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D’une conception externe et déterministe du contexte à une conception interne et constructiviste du cadre conception interne et constructiviste du cadre

CHAPITRE 2 Ancrage théoriqueAncrage théorique

2. Ancrage théorique

2.2. D’une conception externe et déterministe du contexte à une conception interne et constructiviste du cadre conception interne et constructiviste du cadre

Les notions de contexte et de cadre ont trait à la façon dont les interactants s’orientent dans la conversation, aux moyens qu’ils ont ou qu’ils se donnent de se comprendre, d’agir ensemble dans une direction commune. Ces deux notions ont chacune été investies par différents domaines de recherche (anthropologie, sociologie, linguistique, psychologie cognitive, intelligence artificielle…) et on peut souligner que sciences cognitives et sciences sociales se sont influencées mutuellement par rapport à l’évolution de ces deux notions. Nous évoquerons d’abord la notion de contexte puis celle de cadre, en précisant l’acception de ces termes que nous adoptons dans le cadre de ce travail.

Selon les auteurs, le terme de « contexte » renvoie, soit à l’environnement verbal d’une unité linguistique (appelé aussi cotexte), soit à la situation de communication (appelée « situation de discours » dans la définition qui suit), soit aux deux.

On appelle situation de discours l’ensemble des circonstances au milieu desquelles a lieu une énonciation (écrite ou orale). Il faut entendre par là à la fois l’entourage physique et social où elle prend place, l’image qu’en ont les interlocuteurs, l’identité de ceux-ci, l’idée que chacun se fait de l’autre (y compris la représentation que chacun possède de ce que l’autre pense de lui), les événements qui ont précédé l’énonciation (notamment les relations qu’ont eues auparavant les interlocuteurs, et les échanges de parole où s’insère l’énonciation en question). » (Ducrot, Schaeffer, 1995 : 764).

Cette définition repose sur une terminologie traditionnelle distinguant les circonstances extra- linguistiques de l’interaction et les circonstances linguistiques de celle-ci. Pour notre part, n’ayant pas pour objet d’étude le fonctionnement de la langue, cette distinction ne nous semble pas utile. Nous considérons la notion de contexte dans un sens plus global pour recouvrir tous les éléments (linguistiques et non linguistiques) qui dans le cours de l’interaction permettent aux interactants de s’orienter. Néanmoins, nous utiliserons la notion de situation de communication lorsqu’il s’agira de n’évoquer que les éléments dits « externes » de l’événement communicatif observé.

Les ethnographes de la communication, et plus particulièrement D. Hymes et J. Gumperz, ont profondément marqué la réflexion sur l’étude de l’usage de la langue en

contexte avec la création du modèle SPEAKING. Les orientations théoriques de l’ethnographie de la communication sont ainsi résumées par D. Hymes : « […]

emphasis and primacy of speech over code ; function over structure ; context over message […] » (Hymes, 1964 : 11). Il ne s’agit pas seulement en effet d’étudier le code

linguistique ou la structure du langage, mais la parole en tant qu’action sociale dans une situation de communication spécifique. « Pour l’ethnographe de la communication,

l’usage de la langue est encore plus important que sa structure, le sens du message est toujours situé dans son contexte naturel » (Bachmann et al, 1981 : 60). Pour étudier la

communication en contexte, et plus précisément un « événement de communication » dans sa globalité, et prendre en compte les différentes composantes qui le constituent, D. Hymes élabore le modèle SPEAKING (1964, 1972) : Setting (cadre), Participants,

Ends (finalités), Acts (actes), Key (tonalité), Instrumentalities (instruments), Norms

(normes), Genre.

Ce modèle propose une approche externe du contexte et cette analyse en facteurs est sous-tendue par un point de vue selon lequel le comportement des sujets serait lié à des normes sociales rattachées à l’événement de communication ; il se distingue d’une approche dynamique du contexte selon laquelle on considère que les sujets co-construisent le contexte dans l’interaction. Le modèle speaking nous semble néanmoins constituer un instrument utile à l’analyste pour réaliser une première approche d’un corpus d’interactions par rapport aux différents éléments de la situation de communication, avant de s’intéresser à la façon dont les interactants actualisent à travers leurs comportements les éléments du contexte pertinents pour eux. On peut donc envisager ces différents paramètres comme des éléments déclencheurs de questionnements par rapport aux interactions que l’on se propose d’analyser.

Par rapport à notre objet, un certain nombre de ces facteurs ont été présentés lors de la description du dispositif observé (cf. chapitre 1) ; nous pouvons cependant revenir sur l’un de ces facteurs tel que les finalités (qui regroupent à la fois les intentions ou les buts et les résultats de l’interaction) afin de préciser quelques questionnements. La finalité « officielle » ou « affichée » des interactions étudiées est l’accomplissement d’une tâche imposée aux interactants par l’enseignant ou l’enquêteur en contexte didactique. Contrairement à de nombreux autres types d’interaction comme une transaction commerciale entre un client et un vendeur où les objectifs poursuivis sont interdépendants mais non équivalents, dans une interaction rédactionnelle du type de celle que nous observons, les participants s’orientent vers un but commun qui est la

rédaction d’un texte. Cependant, les modalités d’accomplissement de cette tâche ne sont pas nécessairement envisagées de la même façon par ces derniers.

En outre, d’autres enjeux non explicités liés à l’apprentissage de la langue cible peuvent être ou non considérés par les participants. A cela s’ajoute bien entendu la gestion de la relation et des images identitaires (cf. 2.1.1.) inhérente à tout type d’interaction. Il importe donc d’envisager une hétérogénéité fonctionnelle de l’interaction qui ne peut être définie a priori.

Depuis le modèle speaking, l’approche du contexte a largement évolué et des recherches récentes sur cette notion ont fait apparaître le point suivant :

Le discours est une activité tout à la fois conditionnée (par le contexte) et transformatrice (de ce même contexte) ; donné à l’ouverture de l’interaction, le contexte est en même temps construit dans et par la façon dont celle-ci se déroule […]. […] la relation entre texte et contexte est non point unilatérale mais dialectique : « Context shapes language and language shapes context. […] Context is not simply a constraint on language, but also a product of language use » (Duranti, Goodwin, 1992 : 30).

(Kerbrat-Orecchioni, in Charaudeau, Maingueneau, 2002 : 135).

C’est une conception non plus statique mais dynamique du contexte qui s’est peu à peu imposée.

En outre, pour aborder l’étude du contexte, C. Goodwin et A. Duranti (1992) proposent de partir de la perspective des participants dont les comportements font l’objet d’analyse. Il s’agit d’observer et de déterminer les éléments du contexte pertinents pour les interactants, pour appréhender une activité à un moment donné de l’interaction, en considérant que ces éléments interviennent dans la communication sous la forme de « savoirs » et de « représentations ». Ces représentations peuvent être ou non partagées par les participants au processus communicatif.

Cette perspective, à la fois constructiviste et cognitive du contexte, qui envisage notamment ce dernier à travers la façon dont il est perçu par les interactants, permet d’établir un rapprochement entre cette notion et celle de « cadre cognitif » (Colletta, de Nuchèze, 2002 : 22).

A l’origine, la notion de cadre est issue de travaux en intelligence artificielle et en

psychologie cognitive53 utilisant cette notion au même titre que celles de script ou de

scénario pour renvoyer à l’idée de plan d’actions intériorisé.

On parle en des sens très voisins de « scripts » de « scénarios » de « cadre » pour désigner, en science cognitive, les formes stéréotypiques de savoir qui permettent de s’orienter dans des situations sociales. La totalité des schémas dont dispose un individu constitue sa compétence d’action. (Bange, 1992a : 61).

Dans ces approches, ces notions ont un caractère figé et apparaissent comme une condition nécessaire à la réalisation d’action finalisée. Elles reflètent en outre une conception individualisante de l’activité humaine dans laquelle l’interaction n’est pas prise en compte.

Dans une perspective interactionniste, on ne rejette pas l’idée que les apprenants disposent de schémas d’action, de « cadres de références » (Schütz, 1987), de « cadres

de l’expérience » (Goffman, 1991) ou de « cadres cognitifs », organisés par des

expériences intériorisées et impliquant donc des attentes par rapport aux situations. Au cours des entretiens, les apprenants indiquent tous qu’ils ont une certaine expérience du travail en groupe ou en binôme, et certains d’entre eux ont également une pratique du travail avec ordinateur (le plus souvent individuelle) ; en revanche le fait de rédiger collectivement un texte en langue étrangère en travaillant avec un logiciel d’écriture et qui plus est, en étant filmés, ne correspond pas pour eux à une activité connue et habituelle (cf. Annexe 7 : Entr.1/K : 16, 21 ; Entr.2/R : 1-8 ; Entr.10/Li : 13-16 ; Entr.12/Fi : 2). La composition des actions, individuelles et/ou collectives, verbales et/ou non verbales, qu’implique l’accomplissement de la tâche « ne se fonde pas sur des

« scénarii » comme pour les interactions de service » (Bouchard, 1993 : 173). Pourtant,

cela n’empêche pas les interactants d’avoir des attentes concernant cette situation. Dans le cadre d’une interaction rédactionnelle, on postule que les principales attentes des apprenants proviennent de cadres cognitifs liés à deux dimensions de cette activité conjointe : ce que doit être un texte narratif fictionnel et ce que sont les modalités de l’action conjointe. On fait l’hypothèse que ces cadres cognitifs ne se recouvrent que partiellement et que des divergences potentielles nécessitent des

53

ajustements54 entre les interactants dans le courant du déroulement de l’interaction. En effet, « l’existence d’un schéma est la condition pour qu’elles [les interactions] puissent

être réalisées et, d’autre part, elles le font dans des formes non prédictibles car dépendantes de la conjonction de deux (au moins) histoires singulières » (Bange,

1992a : 53).

Nous adoptons donc une conception dynamique et non figée ou déterministe du cadre, qui prend en compte à la fois les ressources schématiques qui orientent les interactions sociales et la dimension émergente de la régulation contextuelle. Avec les auteurs du Guide terminologique pour l’analyse des discours, on admet qu’

A l’intérieur du cadre cognitif du sujet, le schéma d’interaction actualisé en contexte est : (éventuellement) prévu avant la rencontre (anticipation de l’action) ; comparé aux schémas d’actions antérieurs ; ajusté aux actions de l’interlocuteur ; évalué par rapport à l’interaction hic et nunc ; ré-incorporé au cadre cognitif. (Colletta, de Nuchèze, 2002 : 25)

La construction du contexte par les interactants passe bien entendu par la co-construction du sens des énoncés. C’est à ce point que nous allons nous intéresser à présent en repartant de la notion clé d’acte de langage telle qu’elle a été élaborée en philosophie analytique.

54 L’ajustement, défini de façon générale par V. de Nuchèze (2004 : 16) comme la « somme des

procédures d’accomodation mutuelle observables sur corpus et/ou racontés par les acteurs eux-mêmes »,

est un terme très répandu dans les recherches sur les interactions exolingues. Cependant, il ne recouvre pas toujours le même sens selon les domaines. Dans certains travaux en analyse conversationnelle contrastive (notamment les études réalisées à partir de la méthodologie du triple corpus développé au Lidilem à Grenoble : Takeuchi, 2003 ; Nguyen, 2004), l’ajustement est envisagé comme une procédure d’imitation par l’un des interactants d’une conduite langagière repérée comme caractéristique de la langue-culture du partenaire. Dans le cadre des recherches en acquisition sur les interactions exolingues, l’ajustement désigne plutôt des ajustements conversationnels telles que des demandes de confirmation, de clarifications, les phases d’accordage, etc., manifestant la négociation du sens entre les interactants. Dans l’analyse de nos données, c’est à ce deuxième type de procédé que l’on renverra en parlant d’ajustement.