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CHAPITRE 4 Analyse des activités d’élaboration de contenuAnalyse des activités d’élaboration de contenu

4. Analyse des activités d’élaboration de contenu

4.5. Propositions co-construites

4.5.2. Propositions co-élaborées

4.5.2.2. Cas limite de co-élaboration

[Corpus 2 : 50-56] R (Néo-zélandaise) et K (Allemande)

Extrait 14 : « ils étaient bizarres »

Dans ce fragment, conformément à ce qu’indique la consigne intermédiaire 3 donnée par le logiciel, les deux apprenantes élaborent le récit des premiers contacts entre les cosmonautes et les créatures de la planète.

131

Cette expression est utilisée par D. Apotheloz (2001) pour désigner le texte rédigé par des scripteurs dans le cadre d’une interaction rédactionnelle.

Texte conversationnel Découpage micro-actionnel 1R les premiers contacts ++

2K [c’était comme c’était?] [000] ++ [oui c’est ça?] euh est-ce qu’on euh est-ce qu’on parlait peut être°

3R [00] (avec le clavier R effectue une correction sur le texte déjà tapé) ++ 4K ah oui

5R [00000000] les premiers contacts euh 6K est-ce qu’on a parlé° [00] +

7R euhm (5s) les: cosmoa/ cosmonautes 8K hm hm

9R leur euh a demandé +

10K qu’est-ce qu’ils veulent veulent + 11R vous êtes qui° J +

12K (petit rire) 13R qui vous êtes°

14K (tape) cos (petit rire) + 15R cos euh monaute (5s) leur: 16K leur: regardaient peut être 17R leur a leur a demandé° 18K leur regardaient et:: 19R regardaient

20K [rien dire?] ils étaient bizarres (rire) 21R euh: leur a: leur ont essayé de: leur

parler° + [tries ?] 22K hm hm + c’est: 23R [oui?]

24K c’est ce qu’on dit° comme ça leur/ non essayaient ++ essayent

25R ont ont essayé

R : relecture d’une partie de la consigne K : Proposition de type micro-cadrage planifiant (= est-ce qu’on écrit un dialogue ?)

R : action de correction K : ratification de la correction R : relecture de la consigne

K : reformulation de sa proposition énoncée en [2]

R : verbalisation d’un segment de texte inachevé syntaxiquement mais qui va dans le sens du micro-cadrage réalisé par K.

K : complétion de la mise en mots inachevée de R.

R : reformulation de la complétion, donc achèvement de sa propre mise en mots.

R : auto-reformulation K : auto-dictée et inscription R : hétéro-dictée

K : proposition de reformulation

R : auto-reprise de sa proposition formulée en [9]

K : auto-répétition de sa proposition en [16] R : hétéro-répétition

K : auto-achèvement de sa proposition R : nouvelle proposition de contenu K : ratific ation par inscription

K : demande de vérification concernant le temps utilisé

R : satisfaction de la demande. Correction verbalisée et saisie avec le clavier

La construction du nouveau contenu propositionnel visant à élaborer l’univers fictionnel est amorcé par un micro-cadrage planifiant réalisé par K ("euh est-ce qu’on euh est-ce qu’on parlait peut être°" [2K] = « est-ce qu’on écrit un dialogue° ») et répété en [6]. R ne réagit pas à cette suggestion mais son amorce de proposition, avec l’emploi du verbe demander, indique qu’elle va dans le sens de la création d’un dialogue. Une première proposition est formulée en co-énonciation par R et K ([7] à [10]), mais R rejette implicitement l’énoncé de K en verbalisant un autre segment pour compléter son propre énoncé. K commence la saisie puis s’interrompt pour formuler une autre proposition de contenu [16]. De [16] à [21], les deux apprenantes verbalisent alternativement des propositions de contenu sans véritable lien sémantique entre elles

(pas de reprise), et chacune tente en parallèle d’imposer sa proposition sans qu’il y ait de trace de négociation. En effet, le peu d’éléments souligné (en grisé) sur l’ensemble de la transcription de ce fragment montre que les contributions se limitent essentiellement à des formulations du texte-cible : il n’y a ni marqueur d’accord ou de désaccord explicite ni marqueur d’opposition. On relève néanmoins des marqueurs de modalisation : deux propositions de R sont modalisées par la prosodie (modalité interrogative :[17] et [21]), une proposition de K est modalisée grâce à l’emploi de l’adverbe "peut être" [16K], et une autre grâce à un rire [20K]. Finalement, c’est l’énoncé de R qui est ratifié par K et saisi.

Le micro-cadrage initial de K a permis d’initier une recherche de contenu convergente (orientée vers un but défini : l’écriture d’un dialogue) et cette apprenante a pu y prendre part de façon active. En effet, au cours de cette séance de travail, l’étudiante allemande rencontre des difficultés pour formuler des propositions visant à construire l’univers fictionnel, sa partenaire allant souvent plus vite qu’elle. Or dans cette séquence, il semblerait que le cadre de recherche commun qu’elle a proposé au départ et qui a été implicitement ratifié par R, lui ait permis de participer à la recherche de contenu.

Cependant, même si chacune a en partie contribué à l’élaboration de contenu, on considère qu’il s’agit d’un cas limite de co-élaboration dans la mesure où les propositions ne sont pas co-orientées sémantiquement et où l’absence de réaction aux propositions du partenaire (qui est le fait des deux interlocutrices) donnent l’impression d’être face à une conduite réciproque, dite de « surdité interactionnelle » (de Nuchèze, 2004), jusqu’à ce que K finisse par ratifier la proposition de R. Toutefois, l’observation du comportement non verbal des apprenantes révèle que cette « surdité » n’est pas totale, car au cours de cette activité, les deux apprenantes échangent un regard et R

dirige son regard vers sa partenaire à deux autres reprises132. La partenaire n’est donc

pas complètement ignorée, mais chacune tente d’imposer son idée sans manifester de prise en compte de celles de l’autre.

132

Lorsqu’un tour de parole se limite à une formulation du texte-cible, sans introduction explicitement métalangagière de celle -ci (par exemple : « on peut dire »), ni même de marque prosodique d’interrogation, c’est le regard du locuteur adressé à son partenaire, en fin de tour, qui semble constituer l’indice d’une demande d’accord.

Dans les deux extraits qui viennent d’être présentés, la co-élaboration des propositions s’est faite grâce à la mise en œuvre de rôles interactionnels symétriques par les interactants ; on a pu observer en effet que chaque apprenant remplissait un rôle actif de proposant. Nous allons à présent observer le cas d’une proposition dont la co-élaboration repose sur la mise en place de rôles complémentaires.