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CHAPITRE 2 Ancrage théoriqueAncrage théorique

2. Ancrage théorique

2.4. De la langue à l’interaction en contexte didactique : groupe classe vs dyade classe vs dyade

2.4.1. Développement des approches communicatives et de la notion de compétence de communication

2.4.1.2. La compétence de communication

§ Compétence de communication vs compétence linguistique

En lien avec les notions de communauté et de situation de communication, D. Hymes développe la notion de « compétence de communication » à travers laquelle il met en cause la position de N. Chomsky (1955) concernant la compétence linguistique. Ce dernier étudie la compétence considérée comme la connaissance implicite qu’a de sa langue tout locuteur-auditeur, lui permettant de comprendre et de produire un nombre infini d’énoncés ; il ne se préoccupe donc pas de la possibilité d’utiliser de manière cohérente et adaptée ces énoncés en situations, c'est-à-dire de la « performance ». A l’inverse, selon D. Hymes, « les membres d’une communauté linguistique ont en

partage une compétence de deux types : un savoir linguistique et un savoir sociolinguistique ou, en d’autres termes, une connaissance conjuguée de normes de grammaire et de normes d’emploi » (Hymes, 1984 : 47). La compétence linguistique ne

suffit donc pas pour participer verbalement à des situations de communication ; il faut également savoir se servir d’une langue de façon appropriée au contexte. Ainsi, pour D. Hymes, la compétence de communication ne peut être appréhendée qu’à travers sa mise en œuvre, son actualisation dans des conditions réelles de communication.

Une fois posée par D. Hymes, la notion de compétence de communication s’inscrit dans le champ des sciences du langage et dans les recherches en didactique des langues notamment. C’est à la façon dont a pu être définie et théorisée cette compétence en didactique que nous nous intéressons dans la section qui suit.

§ Compétence de communication et enseignement/apprentissage des

langues étrangères

L’étude de la compétence de communication et de son acquisition chez les enfants a constitué l’une des principales orientations de recherche de l’ethnographie de la communication dans les années 70. Elle s’est ainsi donnée pour objectif d’

expliquer le fait qu’un enfant normal acquiert une connaissance des phrases, non seulement comme grammaticales, mais aussi comme étant ou non appropriées. Il acquiert une compétence qui lui indique quand parler, quand ne pas parler, et aussi de quoi parler, avec qui, à quel moment, où, de quelle manière. Bref, un enfant devient à même de réaliser un répertoire d’actes de parole, de prendre part à des événements de parole et d’évaluer la façon dont d’autres accomplissent ces actions. (Hymes, 1984 : 74).

Par la suite, cette notion a été particulièrement exploitée dans le champ de la didactique des langues ; elle a eu en effet un impact déterminant sur les études portant sur l’enseignement et l’apprentissage d’une langue maternelle et seconde et dans le développement des approches communicatives.

De nombreux travaux ont tenté de préciser ce que pouvait recouvrir cette notion, envisagée comme très englobante par D. Hymes. Un certain nombre de catégorisations des composantes de la compétence de communication ont été effectuées par des auteurs cherchant à rendre cette notion « fonctionnelle » dans le domaine de l’enseignement/apprentissage des langues, c’est à dire à la constituer en objet didactique. C’est ainsi que M. Canale et M. Swain (1980 : 28) distinguent trois secteurs de compétence : le grammatical, le sociolinguistique incluant lui- même une compétence discursive (connaissance des différentes formes de discours) et une compétence socioculturelle (connaissance des règles sociales dans un groupe donné), et enfin le stratégique. La compétence stratégique désigne l’ensemble des stratégies de communication qui permettent de compenser les ratés de la communication. S. Moirand (1982) a également proposé une définition de la compétence de communication en identifiant quatre composantes : une composante linguistique, une compétence discursive, une compétence référentielle qui renvoie à « la connaissance des domaines

d’expérience et des objets du monde et de leur relation » (Moirand, 1982 : 20) et une

compétence socioculturelle, « c'est-à-dire la connaissance et l’appropriation des règles

sociales et des normes d’interaction entre les individus et les institutions, la connaissance de l’histoire culturelle et des relations entre les objets sociaux » (ibid.).

En 1998, les compétences communicatives langagières de l’apprenant de langue sont une nouvelle fois définies de façon extrêmement précise dans le Cadre européen

commun de référence pour les langues du Conseil de l’Europe. Sont distinguées, cette

fois-ci, les compétences linguistiques (lexique, grammaire, sémantique, phonologie, orthographe), la compétence sociolinguistique et la compétence pragmatique. La seconde « porte sur la connaissance et les habiletés exigées pour faire fonctionner la

langue dans sa dimension sociale » (CECR, 2000 : 93) et inclut les marqueurs de

relations sociales, les règles de politesse, les expressions populaires, les différences de registre, les dialectes et accents. Quant à la compétence pragmatique, elle

traite de la connaissance que l’utilisateur/apprenant a des principes selon lesquels les messages sont organisés, structurés et adaptés (compétence discursive), utilisés pour la réalisation de fonctions communicatives (compétence fonctionnelle), segmentés selon des schémas interactionnels et transactionnels (compétence de conception schématique). (ibid. : 96).

Même si la compétence communicative est une nouvelle fois définie dans le CECR, il importe de souligner que du point de vue de l’évolution de la notion de compétence en langue, le principal apport du CECR réside dans l’int roduction de la notion de

compétence plurilingue et pluriculturelle61, issue notamment des recherches en

sociolinguistique, et censée dépasser la compétence de communication. Bien que de plus en plus présente dans les travaux en didactique et en acquisitio n des langues étrangères, la notion de compétence plurilingue ne constitue pas une notion de référence dans notre présente recherche ; nous nous intéressons en effet à la notion de compétence interactionnelle qui, comme nous allons le voir, recouvre pour partie la compétence pragmatique telle qu’elle est définie dans le CECR ainsi que certaines dimensions des

« compétences générales »62 (CECR, 2001 : 82).

61

Dans le cadre de l’Europe, la volonté de préserver et de promouvoir la diversité des langues et des cultures conduit en effet à une valorisation du plurilinguisme. « On désignera par compétence plurilingue

et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement possédée par un acteur qui maîtrise, à des degrés divers, plusieurs langues, et a, à des degrés divers, l’expérience de plusieurs cultures tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel. L’option majeure est de considérer qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences toujours distinctes, mais bien l’existence d’une compétence plurielle, complexe, voire composite et hétérogène, qui inclut des compétences singulières, voire partielles, mais qui est une en tant que répertoire disponible pour l’acteur social concerné » (Coste, Moore, Zarate, 1997 : 12). Par rapport à la

compétence de communication, la compétence plurilingue est envisagée comme une compétence plus dynamique dans la mesure où elle ne peut, ni ne doit, être considérée comme stabilisée ; elle est constamment en évolution en fonction du parcours de l’acteur social.

62

Nous pensons notamment à certaines composantes du « savoir-être » et du « savoir-apprendre » constitutifs des « compétences générales » de l’apprenant telles qu’elles sont définies par le CECR.

Il est à noter que dans toutes les catégorisations de la compétence de communication évoquées précédemment, la notion de compétence interactionnelle n’est pas utilisée. La raison en est peut être que celle-ci implique nécessairement échange, co-construction et doit être envisagée à travers l’étude de l’interaction, alors que lorsque l’on se penche sur la notion de compétence, on s’attache à la définition des compétences d’un individu. Nous allons nous tourner à présent vers les travaux récents de certains auteurs qui comme nous souhaitons le faire dans ce travail, s’intéressent aux « composantes

proprement interactives des compétences langagières » (Pekarek : 1999 : 10).

§ Peut-on définir une compétence interactionnelle ?

En 1999, S. Pekarek fait paraître une étude dont le point de départ est un questionnement portant sur les difficultés rencontrées par des apprenants d’une L2 de niveau avancé, à participer à la gestion locale d’une interaction dynamique et rapide. Elle adopte une approche socio-cognitive et socio- interactionniste de l’acquisition en s’appuyant sur les travaux s’inscrivant dans la ligne vygotskienne d’une part, et sur les travaux de l’analyse conversationnelle et de la sociologie interprétative d’autre part. Elle utilise le terme de compétences discursives (au pluriel), pour désigner

un certain nombre de capacités procédurales qui sont en jeu dans l’utilisation du langage à côté de savoirs socio-culturels ou linguistiques spécifiques et qui intègrent à la fois des dimensions plus textuelles et d’autres plus interactionnelles : prendre des initiatives à tous les niveaux du discours, défendre son point de vue, manier des thèmes (modifier, initier, développer, négocier, etc.), gérer l’organisation du discours dans l’interaction (prendre et garder la parole ou la passer à l’autre, enchaîner de façon appropriée sur son propre discours ou sur celui de son interlocuteur, négocier les activités et les tâches), etc. Ces facultés permettent au sujet parlant de s’engager dans des échanges communicatifs verbaux, de prendre position face à l’autre et de participer à la construction et à la régulation du discours. (Pekarek, 1999 : 10-11).

A travers cette longue définition, on remarque que ces compétences discursives englobent à nouveau des compétences nombreuses et hétérogènes. Pour commencer, elles se distinguent de la compétence communicative, puisqu’elles se situent « à côté de

savoirs socio-culturels » qui sont aux fondements de la compétence de communication

telle qu’elle est définie par D. Hymes. Ensuite, ces compétences intègrent la capacité à gérer le discours selon les principes de l’organisation conversationnelle tels qu’ils ont été établis par les analystes de la conversation. Enfin, elles comprennent des capacités,

qui dans une perspective socio-cognitive s’intéressant aux traitements cognitifs liés au développement des compétences en L2, relèvent des compétences langagières de niveau supérieur (négocier, argumenter, développer, etc.).

Cette approche des « compétences discursives » censées être mises en œuvre par des apprenants de L2 de niveau avancé, nous paraît particulièrement pertinente par rapport au type d’interaction finalisée que nous nous proposons d’étudier. En effet, dans le cadre d’une interaction rédactionnelle en situation de classe, on s’attend à ce que les apprenants constituant la dyade travaillent ensemble afin d’élaborer un texte commun. Ils sont censés agir conjointement pour réaliser cette tâche et rappelons que l’une de nos hypothèses est que la collaboration implique à la fois la mise en œuvre et le développement de compétences du type de celles que S. Pekarek appelle « discursives ». Dans un article commun, L. Mondada et S. Pekarek (2000) utilisent la notion de compétence interactionnelle pour désigner

les procédés que les interlocuteurs emploient méthodiquement pour organiser leur interaction – p. ex. pour minimiser les pauses et les chevauchements dans la gestion des tours de parole, ou pour réparer un malentendu – […]. Les méthodes constituent en effet la compétence qui permet au membre de participer à l’interaction sociale et à son organisation socialement intelligible. Cette compétence interactionnelle comporte l’usage pertinent de ressources conversationnelles telles que s’identifier au téléphone, attirer l’attention de quelqu’un et le saluer, parler topicalement, clore une conversation… i.e. des procédés qui sont ‘known only-in-the-doing’ (Coulter, 1974 : 117). (Mondada, Pekarek, 2000 : 167).

Cette définition assez large reprend un certain nombre d’éléments présents dans la définition des compétences discursives proposée par S. Pekarek (1999), notamment la capacité à manier des thèmes qui implique l’initiation, le développement, la négociation ainsi que la capacité à prendre position face à autrui, qui paraissent a priori nécessaires dans un type de dispositif pédagogique orienté vers la réalisation d’une tâche collective.

Dans le cadre de ce travail, nous choisissons de parler de compétence interactionnelle, désignation qui nous paraît plus appropriée dans la perspective interactionniste adoptée. En effet, la notion de compétence discursive renvoie plutôt à un plan monologal. En outre, elle a souvent été employée pour désigner des compétences de type textuel. Ce choix terminologique se justifie enfin par le fait que la compétence interactionnelle inclut, selon nous, une autre dimension non explicitement

évoquée par les auteures citées ci-dessus dans leurs définitions, qui a trait à la capacité des interactants à gérer la relation interpersonnelle. Dans le cadre du type d’interaction qui nous intéresse, les interactants sont censés maintenir une relation suffisamment positive pour pouvoir réaliser collectivement la tâche, effectuer si nécessaire un travail de figuration, gérer leurs positionnements et leurs rôles par rapport à l’engagement dans la tâche.

En nous référant à la définition des compétences discursives proposée par S. Pekarek (1999) et en y ajoutant explicitement la gestion de la relation, nous utiliserons donc la notion de compétence interactionnelle, pour désigner très globalement les compétences langagières et non langagières nécessaires à l’accomplissement collaboratif d’une tâche collective en langue cible.

L’examen des définitions de la compétence de communication et des notions qui l’ont suivie dans les recherches en didactique nous a amenée à choisir d’utiliser celle de compétence interactionnelle dans le cadre de ce travail. Nous revenons à présent aux débuts des approches communicatives dans la didactique des langues étrangères, dans les années 1980, période au cours de laquelle se multiplient les études sur les interactions langagières en classe de langue.