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CHAPITRE 4 Analyse des activités d’élaboration de contenuAnalyse des activités d’élaboration de contenu

4. Analyse des activités d’élaboration de contenu

4.5. Propositions co-construites

4.5.1. Propositions co-énoncées

Pour décrire les propositions énoncées, on se réfère à la notion de

co-énonciation126 qui selon T. Jeanneret (2001 : 81) « désigne un événement langagier que

l’on dira, dans une définition schématique, être constitué de deux tours de parole dont le second est la continuation syntaxique du premier ». Elle implique la co-production

d’un « discours monologique mais dialogal » (Jeanneret, 1999 : 5). Toujours selon cet auteur, « Les enchaînements en coénonciation interviennent quand l’interlocuteur juge

nécessaire d’achever le tour de parole » (ibid., 188). Dans son ouvrage de 1999, T.

Jeanneret dégage deux grands types de co-énonciation que l’on retrouve dans nos corpus : la « coénonciation en réparation » et la « coénonciation par attachement ».

La co-énonciation en réparation signifie que l’interlocuteur complète une proposition syntaxiquement inachevée du locuteur ; elle est principalement due à une lacune lexicale de ce dernier et sera étudiée de façon approfondie dans le chapitre suivant portant sur les activités métalinguistiques. Elle peut être effectuée :

- Sans rupture syntaxique :

126

T. Jeanneret (1999) souligne que de nombreuses désignations ont été utilisées pour rendre compte du phénomène de co-énonciation : « phrases en collaboration » (collaborative sentences) (Jefferson, 1973 ; Sacks, 1992), « complétion du tour de parole » (André-Larochebouvy, 1984), « locuteur collectif » (Loufrani, 1981), « achèvement interactif du discours » (Gülich, 1986), « unité syntaxique produite

[Corpus 1 : 121-122] S (Sud-coréenne) et E (Emirienne)

Extrait 9

1S et et il se/ il se/ prépicita pour euh: (fait le geste de balayer) faire le 2E pour euh ménage

3S : ouais

- Avec rupture syntaxique :

Lorsque le locuteur qui rencontre un obstacle lexical explicite métadiscursivement sa recherche.

[Corpus 4 : 16-17] Su (Hollandaise) et Jo (Etasunien)

Extrait 10

16Su et: plusieurs possibilités (11s) euh ++ comment s’appelle ça° tchut ++ 16Jo euh un:

16Su une glisse

17Jo ouais ouais ouais un: + toboggan (4s)

La co-énonciation par attachement survient lorsque l’un des locuteurs ajoute un élément au tour de parole précédent alors que ce dernier était achevé (Jeanneret, 1999 : 189). Il paraît nécessaire d’adapter cette définition à notre objet d’étude spécifique en précisant que l’interlocuteur ajoute un élément à la proposition du partenaire qui pouvait être considérée comme achevée syntaxiquement.

[Corpus 1 : 103-104] E (Emirienne) et S (Sud-coréenne) / Scribe : S

Extrait 12

Respectant la consigne intermédiaire 2, les deux étudiantes rédigent la description des extraterrestres. Après avoir décrit leur tête, elles en viennent aux bras.

1S : une + une tête et euh les vra: les bra:s longues 2E : bras les bras longues jusqu’à: +

3S : jusqu’à

4E : trois mille mètres (rire)

5S : oh la la“ (rire) (tape) les euh: les:: bras: longues ++ les br/ longs° +

En [1], l’étudiante sud-coréenne apporte un élément nouveau à la description, cet élément pouvant être considéré comme une proposition complète : une partie du corps puis une caractérisation de cette partie du corps au moyen d’un qualificatif ("les bras longues"). Mais en [2], E reprend127 cette proposition et y ajoute "jusqu’à" rendant de ce

127

Certaines co-énonciations « sont précédées d’une reprise, c’est à dire de la répétition dans le second

fait la proposition inachevée. Et c’est finalement en [4] qu’elle achève la proposition ; celle-ci a donc été co-énoncée sur plusieurs tours de parole.

Il est des cas où l’un des locuteurs complète un énoncé inachevé de son partenaire sans que ce dernier ait manifesté le fait qu’il rencontrait un obstacle linguistique. Cela se produit lorsque les deux apprenants sont engagés dans la co-construction d’un nouveau contenu propositionnel et que chacun ajoute, dès qu’il le peut, un élément à ce qui précède (phénomène d’empilement syntagmatique), sans attendre que le partenaire ait achevé de verbaliser une proposition qui aurait pu être complète. Dans ces cas, il paraît plus juste de parler également de énonciation par attachement que de co-énonciation en réparation.

[Corpus 1 : 67-67] E (Emirienne) et S (Sud-coréenne)

Extrait 11

1S il faut: quelques exemplaires ex/ explicatio ns pour euh (rire) pour euh

2E hm

3S pour celles qui connaissent pas euh la Houille blanche je crois (rire) P.S. la Houille Blanche

4E pff J c’est: c’est: c’est une 5S c’est une résidence

6E au milieu de: nulle part (rire) 7S horrible (rire)

8E c’est comme cette planète au milieu de nulle part +

Dans cet extrait, l’activité d’élaboration de contenu est précédée d’un micro-cadrage planifiant réalisé par S [1]. On peut noter que le caractère directif de ce cadrage porté par l’emploi d’une modalité déontique ("il faut" [1]), est atténué par l’utilisation d’une modalité épistémique à la fin ("je crois" [3]). La proposition de contenu (qui se présente déjà sous la forme d’un segment candidat à l’inscription) est ensuite co-énoncée par les deux apprenantes sur plusieurs contributions, certaines prises de parole étant en chevauchement. C’est ainsi, d’ailleurs, que les deux apprenantes apportent deux complétions distinctes à la première partie du segment de texte ("au milieu de nulle part" [8E] et "horrible" [9S]). Après une activité métalinguistique orientée vers l’explication du terme "nulle part", c’est ce dernier qui sera gardé pour figurer dans le texte.

Cet exemple illustre l’importance des activités de micro-cadrage qui facilitent la co-orientation dans l’activité de recherche de contenu. Cette proposition en co-énonciation, ratifiée par S qui en est l’initiatrice, montre que l’univers fictionnel est une construction

commune et que le sens se construit de façon située au fur et à mesure du déroulement de l’interaction.

Sur un tout autre plan, soulignons ici que les nombreux rires et le sourire de E

provoqués par le caractère humoristique de leurs propositions128 rend compte du partage

d’émotions positives par les deux apprenantes, en lien avec l’accomplissement de la tâche.

Selon T. Jeanneret « la coénonication est une action conversationnelle qui consiste à

contribuer à une formulation […] » (1999 : 191). Bien entendu, la co-énonciation peut

être validée ou non par le premier locuteur. Ce type de co-construction se fonde sur la possibilité pour le second locuteur d’anticiper le schéma syntaxique amorcé par le premier dans le cas de la proposition co-énoncée en réparation, ou de le compléter dans le cas de la proposition co-énoncée par attachement. Ainsi, que cela soit pour apporter une aide au partenaire (étayage à la recherche lexicale) ou pour ajouter au contenu déjà là, cette possibilité « repose de façon cruciale sur l’interprétation en temps réel que fait

le second de la contribution du premier » (Gajo, Mondada, 2000 : 117). La

co-énonciation rend compte d’un fort degré d’orientation vers le discours de l’autre et constitue ainsi une trace du travail de coordination des apprenants dans l’accomplissement de la tâche et donc de leur collaboration.