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CHAPITRE 2 Ancrage théoriqueAncrage théorique

2. Ancrage théorique

2.5. Recherches en didactique et en acquisition sur les interactions entre apprenants de langue étrangère entre apprenants de langue étrangère

2.5.2. Favoriser une réflexion métalinguistique

2.5.2.3. Les limites des interactions entre pairs pour un travail efficace sur les formes

L’une des études de J. Barthomeuf (1992) sur le travail collectif porte sur un contexte particulier, puisqu’il s’agit d’une classe d’immersion où l’apprentissage d’une langue seconde est associé à celui des différentes matières. L’activité observée se déroule en classe de mathématiques et de ce fait, l’usage de la langue est purement instrumental.

Or, cet auteur montre que ces « tâches à dominante cognitive » (1992 : 138) n’incitent pas les apprenants à pratiquer les formes standard qu’ils sont censés apprendre. Ainsi par exemple, au cours de la phase de lecture de la consigne, les apprenants ont tendance à limiter leur effort de déchiffrage en prononçant les mots inconnus de façon très approximative ou même en remplaçant le mot par un démonstratif. Ensuite, les explicitations des stratégies de résolution adressées au partenaire se présentent souvent sous une forme très elliptique peu propice au développement de la syntaxe, et seule la connaissance intime du contexte permet l’interprétation. Pour l’auteur, ces conduites langagières s’expliquent notamment par un phénomène de surcharge cognitive car des ressources limitées sont mises au service d’exigences simultanées et fortes sur les plans linguistique et mathématique. Compte tenu de la tâche proposée, ce dernier est prioritaire et incite les apprenants à adopter des stratégies de réduction formelle.

Le constat de cet auteur rejoint les résultats d’une étude réalisée par L. Nussbaum, A. Tuson et V. Unamuno (2002). Ces dernières s’inscrivent dans une perspective interactionniste de l’acquisition et s’appuient notamment sur certaines notions élaborées par les chercheurs qui ont travaillé sur la communication exolingue en milieu dit « naturel ». De ce fait, ayant proposé à plusieurs dyades d’apprenants d’âges différents de réaliser trois tâches communicatives, elles s’attendaient à observer des phénomènes rencontrés dans les interactions en milieu naturel (bifocalisation de la communication, épisodes de traitement de formes et de sollicitation, etc.). Dans leur corpus, elles relèvent effectivement un certain nombre de séquences au cours desquelles des problèmes langagiers sont soulevés – en général par le locuteur en place – puis traités par auto ou hétérocorrection. Cependant, il ne leur apparaît pas possible de parler de contrat didactique car face au locuteur qui problématise un aspect de la langue cible, le partenaire se contente de donner des signes de compréhension et ne se positionne que rarement en tant qu’expert pour corriger ou proposer un modèle d’usage. Par ailleurs, des énoncés faisant obstacle à la communication et ayant été traités au cours de séquences latérale du type SPA, réapparaissent dans la même forme problématique ultérieurement dans l’interaction ou au cours d’une autre tâche, ce qui tend à confirmer que les apprenants n’effectuent pas le travail cognitif de traitement des données nécessaire à une appropriation de celles-ci. L’une de leurs hypothèses pour expliquer ce résultat est que « l’absence d’asymétrie institutionnelle ou sociale fait obstacle à la

construction des rôles qui pourraient donner un plus grand support aux processus d’apprentissage » (Nussbaum et al., 2002 : 160).

Les auteurs s’intéressent également aux stratégies utilisées par les apprenants pour maintenir la communication et poursuivre les buts de la tâche malgré les problèmes de langue rencontrés. Elles s’aperçoivent que toutes les dyades, quel que soit leur niveau, produisent des discours peu complexes et ont recours à des stratégies de réduction formelle, de substitution de formes et d’exécution (« catégories adaptées » de Bange, 1992b) lorsque des difficultés linguistiques apparaissent. Ainsi, même s’il s’agit bien d’une situation de travail permettant une véritable pratique de la langue cible avec des objectifs communicatifs réels, les apprenants ont tendance à simplifier leur production en se donnant pour principal objectif d’accomplir la tâche communicative imposée par l’institut ion et ne s’inscrivent pas dans une démarche d’apprentissage qui pourrait porter sur les problèmes locaux rencontrés. Selon L. Nussbaum et al. (2002), les apprenants chercheraient à limiter le traitement des formes pour ne pas s’arrêter sur les marques de leur incompétence devant le magnétophone, celui-ci pouvant apparaître comme un représentant de l’institution.

Dans une autre étude, J. Barthomeuf soulève explicitement le « problème des

compétences symétriquement limitées des participants » (1991 : 249) et du risque de

transfert d’erreurs dans les activités de groupe en classe de langue. Considérant que les tâches purement communicatives, c'est-à-dire visant exclusivement la négociation du sens, ne sont pas à même d’exercer une « pression » d’ordre social suffisante pour inciter les élèves à se focaliser sur la dimension formelle de leur discours, il choisit d’analyser des tâches courantes en milieu scolaire qui ont pour finalité d’être présentées à un public réel (lettre, journal scolaire). Selon lui, « la présence virtuelle de

l’enseignant ou du public cible représente un élément de pression sociale normatif à l’œuvre dans le contexte symétrique du groupe » (Barthomeuf, 1991 : 251). Finalement,

l’étude révèle une réelle attention des participants à la forme, une certaine complémentarité des compétences entre les apprenants dont ils semblent tirer partie dans certaines séquences et une limitation du transfert d’erreurs. L’auteur aboutit semble-t- il à des résultats proches de ceux de P. Porter (1986) qui avait déjà soulevé cette question quelques années auparavant. Néanmoins, J. Barthomeuf (1991) montre à travers quelques exemples que ce phénomène existe, de même que la consolidation de formes fautives chez l’un des apprenants.

Dans les études évoquées ci-dessus, la mise en lumière de certaines limites des interactions entre pairs dans le travail de groupe rejoint des constats similaires effectués dans des études anglo-saxonnes (Pica et al., 1994 ; Skehan, 1996, cités par Nussbaum, 2002). Ces dernières montrent que la négociation du sens dans une interaction n’oriente pas nécessairement l’attention des apprenants sur les formes et les fonctions grammaticales et que la tendance des apprenants est très souvent d’adopter des stratégies de simplification ou d’évitement pour contourner les problèmes de langue au profit de la communication.

2.5.3. Commentaires

Sans être exhaustif, ce tour d’horizon des études sur les interactions entre pairs en contexte d’enseignement/apprentissage des langues a permis de rendre compte d’un certain nombre de leurs objectifs et résultats. Etudiées par les chercheurs anglo-saxons parce qu’elles permettent aux apprenants de négocier du sens en LE, ces interactions ont ensuite été principalement envisagées comme susceptibles de susciter des activités réflexives sur la langue, considérées comme nécessaires au développement de la LE.

Une grande partie de ces recherches, notamment anglo-saxones, sont de type quantitatif ; elles visent à repérer et corréler des variables et s’attachent surtout aux phénomènes linguistiques pour étudier l’acquisition de la langue étrangère. On peut souligner que la perspective adoptée pour interpréter le discours des interactants reste très monologale. Or si l’on souhaite étudier la pratique et l’acquisition d’une la ngue étrangère dans une perspective véritablement interactionniste, il faut appréhender le discours des apprenants dans sa dynamique, s’intéresser à la co-construction du discours dans l’interaction. C’est l’objectif que se donnent L. Nussbaum et V. Unamuno (2000) dans une étude où elles se proposent de « revisiter » les critères de fluidité et de complexité. Habituellement, afin d’évaluer la compétence de communication des apprenants et la valeur des tâches proposées à ces derniers, la fluidité est « comprise

comme capacité de production continue et absence de marques de rupture du flux verbal » (Nussbaum, Unamuno, 2000 : 28) tandis que la complexité est « analysée en termes d’unités de sens et de variété de combinaisons syntaxiques » (ibid.). Les auteurs

remettent en question ces définitions et à partir d’un corpus d’interactions de six dyades d’apprenants d’âges et de niveaux différents, elles s’appuient sur les outils méthodologiques de l’analyse conversationnelle pour analyser les modalités globales

d’accomplissement de la tâche et les formes de contrôle exercées par les apprenants pour être efficace dans cette réalisation. Elles montrent que la complexité du discours « ne réside pas dans la structure d’énoncés isolés produits pas un individu mais dans la

diversité de ces énoncés et dans la manière de les coordonner avec l’autre pour accomplir la tâche » (ibid., 36). Elle apparaît donc à travers le travail de formulation des

énoncés, de construction du sens, de définition des rôles interlocutifs réalisée conjointement par les deux partenaires. Quant à la fluidité, elle est envisagée en terme d’efficacité dans la poursuite des buts communicatifs liée à la réalisation de la tâche, et non en terme de rapidité de formulation. Dans cette recherche, les auteures vont au-delà de l’étude du traitement interactif des problèmes linguistiques, sur lequel se sont majoritairement focalisées les recherches sur les interactions entre pairs en contexte d’enseignement/apprentissage, à l’instar des études portant sur la communication exolingue en contexte informel. Elles étudient la co-construction du discours et évoquent la nécessité, pour les apprenants, de se positionner en tant qu’êtres sociaux co-responsables de la conduite de l’activité, devant l’autre. D’autres études se sont penchées sur les dimensions sociales et interactionnelles des interactions entre pairs en contexte formel ; on pense à la recherche de J. Cots et al. (1997) qui explore notamment les modalités de gestion interactionnelle de la tâche et les relations que construisent les participants, ainsi qu’à une autre étude de L. Nussbaum (1998) qui porte sur les profils sociaux que construisent les interactants en fonction du contrat de communication établi. Cependant cette dimension des interactions entre pairs semble avoir été moins explorée que celle qui a trait à la gestion des problèmes linguistiques.

Pour notre part, nous accordons une place privilégiée à l’étude des dimensions sociales et interactionnelles de la situation observée, en lien avec l’hypothèse selon laquelle ces interactions sont favorables à la mise en œuvre et au développement de la compétence interactionnelle des apprenants, en langue cible. Cette hypothèse rejoint celle de U. Krafft et U. Dausendschön-Gay (1997), évoquée plus haut à propos des interactions exolingues, selon laquelle l’alloglotte est amené à prendre part à la conversation comme un locuteur autonome et à développer ainsi ses savoir-faire interactionnels.

Une autre question récurrente apparaît dans l’ensemble des travaux qui viennent d’être évoqués au cours de cet état des lieux. En effet, la plupart des auteurs cités se demandent quelles tâches sont les plus intéressantes ou les plus efficaces, que cela soit

par rapport à la négociation du sens ou par rapport à l’activité métalinguistique mise en œuvre par les apprenants. C’est ainsi qu’un certain nombre d’études ont cherché à mettre en rapport les productions des apprenants avec les caractéristiques de la tâche, communicative le plus souvent, mais également parfois linguistique. Des études de P. Griggs (1998) et L. Nussbaum (2002) par exemple, ont montré que le jeu de rôle constituait une tâche favorable à une activité réflexive orientée vers les formes et plus particulièrement vers les dimensions pragmatiques et discursives de la langue. Dans une de leurs études sur les interactions entre apprenants en travail de groupe, L. Nussbaum et V. Unamuno (2000) comparent des dyades d’apprenants réalisant la même tâche et analysent les procédures mises en jeu par les dyades pour les résoudre. Que cela soit dans le cadre d’une tâche de type communicatif ou de type métalinguistique, elles montrent que les modalités de résolution sont très variables selon les binômes. En observant la façon dont différents binômes d’apprenants réalisent la même tâche, L. Nussbaum et V. Unamuno focalisent leur observation sur le déroulement et la résolution de la tâche ; la perspective est ainsi différente de celle adoptée dans d’autres recherches : on part des interactions pour étudier la façon dont se coordonnent les apprenants pour accomplir la tâche collectivement. Les sujets sont au cœur de l’analyse et nous adoptons cette même approche dans le cadre de ce travail.

Pour finir, précisons que les recherches présentées ont parfois abouti à des résultats contradictoires en ce qui concerne l’attention des apprenants portée aux formes de la langue cible. Ces résultats nous ont incitée à ne pas hésiter à reprendre un certain nombre de questions ayant déjà été posées à propos du traitement des problèmes linguistiques par des apprenants alloglottes dans le cadre d’interactions finalisées en contexte d’enseignement/apprentissage des langues (cf. ch. 5.1.).

Ce chapitre, consacré à notre ancrage théorique, a permis de présenter les concepts et outils d’analyse que nous empruntons d’une part, à la pragmatique linguistique interactionniste qui dépasse les frontières traditionnellement reconnues entre les disciplines et fait appel à des concepts développés en linguistique (analyse du discours, analyse conversationnelle d’inspiration ethnométhodologique), en sociologie, en psychosociologie ou en philosophie du langage, et d’autre part, aux recherches

interactionnistes en acquisition des langues étrangères. En relation avec certaines recherches en didactique des langues étrangères conduites dans le cadre des approches communicatives, nous nous sommes arrêtée sur la notion de compétence de communication et ses évolutions conceptuelles, et avons cherché à préciser ce que nous entendions par compétence interactionnelle.

Comp te tenu de notre objet de recherche, nous avons achevé ce chapitre en proposant un tour d’horizon des recherches sur les interactions finalisées entre apprenants en didactique et en acquisition des langues. Cet état des lieux a permis de situer notre recherche par rapport à ces divers travaux.

Dans le chapitre suivant, nous complétons cet ancrage en explorant deux champs disciplinaires liés aux TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education), dans lesquels notre recherche s’inscrit pour partie, en raison du dispositif pédagogique que nous avons choisi d’étudier.

CHAPITRE 3