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CHAPITRE 2 Ancrage théoriqueAncrage théorique

2. Ancrage théorique

2.1. De l’acteur social à l’action conjointe

2.1.2. Principes et modèles d’analyse de l’organisation des interactions

2.1.2.2. Les catégories d’analyse du modèle de l’école de Genève

- Quelques rappels

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« Le concept de "préférence" a été développé dans l’analyse conversationnelle afin de caractériser les

événements conversationnels dans lesquels plusieurs choix non- équivalents de déroulements de l’action sont à la disposition des participants […]. Le terme de "préférence" se réfère à l’éventail des phénomènes associés au fait que les choix parmi plusieurs déroulements non équivalents de l’action sont faits spontanément tout en reflétant une hiérarchisation institutionnalisée des différentes possibilités. Malgré ses connotations, ce terme n’a pas pour but de faire référence à des désirs ou dispositions personnels, subjectifs ou "psychologiques". » (Atkinson, Heritage, 1984, cités et traduits par Takeuchi

S’appuyant sur le modèle de l’école de Birmingham et notamment sur la notion d’échange, proposée à l’origine par E. Goffman (1973), les linguistes genevois (Roulet, 1981, Roulet et al., 1985) proposent un modèle hiérarchique et fonctionnel de l’interaction, fondé sur une analyse en rangs, les unités de plus bas niveau constituant celles du rang supérieur. Les unités dialogales sont l’ incursion (interaction), la transaction et l’échange. Les unités monologales sont l’intervention et l’acte.

Dans la dernière version du modèle genevois, inscrite dans l’approche modulaire du discours (Roulet, 1999), seules trois catégories ont été conservées dans la dimension hiérarchique : l’échange, l’intervention et l’acte43.

- l’intervention

Au plan monologal, l’ intervention est composée d’au moins un acte directeur qui donne sa valeur illocutoire à l’énoncé (fonction illocutoire de l’acte au sein de l’échange). Dans les intervent ions complexes (à plusieurs actes), les relations qu’entretiennent les actes subordonnés avec l’acte directeur relèvent de la fonction interactive (niveau monologal).

L’acte de langage, comme unité de discours, a trois propriétés : (i) c’est l’unité segmentale minimale, (ii) il a une fonction interactive (être directeur vs être subordonné) ; (iii) il peut transférer son potentiel illocutionnaire au constituant de rang supérieur (intervention). (Moeschler, Reboul, 1994 : 486).

Cette analyse met l’accent sur les propriétés séquentielles des énoncés liées à leurs propriétés illocutoires. C’est ainsi qu’« en principe, toute intervention illocutoire

initiative appelle obligatoirement une intervention illocutoire réactive » (Roulet et al.,

1985 : 25). Cette idée de contrainte imposée sur la suite de l’échange par une intervention de type initiatif, se rapproche de la notion, développée par les analystes de la conversation, de « dépendance conditionnelle » reliant deux tours de parole à l’intérieur d’une paire adjacente (ex : une question appelle une réponse ; un salut initiatif appelle un salut réactif). Les chercheurs de Genève distinguent les interventions initiatives, réactives et réactives- initiatives (lorsqu’elles remplissent les deux fonctions à la fois).

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[Corpus 4 : 18-20] Jo (Etasunien) et Su (Hollandaise)

Extrait 7

Type d’intervention 1Jo tu veux dire quoi° (3s)

2Su qu’y a beaucoup de de choses qui sont bien pour les enfants + euh pour tout le monde + sauna toute toute inclus oui + mais ++ et: (12s) et plusieurs (6s) 3Jo distraire°

4Su oui + <et plusieurs [00]> J

Intervention initiative

Intervention réactive/initiative

Intervention réactive/initiative Intervention réactive

La notion d’intervention associée au type de fonction qu’elle recouvre (en termes initiatif et réactif) nous semble particulièrement utile pour pouvoir dégager les modes d’engagement dans la tâche des apprenants, ainsi que les rôles interactionnels qu’ils remplissent.

- L’échange

Reprenant la distinction effectuée par E. Goffman (1973b) entre « échange

confirmatif » (généralement à deux constituants) et « échanges réparateurs »

(généralement à trois constituants)44, les chercheurs de l’Ecole de Genève considèrent

que les échanges (unités dialogales minimales) sont constitués d’au moins deux interventions produites par deux locuteurs, l’une initiative, l’autre réactive. La définition de l’échange, dans ce modèle, intègre le principe de clôture : « On dira qu’un échange

est complet ou clos s’il satisfait la complétude interactionnel le ou contrainte du double

accord, imposant aux deux dernières interventions d’être coorientées

argumentativement » (Moeschler, Reboul, 1994 : 481).

Pour les Genevois, l’échange peut être complexe au point d’intégrer la majeure partie des interventions d’une interaction. Les chercheurs de l’Ecole de Genève et tous ceux qui se sont inspirés par la suite de leur modèle, ont travaillé sur les différentes formes que peut revêtir l’échange (notamment : échange enchâssé, échange croisé, échange tronqué).

44 E. Goffman (1973b) articule la dimension rituelle à la dimension formelle des échanges et il définit deux types d’unités : les « échanges confirmatifs » et les « échanges réparateurs ». Les premiers visent la réalisation de rituels positifs permettant d’instaurer, de maintenir ou de faire cesser une interaction. Composés le plus souvent de deux constituants, ils apparaissent notamment au moment des salutations, présentations ou séparations.

Lorsqu’une menace a été perçue dans l’interaction, les deux ou trois mouvements successifs des participants pour rétablir un équilibre rituel, vont constituer un « échange réparateur ». Les plus caractéristiques de ces échanges sont les excuses ou les justifications survenant après une demande de service ou de renseignement.

Notre corpus valide partiellement ces deux grands types d’échange à deux ou trois constituants.

[Corpus 1 : 8-10] S (Sud-coréenne) et E (Emirienne) / Scribe : S

Extrait 8

1S tu vois c’est déjà euh je crois qu’c’est déjà euh: passé simple

2E c’est un passé simple oui + oui mais c’est: c’est passé simple ++ et + puis il y a le l’imparfait

3S l’imparfait aussi ah c’est tant mieux J 4E ouais ouais J

5S tant mieux +

6E ouais ça l’passé simple c’est un peu [des ennuis ?] 7S ouais

8E ouais alors euh:

Dans l’extrait présenté, il est possible de regrouper les tours deux par deux en échanges bipartites. Après la formulation par S d’un constat portant sur une caractéristique morphologique du texte-amorce [1], E réagit en validant ce constat et en le complétant. Il faut compter ensuite six tours de parole afin que les apprenantes achèvent de manifester leur accord réciproque par rapport au constat réalisé. Plutôt que d’appréhender cet extrait en envisageant un découpage en échanges à deux constituants, il est plus pertinent de considérer cet ensemble de tours comme une seule unité qui permet notamment de rendre compte de la lenteur du tempo dans la progression de la tâche et de l’interaction, et de l’importance de l’accordage dans certaines dyades. Les échanges à deux ou trois constituants ne paraissent pas convenir complètement à la description de notre corpus d’actions conjointes. Une unité dialogale minimale pouvant intégrer un nombre fluctuant de constituants semble donc plus adaptée qu’une unité d’échange binaire. Au début des années 80, E. Goffman abandonne l’idée d’échange comprenant un nombre défini d’interventions, pour considérer qu’il y a une intervention initiative suivie d’un nombre variable d’interventions réactives- initiatives en fonction de l’échange et il parle alors de « chaînage » des échanges (Goffman, 1987 : 14).

Cependant, comme l’explique R. Bouchard l’idée de chaîne ou d’enchaînement « connotant une linéarité simple » (1993 : 174) n’est pas non plus complètement satisfaisante pour rendre compte de l’organisation d’une interaction rédactionnelle où se mêlent et s’entremêlent actions verbales et actions non verbales, et où bien souvent des interventions ne semblent être reliées ni sémantiquement, ni pragmatiquement à celle qui précède. C’est ce que montre l’extrait suivant :

[Corpus 4 : 8-10] Jo (Etasunien) et Su (Hollandaise) / Scribe : Jo

Extrait 9

8Jo

8……….)

(D…….. 8Su ok en automne les travaux sur le centre de tourisme progressent bien euh + il y avait déjà + on

(lit le segment précédemment inscrit………..)

(7……….) (7/:……..

9Jo <merde> J non c’est parce que: (petit

(tape………...) (tape…………..

D...)

9Su peut euh: + dire quelques facilités J (6s) (rire) oui je sais

7/:……….) 10Jo rire) (10s) avait déjà

tape………)

10Su

(8………)

Dans cet extrait, Su commence par lire à l’écran, le segment qui vient d’être achevé puis elle formule une proposition de contenu afin de poursuivre l’élaboration de ce segment de texte. Jo commence à taper avant la fin de l’intervention de Su et on observe que les contributions verbales ("<merde>" [9Jo], "non c’est parce que:" [9Jo]) et paraverbales ("(rire)" [9Su]) ne sont pas provoquées par l’intervention précédente mais par un problème de frappe rencontré par Jo. Il n’y a pas de continuité sémantique et pragmatique entre la première intervention et les suivantes, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne provoque pas de réaction de la part du partenaire puisqu’en commençant à taper, Jo valide la proposition de Su. Ce fragment de corpus illustre donc la nécessité de prendre en compte les notions de « faisceau et de tressage qui permettent de mettre en

rapport successivité et simultanéité » (Bouchard, 1993 : 174).

L’analyse de notre corpus montrera que l’on rencontre des configurations interactionnelles très variées dans ce type d’interaction.

2.1.2.3. Organisation d’une interaction rédactionnelle : unités interactionnelles