rosette.

collection du Louvre, riche de 35 000 pièces exposées et 445 000 conservées dans les réserves (MCC, 2007), est parfois occultée par des pièces comme le portrait de Mona Lisa, dont l’accès est facilité par la mise en place d’une signalétique dès l’entrée du Musée.

- D’autre part, l’architecture des musées superstars constitue souvent un élément distinctif et participe, à elle seule, à leur notoriété. Ainsi, la pyramide du Louvre, résolument moderne, contraste avec le Palais du Louvre, édifice d’architecture classique qui fut, avant d’abriter les collections du musée, la résidence des rois de France pendant plus de trois siècles. De la même manière, le Centre Pompidou ou encore le Guggenheim de Bilbao sont des œuvres architecturales en soi.

- Les musées superstars offrent aux visiteurs ce que Frey (1998) qualifie « d’expérience

totale ». Ces musées sont dotés de nombreux équipements permettant d’offrir à une large

clientèle1 une expérience qui dépasse la simple visite et qui lie découverte, expérimentation et divertissement. Ainsi, le Louvre propose des formations ; des visites interactives sous forme d’ateliers permettant au visiteur de manipuler le matériel nécessaire à la création et de s’initier à des techniques artistiques. Il dispose d’une médiathèque ; d’un auditorium proposant des conférences sur l’archéologie et l’histoire de l’art. Il met à la disposition des visiteurs une librairie, une boutique de souvenirs, des cafés et restaurants, et même, avec ‘le Carrousel du Louvre’, un espace souterrain entièrement dédié au shopping.

- Enfin, les musées superstars sont réputés avoir un impact significatif sur l’économie locale. L’afflux de visiteurs génère non seulement des revenus pour le musée mais aussi des dépenses hors de l’institution, dans l’hôtellerie et la restauration notamment, les transports, etc. Citons ici le rapport de Françoise Benhamou et David Thesmar (2011) sur la valorisation du patrimoine culturel Français qui, partant du postulat selon lequel la visite du Louvre nécessite de prolonger le séjour d’une journée supplémentaire, estime les dépenses touristiques générées par la présence du musée à 840 millions d’euros en 20102. Comme le soulignent Benhamou et Thesmar (2011), l’estimation, quoi que grossière, permet de donner une évaluation approximative de l’ampleur des flux financiers générés

1 Clientèle qui dépasse largement celle des amateurs d’art (cf. chap.3).

2 Sachant que le Musée accueillait 5,6 millions de touristes étrangers en 2010 et que leurs dépenses moyennes

par une attraction culturelle majeure. On prête à certaines institutions un rôle majeur dans la redynamisation de l’économie locale. Le musée Guggenheim de Bilbao est souvent cité dans la littérature comme un programme modèle de revitalisation économique, ayant permis la reconversion d’une région touchée par le déclin industriel (Plaza & Haarich,

2009 ; Vivant, 2007 ; Plaza, 2006 ; 2000 ; 1999 ; Origet du Cluzeau, 2006 ; Ballé, 2003 ; Richard, 2001 ; Throsby, 2000).

Un nombre limité de musées dans le monde ont acquis un tel statut. Certains remplissent pleinement les différentes caractéristiques (e.g. le Louvre), pour d’autres, le degré auquel ils répondent à ces critères varie.

Il en va de même pour le patrimoine monumental. Certains biens patrimoniaux, d’une valeur culturelle, historique, artistique, identitaire exceptionnelle, disposent d’une notoriété mondiale. Ils concentrent une part importante des visites, et ont un impact substantiel sur l’économie locale. Ainsi, des biens patrimoniaux remarquables, comme Notre-Dame de Paris, les Pyramides d’Egypte, le Taj Mahal, ou les temples d’Angkor, entrent dans cette catégorie et peuvent sans doute être analysés en termes d’institutions superstars.

Ainsi, malgré la diversification de l’offre patrimoniale, il semble que les institutions patrimoniales traditionnelles comme les grands monuments ou « les grands musées et, plus

particulièrement, les musées de beaux-arts, gardent toute leur influence » (Hudson, 1987 dans Ballé, 2003).

Peut-être l’évolution la plus marquante entre le XIXe et le XXe siècle n’est finalement pas celle de la fragmentation ou de la régionalisation du patrimoine, mais plutôt celle de l’entrée de considération économique dans un domaine jusque-là réservé à la culture. Face à la très forte concurrence entre sites, entre territoires, la réussite d’un projet culturel ne peut plus se mesurer uniquement à l’aune de sa valeur identitaire, de ses qualités esthétiques, ou du succès face aux critiques spécialisées. Elle doit aussi remporter un certain succès commercial, et ce, même pour les institutions vivant de subventions, qui doivent justifier de la bonne utilisation des fonds publics (Richards, 1996a). Cette quête de succès commercial pousse à la mise en place d’opérations importantes. De nombreuses destinations optent aujourd’hui pour des stratégies de ce type, centrées sur des investissements culturels parfois extrêmement importants, ayant pour but de créer des institutions iconiques, des incontournables, et dont on espère les retombées à la hauteur des fonds investis. C’est souvent un pari risqué. Derrière les

La conception occidentale de la notion de patrimoine, centrée sur le bâti, et de manière générale sur les biens hautement valorisés, se diffuse à l’échelle mondiale dès le XIXe siècle au travers des empires coloniaux (Claval, 2003). Le phénomène se poursuit au XXe siècle sous l’influence de la mondialisation, du tourisme, et par l’intermédiaire d’organismes internationaux tel que l’Unesco, qui œuvre à la prise de conscience d’un héritage mondiale à sauvegarder. Comment cette approche de la notion de patrimoine, ancrée dans une philosophie et une culture européenne, a-t-elle pris corps hors du contexte qui l’a vu naitre ?1 On notera d’abord les différences importantes quant au rapport au patrimoine en fonction des contextes culturels (2.2.1.). On soulignera ensuite les difficultés et les enjeux liés à la diffusion de l’approche occidentale de la notion de patrimoine, et les échanges d’influences qui en résultent (2.2.2.).

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