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CHAPITRE 3 L’apprentissage des langues assisté par ordinateur : L’apprentissage des langues assisté par ordinateur :

3. L’apprentissage des langues assisté par ordinateur : de l’ordinateur permettant l’individualisation à

3.2. Les Apprentissages Collaboratifs Assistés par Ordinateur (ACAO) (ACAO)

3.2.4. La collaboration comme processus

Bien qu’encore très récent, le domaine de l’ACAO a déjà donné lieu à de nombreux travaux d’origines et d’approches très diverses. Il s’agit d’un doma ine pluridisciplinaire qui ne dispose pas d’un cadre théorique unifié, ni de méthodologie unique, ni même

d’objet d’étude consensuel. Comme l’explique S. George, dans le domaine des ACAO (ou CSCL),

les préoccupations des chercheurs sont multiples : l’apprentissage humain (learning), l’apprentissage collaboratif (Collaborative Learning), le soutien à cet apprentissage collaboratif (Support Collaborative Learning) et l’utilisation de l’ordinateur pour effectuer ce soutien à l’apprentissage collaboratif (Computer-Supported Collaborative Learning). Les recherches couvrent alors plus ou moins chacun de ces quatre aspects. (George, 2001 : 73).

Les deux formes de collaboration (en face à face ou à distance) ont été étudiées à travers une très grande diversité de situations et de dispositifs d’apprentissage faisant varier les caractéristiques suivantes :

- le nombre d’apprenants impliqués (une dyade, un petit groupe, une classe ou

plusieurs),

- le niveau et l’âge des apprenants,

- le type de tâche réalisée,

- le logicie l ou l’environnement d’apprentissage utilisé,

- le type d’acteurs impliqués : pairs, apprenants/enseignant, apprenants/ordinateur,

- la durée de l’apprentissage (une séance de quelques minutes, de une ou deux

heures, ou encore un travail suivi réalisé tout au long d’une année).

La majorité des recherches se focalise sur l’efficacité des situations d’apprentissage collaboratif en cherchant à évaluer, en termes d’apprentissage, les effets de ces situations sur l’état cognitif des apprenants. Un certain nombre d’entre elles se demandent si l’apprentissage collaboratif est plus efficace que l’apprentissage individuel et à quelles conditions, tandis que d’autres cherchent à vérifier si l’apprentissage collaboratif avec ordinateur est plus efficace que l’apprentissage collaboratif sans ordinateur et à quelles conditions, avec quel type de logiciel ou d’environnement d’apprentissage par exemple. Les chercheurs tentent de rendre compte des conditions qui vont garantir l’efficacité de l’apprentissage collaboratif pour qu’il engendre des opérations cognitives ayant des effets en termes d’acquisition. On retrouve donc dans le domaine de l’ACAO cette tendance présente dans une grande partie des recherches sur l’utilisation des TICE en général, qui consiste à tenter de prouver l’efficacité des TICE par la mesure des effets sur l’état cognitif des sujets grâce à des méthodes expérimentales avec pré-test et post-test (Pouts-Lajus, non daté).

Pourtant, selon P. Dillenbourg et al. (1996) et P. Dillenbourg (1999), cette focalisation sur les effets en général de l’apprentissage collaboratif pose plusieurs problèmes. En premier lieu, évaluer les gains en terme d’apprentissage au moyen de pré-test et de post-test c’est rester dans le paradigme traditionnel de l’acquisition qui se focalise sur l’intelligence individuelle et envisage la connaissance en termes de propriété et de possession. Ensuite, les nombreuses variables qui interviennent dans chaque situation d’apprentissage collaboratif (avec ou sans ordinateur) entraînent des résultats complexes et ambigus (non significatifs) dans ce type de recherches qui tentent d’évaluer les apports de l’apprentissage collaboratif. Selon P. Dillenbourg et al. (1996) ce sont ces résultats insatisfaisants à propos des effets ou des conditions d’efficacité des apprentissages collaboratifs qui auraient conduit à se focaliser sur l’analyse de la collaboration par le biais de l’analyse des interactions. De nouvelles questions plus « micro » apparaissent : quelles sont les interactions que l’on peut observer ? Quels sont les moments particulièrement collaboratifs dans les interactions ? Quels sont les effets de ces interactions ? Considérant que ce n’est pas la collaboration mais certains types d’interactions plus ou moins collaboratives qui sont susceptibles de générer des activités cognitives favorables à l’apprentissage, la priorité pour P. Dillenbourg et al. (1996) devient notamment l’étude des interactions verbales. Aussi affirment- ils qu’

une perspective prometteuse pour la recherche sur l’apprentissage collaboratif consiste à exploiter certaines branches de la recherche linguistique sur les modèles de conversation, de discours ou de dialogue dans le but de fournir un cadre théorique d’analyse plus structuré94. (Dillenbourg et al., 1996 : 203).

Ces auteurs suggèrent donc de s’intéresser au repérage et à l’analyse de phénomènes interactionnels envisagés comme des indicateurs de la collaboration tels que la négociation « souvent considérée, dans le cadre de l’approche coopérative

vygotskienne, comme un indicateur d’un engagement commun dans la résolution de la tâche […] 95» (ibid.). Ils distinguent la négociation de sens au niveau de la communication en général et la négociation au niveau de la réalisation de la tâche qui peut se manifester par trois types de comportements au moins :

94

Traduction proposée par F. Mangenot dans le cadre d’un séminaire de recherche. Texte original : « A

promising possibility for collaborative learning research therefore is to exploit selective branches of linguistics research on models of conversation, discourse or dialogue to provide a more principled theoretical framework for analysis ».

95

Traduction proposée par F. Mangenot dans le cadre d’un séminaire de recherche. Texte original : « often referred to within the Vygotskian ‘‘cooperation’’ approach as an indicator of joint involvement in

- l’ajustement mutuel ou la co-construction de la solution du problème ;

- l’argumentation compétitive ou l’exploration de différentes alternatives

opposées ;

- l’utilisation de l’autre pair comme ressource (étayage).

L’observation de notre corpus permet effectivement de repérer et d’analyser ces différents types de négociation dans l’accomplissement de la tâche (cf. chapitres 4 et 5). Nous les considérerons comme des indicateurs de la collaboration ce qui nous permet ainsi de préciser notre définition de la collaboration proposée en introduction.

S. Teasley et J. Roschelle (1995) qui sont parmi les premiers à s’être questionnés sur la collaboration en tant que processus dans le domaine des ACAO, la définissent comme « un processus par lequel des individus négocient et échangent des

significations pertinentes par rapport à une tâche de résolution de problème » 96 (1995 : 2). Pour décrire ce processus, ces auteurs ont introduit la notion d’ « espace commun de

problème » (Joint Problem Space) censé être construit par les individus participant à

une activité collaborative et défini comme une structure de connaissance partagée entre les participants intégrant un accord sur les buts, les méthodes et les solutions. La perspective adoptée par ces auteurs et les concepts qu’ils développent se situent très clairement dans l’approche de la cognition distribuée et partagée (cf. chapitre 6). En outre, considérant que c’est par la conversation que les collaborateurs peuvent construire cet espace commun de problème, ils s’appuient notamment, pour leurs analyses, sur certains outils de l’analyse conversationnelle. Ainsi, leur étude de cas (portant sur la résolution par une dyade d’apprenants d’un problème de balistique sur ordinateur) offre l’intérêt de pointer certains phénomènes interactionnels qu’ils considèrent comme révélateurs de la collaboration (productions socialement

distribuées97, couples question-réponse permettant aux étudiants de contrôler leurs

interprétations respectives, réparations). Cette étude montre aussi l’importance de la prise en compte de la coordination entre langage et action pour pouvoir analyser la réalisation collaborative d’une tâche sur ordinateur. En conclusion de leur recherche, J.

96

Notre traduction. « Collaboration is process by wich individuals negociate and share meaning relevant

to the problem solving task at hand ». 97

Ce phénomène, qui correspond en linguistique à ce que l’on appelle la co-énonciation ou l’achèvement interactif, sera largement exploré dans nos analyses.

Roschelle et S. Teasley (1995) ava ncent que l’ordinateur, considéré comme outil de médiation, joue un rôle décisif dans l’activité collaborative de la dyade observée.

Nous retiendrons deux de leurs résultats relatifs à cette question : certaines actions effectuées sur et/ou avec le système informatique (ordinateur et logiciel) apparaissent comme un moyen de désambiguïser le langage et parfois même de se substituer à lui. Ainsi, certaines actions entreprises avec la souris peuvent-elles être considérés comme des moyens non linguistiques de présenter ou d’accepter des idées. D’autres types d’actions sur l’ordinateur permettent de sortir d’une impasse empêchant la progression de la tâche à cause d’un désaccord entre les participants ou d’un manque d’idée.

Les recherches qui viennent d’être évoquées offrent une réflexion approfondie sur le processus de collaboration entre pairs. Il est intéressant de constater que des travaux, issus essentiellement des sciences cognitives et portant sur des apprentissages scientifiques, soulignent la nécessité de s’appuyer sur des outils d’analyse linguistique empruntés principalement à la pragmatique et à l’analyse conversationnelle pour mieux comprendre les mécanismes de l’apprentissage collaboratif. Ce constat conforte notre projet initial qui vise, à travers l’analyse des interactions verbales, une meilleure compréhension de l’action conjointe et des processus de collaboration en langue étrangère dans le cadre de l’accomplissement d’une tâche d’écriture.

Après cette évocation de certaines orientations des recherches en ACAO dans des disciplines scientifiques (majoritairement représentées dans ce domaine), il convient de se pencher à présent sur les études qui concernent plus directement notre objet puisque s’inscrivant dans le champ de l’apprentissage des langues étrangères.