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Proposition de réforme législative

Le concept de servitude de conservation

4. Proposition de réforme législative

Ce chapitre fait état de l'ensemble des réformes législatives nécessaires pour établir une véritable servitude de conservation81 .

La première section fait le point sur les concepts et principes retenus pour en arriver à la proposition de loi sur les servitudes de conservation. La seconde constitue la proposition de loi proprement dite. Pour sa part, la troisième section porte sur les amendements législatifs ponctuels à diverses lois connexes.

4.1. les concepts et principes retenus

Cette proposition de loi a été conçue afin de permettre l'établissement de servitudes qui serviront à conserver l'environnement et res caractéristiques patrimoniales d'immeubles82.

Elle a été rédigée dans des termes larges afin de permettre le plus de latitude possible quant à son utilisation. Ainsi, elle pourra servir aussi bien à prohiber certains usages qu'à en obliger d'autres. Elle s'applique à une pluralité de situations. Elle protège un immeuble historique tout comme une plaine inondable. Elle assure la sauvegarde d'un boisé ou autorise l'utilisation d'un champ à des fins d'observation d'oiseaux, etc.

81 La proposition de loi faite dans ce chapitre répond aux nombreuses demandes faites afin de pouvoir établir un mode de protection juridique sur terre privée. C'est notamment le cas du rapport du ministère de l'Environnement, qui recommandait de « permettre l'établissement de mesures de protection applicables à des espaces naturels [...] sur des propriétés privées, avec le consentement du propriétaire; », DIRECTION DU PATRIMOINE ÉCOLOGIQUE, op. cit., note 18, p.62. Ce même rapport ajoutait à la page 70 que « [c]ette mesure de conservation est de plus en plus utilisée aux États-Unis et depuis récemment en Ontario. Pour profiter au Québec du régime [...] de servitudes (personnelles) de conservation, il faudrait prévoir dans une loi tous les détails de ce type particulier de servitude. Ce pourrait être la Loi sur la qualité de l'environnement ou la loi constitutive d'un organisme habilité à détenir ces servitudes, ou le Code civil pour certaines dispositions et une autre loi pour d'autres. Malgré leur aspect relativement complexe du point de vue légal, la portée et la souplesse de ce type d'entente nous incite à croire qu'elle devrait faire l'objet d'une attention particulière ».

Le Conseil consultatif de l'environnement va dans le même sens lorsqu'il dit: « [d]ans le cas d'espaces verts à utilisation extensive (marche en forêt, ski de fond,...), il serait opportun que l'on envisage la possibilité de n'acheter que des servitudes. C'est une pratique courante aux Etats-Unis entre autres et beaucoup moins dispendieuse que l'achat en pleine et entière propriété. Le milieu rural se prête particulièrement bien à cette pratique. Dans les grandes agglomérations, comme Montréal et Québec, cette approche pourrait également s'appliquer aux propriétés des communautés religieuses (Anonyme, 1978a, p. 30). », CONSEIL CONSULTATIF DE L'ENVIRONNEMENT, op. cit., note 3, p. 216.

82Le Conseil de la conservation et de l'environnement recommande au ministre de l'Environnement « (14) que l'on accorde une attention particulière aux espaces naturels et à la protection de la faune et de la flore en milieu urbain; et que l'on y préserve les lieux présentant un intérêt esthétique, culturel, historique ou autres; », CONSEIL DE LA CONSERVATION ET DE L'ENVIRONNEMENT, op. cit., note 3, p. 37. Nous souscrivons à une telle vision de la conservation.

Nous nous sommes inspirés des servitudes réelles et personnelles du Code civil du Québec ainsi que des législations de conservation privée des autres provinces canadiennes et de certains états américains afin de puiser dans chacune d'elles les meilleurs éléments. Le résultat nous donne: une servitude personnelle, d'un terme minimum de 30 ans mais pouvant être perpétuelle. Elle crée un droit réel. Elle suit donc le fonds qu'elle grève. Son bénéficiaire doit être l'un de ceux autorisés par la loi. De plus, un bénéficiaire subrogé est nommé afin de jouer le rôle de surveillance du respect de la servitude par les parties, leurs ayants-droit et les tiers.

L'option retenue crée un régime particulier et distinct de celui prévu pour les servitudes du Code civil du Québec. Cela s'explique par le fait que le C.c.Q., la doctrine et la jurisprudence n'ont jamais reconnu de façon non équivoque la possibilité d'établir une servitude personnelle perpétuelle. Ce sont pourtant deux qualités essentielles pour faire de la servitude un outil de conservation souple et facilement utilisable.

La consultation menée auprès des intervenants du secteur de la protection des espaces naturels nous a appris que certains éléments devaient se retrouver obligatoirement dans la servitude de conservation afin d'en faire un outil mieux adapté à la sauvegarde des milieux fragiles. Sans entrer dans les détails de la mécanique juridique mise en place, nous énoncerons ici les principes directeurs qui ont émergé lors des ateliers de travail:

• L'exigence d'avoir un fonds dominant est inutile en matière de conservation. La servitude de conservation sera faite par un propriétaire à l'avantage d'un bénéficiaire dans le but d'assurer la conservation d'un site particulier

On se débarrasse ainsi de l'exigence d'avoir un fonds dominant voisin. La seule présence du milieu à conserver suffit. On élimine également du même coup l'incertitude qui planait sur l'utilité du service envers le fonds dominant. En effet, puisque le service est rendu envers un bénéficiaire, celui-ci, par la simple signature de l'entente, témoigne de son utilité pour l'atteinte de ses objectifs de conservation.

• La servitude de conservation aura une durée de 30 ans minimum avec possibilité d'être perpétuelle

La servitude de conservation ne pourra avoir un terme inférieur à 30 ans et pourra être stipulée perpétuelle. Le choix d'un terme non inférieur à 30 ans résulte du souci de ne pas voir la servitude de conservation devenir un outil de spéculation foncière, puisque certains avantages sont rattachés à la création d'une servitude de conservation.

• La servitude de conservation instaurera un régime spécial au niveau de la responsabilité du propriétaire

La servitude de conservation proposée crée un système d'exonération de responsabilité pour le propriétaire du fonds servant.

Proposition de réforme législative

• La servitude de conservation instaurera un régime d'assurance obligatoire pour le propriétaire et le bénéficiaire

Il est important de pouvoir garantir aux propriétaires, qui consentent des servitudes de conservation, qu'ils ne verront pas leur responsabilité civile augmentée. Le bénéficiaire sera celui qui aura l'obligation de prendre à sa charge le maintien d'une couverture d'assurance adéquate. Le propriétaire reste assuré comme il l'était auparavant, alors que le bénéficiaire doit s'assurer pour toute nouvelle activité.

Une telle exigence protège également le public. Ainsi, un particulier qui s'adonne à des activités récréatives sur un site grevé d'une servitude de conservation saura qu'il aura toujours l'opportunité, en cas de préjudice, d'exercer un recours contre une entité solvable puisque assurée.

• La servitude de conservation instaurera un mécanisme de bénéficiaire subrogé

La servitude de conservation pourra souvent séduire un propriétaire parce qu'elle l'assure de la protection de son terrain pour une très longue période de temps, voire la perpétuité. Afin de renforcer cet aspect de la servitude de conservation, nous avons mis en place un mécanisme qui permet de désigner un deuxième bénéficiaire au cas où le premier serait dans l'impossibilité d'agir ou ferait une gestion inadéquate du territoire qu'il a sous sa garde. On peut donc assurer le propriétaire qu'il y aura toujours un organisme pour prendre la relève.

• La servitude de conservation sera un outil souple qui s'adaptera aux exigences des parties et aux caractéristiques du milieu

La servitude de conservation a été conçue de façon à pouvoir être utilisée dans une pluralité de situations. Elle s'applique aussi bien pour la conservation de terrain que pour la conservation de bâtiments. Elle trouvera application en milieu urbain et rural. Elle pourra également être adaptée sur mesure aux volontés du propriétaire et du groupe.

4.2. proposition de projet de loi sur les servitudes de conservation

La réforme législative proposée aurait pu s'articuler sous deux formes.

Dans un premier temps, nous avons envisagé de suggérer des modifications au Code civil du Québec. Cette voie aurait eu l'avantage de consigner dans l'outil de référence, qui régit les relations des particuliers entre eux et avec l'État, la technique de la servitude de conservation.

L'ensemble du corps législatif n'aurait pas augmenté et on aurait ainsi intégré un nouveau concept de droit civil parmi d'autres, sans plus.

Toutefois les désavantages de procéder de cette façon nous sont apparus nombreux. Le Code civil du Québec vient à peine d'être adopté sans que le législateur ait prévu le mécanisme des servitudes de conservation, pourtant connu et souhaité depuis longtemps. Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui? La servitude de conservation bouleverse les principes de droit civil 39

traditionnels du Québec. Elle reconnaît expressément l'existence d'une servitude personnelle créatrice de droits réels et permet la perpétuité des ententes. -

Elle innove également en instaurant un régime de responsabilité civile particulier pour le propriétaire du fonds grevé et tout un ensemble de règles de procédure régissant les relations des intervenants dans un dossier de conservation par servitude. Il ne nous apparaît pas opportun de créer un précédent en instaurant dans le Code civil du Québec des dispositions d'application exceptionnelle._ .

L'alternative que nous avons retenue est celle d'introduire le concept de servitude de conservation par le biais de l'ajout d'une loi particulière au corps législatif québécois. Il nous a semblé pertinent de procéder ainsi pour les raisons suivantes:

• la servitude de conservation établit de nouveaux principes de droit civil qui doivent être clairement réservés à une utilisation spécifique et non pas étendus à d'autres fins;

• la servitude de conservation demande des amendements à de nombreuses lois connexes;

• l'adoption d'une loi spéciale constituerait une reconnaissance publique du travail des organismes de conservation;

• une loi spéciale regrouperait à un seul endroit l'ensemble des règles appelées à régir les relations entre les parties.

Le seul inconvénient que nous voyons à privilégier l'adoption d'une loi spéciale plutôt qu'une série d'amendements au Code civil du Québec est d'ajouter une loi supplémentaire à un corps législatif déjà lourd. Cela nous semble toutefois un désavantage négligeable.

Le texte qui suit constitue la proposition de projet de loi sur les servitudes de conservation.

On retrouve sous chaque article, une rubrique « commentaires » qui apporte des explications et fait état de certains propos échangés lors des ateliers de travail ou à l'occasion de correspondances.

Proposition de reforme législative

PRÉAMBULE

La présente loi a pour objet de permettre l'établissement de servitudes de conservation afin de contribuer à la protection de l'environnement, des caractéristiques patrimoniales du Québec et de certains usages du territoire québécois.

Elle vise à offrir, à tous les intervenants du milieu de la conservation, une nouvelle alternative juridique qui renforcera les efforts de sauvegarde du patrimoine déjà entrepris.

source: nil

COMMENTAIRES :

Les participants au troisième atelier de travail ont opté pour un préambule qui fait référence aux grands traités et conventions auxquels le Québec a adhéré en matière de protection de biodiversité et de conservation.

Le préambule suggéré, comme hypothèse de travail, lors de cet atelier s'inspirait de la Stratégie mondiale sur la conservation. Il se lisait comme suit:

«La présente loi a pour objet de permettre la création de servitude de conservation afin de contribuer au maintien de la capacité de la terre d'assurer aussi bien le développement durable de l'humanité que la pérennité de toute vie.

Ou

La présente loi a pour objet de permettre la création de servitude de conservation afin de contribuer au développement durable fondé sur la conservation des ressources vivantes.»

Certaines des expressions employées furent jugées non adaptées à la conservation. Ainsi, l'expression «développement durable» fut écartée car elle aurait une connotation politique et amènerait l'idée de «développer», alors qu'un juste retour de balancier demanderait que l'on prône ici seulement la conservation. Les participants ont également manifesté l'opinion que l'usage du terme «humanité» n'est pas approprié puisqu'il ne s'agit pas du véritable objet du projet de loi. De plus, il serait inexact de prétendre que ce projet de loi vise à faire du développement durable fondé sur la conservation des «ressources vivantes». En effet, la conservation peut également porter sur des ressources inertes. Nous endossons la totalité de ces commentaires.

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CHAPITRE I