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l'expérience américaine

La servitude de conservation à l'extérieur du Québec

5.1. l'expérience américaine

En Amérique du Nord, la tradition d'intendance privée est née aux États-Unis vers la fin des années 1800. La préoccupation des citoyens de se prendre en charge afin de protéger les espaces naturels importants de leur communauté ne date donc pas d'hier. On trouve trace des premiers contrats de servitudes de conservation vers 1880. Ceux-ci ont été conclus afin de protéger des parcs situés à l'intérieur et dans la périphérie de Boston. I49

À cette époque, il semble que les exigences de la common law applicables en matière de servitudes étaient semblables à celles que nous connaissons aujourd'hui en droit civil québécois. La validité juridique des servitudes de conservation était donc incertaine.

D'ailleurs, les servitudes qui devaient assurer la protection des parcs de Boston ont été invalidées dans les années 20.

Conscientes du potentiel extraordinaire des servitudes de conservation, les autorités législatives américaines ont alors décidé de procéder à une réforme avec comme objectif d'éliminer tous les obstacles juridiques150 à la constitution de servitudes à des fins de conservation et de permettre son utilisation par des organismes à but non lucratif Ainsi, une

149« A Brief History of the Conservation Easement » (1985) 4:3 Land Trusts' Exchange 11 at 11;

Plusieurs contraintes juridiques faisaient obstacle au développement des servitudes de conservation avant l'adoption par une majorité d'états de lois les soustrayant aux exigences du droit traditionnel en matière de servitudes, soit :

la distinction entre servitude réelle et personnelle;

la non-reconnaissance par les tribunaux de la servitude personnelle;

l'obligation pour la servitude réelle d'être rattachée à un fonds dominant;

le caractère incessible de la servitude personnelle;

la possibilité d'extinction automatique des servitudes;

les difficultés légales provenant du démembrement de la propriété.

loi cadre151 nommée Uniform Conservation Easement Act'52

fut adoptée par « The National Conference of Commissioners on Uniform State Laws » en 1981. Cette loi a été reprise en tout ou en partie par seize états153 et le « District of Columbia ». Cette loi aborde plusieurs aspects de l'établissement d'une servitude de conservation: les définitions des termes utilisés, les titulaires autorisés, sa création, sa durée et ses modifications, son exécution, l'inapplicabilité des critères usuels de la common law en matière de servitudes, la portée de la loi et son application dans le temps.

D'autres ont préféré adopter leurs propres lois, lesquelles visent toutes le même objectif, soit permettre la protection d'espaces naturels par la mécanique des servitudes154

L'objet du présent chapitre n'est pas de procéder à une analyse détaillée de la Uniform Conservation Easement Act 155 ou des autres lois américaines portant sur les servitudes de conservation. Nous nous contenterons donc de dire que l'essence de ces dernières rejoint complètement la proposition de réforme législative faite au chapitre 4. Il est rassurant de constater qu'avec un outil semblable à celui que nous souhaitons pour le Québec, des milliers d'âcres de terres ont été protégés aux États-Unis.

La Uniform Conservation Easement Act 156 met en place un cadre légal qui permet l'établissement de servitudes destinées à des fins de conservation de la nature et de certains immeubles en raison de leur caractéristiques particulières. Il s'agit d'une entente que passe un propriétaire foncier et un bénéficiaire afin de protéger certains aspects spécifiques d'un immeuble (fonds de terre et/ou bâtiments). Le bénéficiaire peut être le gouvernement ou une de ses agences. Il peut s'agir égalernént d'un organisme non gouvernementa1.157 Les ententes ainsi passées peuvent être temporaires ou perpétuelles puisqu'elles suivent les règles normalement applicables à tout autre type de servitudes qui existe dans chaque état américain.158 Les parties impliquées peuvent forcer l'exécution de la servitude, si cette dernière n'est pas respectée par l'un d'eux. Ce droit est également attribué a une tierce

151Le système juridique américain prévoit la possibilité pour le National Conference of Commissioners on Uniform State Laws d'édicter des lois cadres qui sont ensuite ignorées, modifiées ou reprises intégralement par les différents états.

is2Précitée, note 136.

153Alaska, Arizona, Georgia, Idaho, Indiana, Kansas, Kentucky, Maine, Minnesota, Mississippi, Nevada, New Mexico, South Carolina, Texas, Virginia et Wisconsin.

154Pour une étude du droit des servitudes de conservation aux États-Unis, voir Michel BÉLANGER et al., Le droit privé et les mesures de conservation des sites naturels et récréatifs, mémoire, Montréal, Centre québécois du droit de l'environnement et Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal, octobre 1991; J. DIEHL et T.

S. BARRETT et al., op. cit., note 134.

155 Précitée, note 136.

156 Précitée, note 136.

157 Article 1 (1) et (2) U.C.E.A.

158 Article 2 (a) U.C.E.A.

La servitude de conservation à l'extérieur du Québec

partie. I59 La Cour possède le pouvoir de modifier ou résilier la servitude de conservation selon les principes de « law and equity »»60

Afin de se soustraire à l'application des règles usuelles de common law en matière de servitude, la Uniform Conservation Easement Act 161 prévoit à son article 4 l'ensemble des conditions que les ententes, auxquelles elle donnera lieu, n'auront pas à respecter. Elle prévoit également certaines règles d'application rétroactives afin de valider les conventions précaires conclues avant son entrée en vigueur.162

Voici quelques similarités entre la Uniform Conservation Easement Act163 et la servitude de conservation que nous proposons au chapitre 4:

L'article 1 (1) U.C.E.A. précise qu'une servitude de conservation peut être utilisée à plusieurs fins dont « [r]etaining or protecting natural, scenic, or open-space values of real property, assuring its availability for agricultural, forest, recreational, or open-space use, protecting natural resources, maintaining or enhancing air or water quality, or preserving the historical, architectural, archaeological, or cultural aspects of real property ». Ces fins rejoignent celles retenues par notre proposition de loi, à l'article 1 (3) ef(6) et à l'article 2.

• L'article 1 (3) U.C.E.A. introduit la notion de « [t]hird-party right of enforcement » qui rejoint le principe qui permet l'exécution forcée par un tiers en vertu de la notion de bénéficiaire subrogé que nous proposons à l'article 1(2), aux articles 23 et suiv. ainsi qu'aux articles 34 et 35, tout comme le principe de l'intérêt d'un tiers pour demander une injonction négatoire ou mandatoire, en vertu de l'article 35.

• L'article 2 (c) U.C.E.A. retient le principe de la perpétuité à défaut de stipulation d'un terme. Nous proposons la même avenue à l'article 8.

• L'article 2 (e) U.C.E.A. tel qu'adopté par le Mississippi en 1986 retient le principe que [a] conservation easement shall continue to be effective and shall not be extinguished if the easement holder is or becomes the owner in fee of the subject property ». Nous retenons également cette position à l'article 13.

• L'article 3 (a) U.C.E.A. prévoit que « [a]r' action affecting a conservation easement may be brought by: (1) an owner of an interest in the real property burdened by the easement; (2) a holder of the easement; (3) a person having a third-party right of enforcement; or (4) a person authorized by other law ». Notre proposition de loi adopte

159 Article 1 (3) et 3 U.C.E.A.

aussi le principe d'une pluralité de requérants potentiels lors des différents recours autorisés, notamment ceux prévus aux articles 34 et 35.

• L'article 3 (b) U.C.E.A. prévoit que: « [t]his Act does not affect the power of a court to modify or terminate a conservation easement in accordance with the principles of law and equity ». Cette position rejoint celle que nous adoptons à l'article 34.

• L'article 4 U.C.E.A. prévoit que: « [a] conservation easement is valid even though: (1.) it is not appurtenant to an interest in real property; (2) it can be or has been assigned to another holder; (3) it is not a character that has been recognized traditionally at [cJommon law; (4) it imposes a negative burden; (5) it imposes affirmative obligations upon the owner of an interest in the burdened property or upon the holder; (6) the benefit does not touch or concern real property; or (7) there is no privaty of estate or of contract. » (Les italiques sont de nous) Il s'agit de l'article qui relève la servitude de conservation de toutes les contraintes juridiques auxquelles elle aurait été autrement soumise. Nous arrivons aux mêmes fins par la rédaction de l'article 3.

• L'article 5 (b) U.C.E.A. énonce que « [t]his Act applies to any interest created before its effective date if it would have been enforceable had it been created alter its effective date unless retroactive application contravenes the constitution or laws of this State or the United States ». Nous adoptons une approche similaire avec l'article 36, lequel a pour but de valider certaines servitudes de conservation précaires établies avant l'entrée en vigueur de la loi sur les servitudes de conservation.

5.1.1. Critiques de la législation américaine

La riniform Conservation Easement Act I64 nous propose un modèle de servitude de conservation souhaitable pour le Québec. En effet, elle permet l'implication de l'État et du secteur privé pour assurer la conservation de la nature mais aussi du cadre bâti. Nous croyons que la loi à adopter au Québec devrait avoir une portée aussi large et permettre également une pluralité d'utilisateurs.165

Soulignons le fait que les organismes non gouvernementaux n'ont pas à recevoir une accréditation quelconque afin de pouvoir être bénéficiaire d'une servitude de conservation.

Cela nous semble tout à fait justifié. I66

164 Précitée, note 136.

165 Voir les articles 1 (3) et (6), 2 et 21 de notre proposition de loi au chapitre 4.

166 Cette position est reprise dans notre proposition de loi au chapitre 4.

La servitude de conservation à l'extérieur du Québec

La Uniform Conservation Easement Act I67 prévoit qu'à défaut d'un terme exprès la servitude sera perpétuelle. Cette position devrait être retenue par le Québec puisque les efforts déployés pour assurer la conservation de certains espaces naturels et d'immeubles commandent la plus grande stabilité possible. I68

La Uniform Conservation Easement Act ] 69 prévoit la possibilité pour une tierce partie de venir forcer l'exécution de la servitude. On pallie ainsi à une éventuelle inaction des signataires de la servitude. Ceci, à notre avis, bénéficie à l'ensemble de la collectivité.' 70

La Uniform Conservation Easement Act'7' prévoit la possibilité pour la Cour de modifier ou résilier une servitude lorsque nécessaire en vertu des principes de « law and equity ». Bien que nous soyons, de prime abord, méfiant envers toute brèche éventuelle au principe de la liberté contractuelle, nous croyons qu'il peut être pertinent d'autoriser, sous certaines conditions, une modification ou une résiliation judiciaire des servitudes de conservation. Le concept de « law and equity » n'a pas d'équivalent en droit civil québécois. Nous estimons qu'il faut alors déterminer des critères précis sur lesquels un juge pourra s'appuyer pour exercer toute discrétion qu'il se verrait confier.'72

Finalement, la Uniform Conservation Easement Act 173 prévoit un mécanisme qui valide rétroactivement les servitudes précaires conclues avant l'entrée en vigueur de la loi. Cette particularité est souhaitable pour le Québec puisque déjà plusieurs ententes de conservation sont signées sur la base d'une servitude réelle alors qu'elles n'en respectent pas toutes les conditions et sont dès lors d'une validité juridique douteuse. I74