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Les outils de conservation disponibles au Québec

Au Québec présentement, les outils existants de protection du patrimoine naturel ne facilitent pas toujours la recherche [du] meilleur compromis possible. Face à une quantité et à une diversité importante d'espaces naturels à sauvegarder, on dispose de moyens trop peu nombreux, exigeant des procédures de mise en place longues et complexes. Ces moyens concernent davantage la protection intégrale ou quasi-intégrale qui exige l'appropriation par l'État de parcelles de territoires. Quantité de sites naturels ne rassemblent pas l'ensemble des critères nécessaires pour l'attribution d'un statut de parc ou de réserve écologique.

En première analyse, il semble donc que pour faire mieux et plus dans le domaine de la protection du patrimoine naturel, une série de mécanismes souples d'application, adaptés à chaque type d'espace naturel serait indispensable et permettrait de compléter, raffiner et de diversifier les outils déjà existants. »22

De plus, « [a]u Québec, plusieurs catégories d'espaces naturels sont particulièrement méconnues tant du grand public que des responsables de la protection du patrimoine naturel.

Il en est ainsi par exemple des lieux très ponctuels marqués par la présence d'un bloc erratique exceptionnel, d'un arbre ou d'un groupe d'arbres remarquables. La question se pose également pour certains milieux humides, pour des sites fossilifères, des gîtes minéraux, des sites cavernicoles, des ensembles dunaires, des moraines, des eskers et bien d'autres sites d'intérêt géologique ou géomorphologique. Ces sites ne sont pas encore reconnus en tant qu'éléments véritables du patrimoine naturel et les mesures susceptibles de les protéger sont tout à fait inexistantes.

D'autres catégories d'espaces sont au contraire fort bien connues mais ne peuvent être protégées dans le contexte juridique actuel. Ces espaces peuvent être relativement étendus et constituent des ensembles physiographiques naturels, par exemple une belle vallée encaissée comme les Hautes-Gorges de la rivière Malbaie dans Charlevoix, ou un massif montagneux comme le massif du mont Pinacle en Estrie. [...]

(Suite)

sorte qu'il soit possible de remettre graduellement ses responsabilités devenues historiques entre les mains du milieu et de ses intervenants, pour ensuite se retrancher dans un rôle fondamental de soutien et de coordination, offrant des services tout en encourageant la pratique de la conservation et de ses fonctions essentielles, de l'inventaire à la mise en valeur, la première étant conçue en fonction de la seconde. », M.-C.

DE KONINK, op.cit., note 16, p. 28.

22 DIRECTION DU PATRIMOINE ÉCOLOGIQUE, op. cil., note 18, p. 3.

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Les vides juridiques de sauvegarde caractérisent une portion non négligeable du patrimoine naturel du Québec. Un retard important reste à rattraper tant au niveau de la connaissance de certains sites du patrimoine naturel qu'au niveau des modalités qui pourraient en permettre leur protection »2 .

1.3.1. en vertu du droit public

Plusieurs des sites qui méritent d'être conservés se trouvent à l'extérieur des terres publiques.

Ils ne peuvent donc faire l'objet d'aucun statut de protection, sous réserve d'une éventuelle mise en tutelle en vertu des législations telles les Loi sur les réserves écologiques24 , Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune25 , Loi sur les biens culturels26 , Loi sur les espèces menacées ou vulnérables27 , etc.28

Autrefois, la Loi sur les réserves écologiques29 permettait au ministre de l'Environnement d'acquérir des droits réels ou personnels sur des terrains privés afin de faciliter l'utilisation d'une réserve écologique30. Cette disposition rendait possible la création de zones tampons autour d'une réserve écologique existante ou bien l'établissement de droits de passage pour permettre aux inspecteurs d'y avoir accès, le tout en laissant le droit de propriété dans le domaine privé. Or, la nouvelle version de la Loi sur les réserves écologiques ne fait plus état de cette possibilité32. Par ailleurs, les terres incorporées dans une réserve écologique sont destinées à l'une ou l'autre des fins suivantes:

« 1° conserver ces terres à l'état naturel;

2° réserver ces terres à la recherche scientifique et, s'il y a lieu, à l'éducation;

3° sauvegarder les espèces fauniques et floristiques menacées ou vulnérables. »33

23 Id., pp. 7-8.

24 L.R.Q., c. R-26.1, (ci-après parfois citée: « L.R.E. »).

25 L.R.Q., c. C-61.1, (ci-après parfois citée: « L.C.M.V.F. »).

26 L.R.Q., c. B-4, (ci-après parfois citée: « L.B.C. »).

27 L.R.Q., c. E-12.01, (ci-après parfois citée: « L.E.M.V. »).

28 Pour une étude de la portée des moyens de protection des espaces naturels, voir Maryse GRANDBOIS, « Le droit fédéral et québécois de la conservation de la faune », (1985) 16 Revue de droit de l'Université de Sherbrooke, 261-313; et Denys-Claude LAMONTAGNE, « D'antiques institutions juridiques au service d'un nouvel environnement », (1991) 94 Revue du Notariat, 131-180.

29 Précitée, note 24.

Article 4 L.R.E.

31 Précitée, note 24.

32 L'article 5 prévoit que le ministre peut acquérir « tout bien» qu'il juge nécessaire pour la constitution d'une réserve ou pour son agrandissement, son utilisation ou sa gestion. Doit-on comprendre que l'expression « tout bien» inclut les droits réels ou personnels? Cela nous semble discutable puisqu'un démembrement du droit de propriété n'est pas un bien mais plutôt une fraction (un élément constitutif) d'un bien.

33 Article 1 L.R.E.

Introduction

On ne peut donc se fier sur cet outil législatif pour conserver l'usage de certains sites à vocation récréative, agricole ou forestière, pas plus que pour protéger les caractéristiques patrimoniales d'un bâtiment. La Loi sur les réserves écologiques34 prévoit un mécanisme qui permet la participation du secteur privé à la conservation des espaces naturels. En effet, le ministre peut confier le mandat à toute personne physique ou à toute personne morale de droit public ou privé ou à toute association, de réaliser des activités liées à la poursuite des fins prévues à l'article 1 de la loi ou de gérer des réserves écologiques. Ceci semble être une avenue intéressante en terme collaboration entre l'État et le secteur privé. Toutefois, la Loi sur les réserves écologiques35 demeure uniquement un outil destiné à l'État puisqu'elle sert à protéger des espaces naturels en fonction des critères qu'il détermine.

La Loi sur la conservation et mise en valeur de la faune36 et la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables37 sont des lois complémentaires. Alors que la première est destinée à assurer la protection de la faune ou de parcelles de territoire en raison de la faune qu'on y retrouve, la seconde a pour but de protéger et de gérer les espèces fauniques et floristiques menacées ou vulnérables désignées comme telles à la section III. La Loi sur la conservation et mise en valeur de la faune-38 permet dans une certaine mesure des ententes avec les propriétaires 'privés afin de permettre sur leurs sites un certain nombre d'activités39. Pour sa part, la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables40 prévoit la possibilité pour le ministre de l'Environnement et de la Faune de louer ou acquérir de gré à gré tout bien immeuble ou tout droit réel immobilier41. Il lui est donc loisible d'établir des ententes privées telles un bail, une servitude réelle, etc. Les ententes devront évidemment avoir comme fin la protection et la gestion des espèces floristiques menacées ou vulnérables désignées ou susceptibles d'être ainsi désignées42.

L article 104 L.C.M.V.F.. prévoit la possibilité d'établir des ententes afin d'inclure dans une zone d'exploitation contrôlée (ZEC) une terre privée. Dès lors, cette terre est vouée aux mêmes fins que la ZEC, soit : l'aménagement, l'exploitation ou la conservation de la faune ou d'une espèce faunique. L'article 1 1 1 prévoit la même possibilité relativement aux réserves fauniques. Le site privé devra alors être utilisé à des fins de conservation, de mise en valeur et d'utilisation de la faune. Des ententes privées peuvent également être faites, en vertu de l'article 122, afin d'inclure dans des refuges fauniques des sites privés. Ceux-ci devant dès lors servir à la conservation de l'habitat de la faune ou d'une espèce faunique selon des normes et conditions d'utilisation du territoire ou des ressources à des fins autres que récréatives.

Précitée, note 27.

41 Article 8 L.E.M.V.

42 Article 8 L.E.M.V.

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La Loi sur les espèces menacées ou vulnérables" prévoit à l'article 26, la possibilité pour le ministre de l'Environnement et de la Faune, par protocole d'entente, aux conditions et pour les activités ou les habitats d'une espèce floristique menacée ou vulnérable qu'il détermine, confier aux communautés urbaines ou aux municipalités, l'exercice sur leur territoire des pouvoirs prévus aux articles 18 et 20 à 24 et au deuxième alinéa de l'article 8. Ces articles portent: a) sur les autorisations nécessaires lors de la réalisation d'activités requises pour des fins éducatives, scientifiques ou de gestion ou qui modifient l'habitat d'une espèce floristique menacée ou vulnérable; et b) sur les mesures de protection et de gestion des espèces floristiques menacées ou vulnérables désignées. La Loi sur la conservation et mise en valeur de la faune", à son article 128.16 prévoit, en ce qui concerne les habitats fauniques, une délégation de pouvoirs similaire en faveur des communautés urbaines, des municipalités régionales de comté ou des municipalités. Ces délégations de pouvoirs laissent entrevoir la possibilité d'une collaboration souhaitable.

La Loi sur les biens culturels" permet notamment que l'on désigne comme arrondissement naturel un territoire, une municipalité ou une partie de municipalité en raison de l'intérêt esthétique, légendaire ou pittoresque que présente son harmonie naturelle46. Cette disposition a été peu utilisée principalement à cause de son ambiguïté. Alors que certains prétendent qu'elle permet de désigner des territoires esthétiques ou spectaculaires, humanisés ou complètement sauvages, d'autres sont d'avis qu'il est primordial d'y trouver les traces d'une occupation humaine47. Cette technique de protection possède l'avantage de ne nécessiter aucune acquisition de la part de l'État.

D'autres lois favorisent la conservation de certains espaces naturels. Mentionnons la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme" qui autorise les municipalités régionales de comté à inscrire dans leur schéma d'aménagement les portions de leurs territoires d'ordre esthétique ou écologique49. Cette inscription ne confère aucune protection. « Seuls [les sites] identifiés comme zones d'inondation, d'érosion, de glissement de terrains doivent obligatoirement être soustraits à des usages incompatibles avec leur nature, et ce, pour des raisons de sécurité. De façon totalement indirecte donc, ce type d'espaces naturels se trouve protégé. »50 Pour leur part, les municipalités locales, conformément aux schémas d'aménagement de leur municipalité régionale de comté (MRC) respective, adoptent des dispositions de zonage qui tiendront compte de la protection à accorder aux zones dites d'intérêt esthétique ou écologique ainsi qu'aux rives du littoral et aux plaines inondables pour des raisons de protection

43 Précitée, note 27.

44 Précitée, note 25.

45 Précitée, note 26.

46 Article li) et 45 L.B.C.

47 DIRECTION DU PATRIMOINE ÉCOLOGIQUE, op.cit., note 18, p. 29.

48 Précitée, note 10.

49 Article 5 L.A.U.

DIRECTION DU PATRIMOINE ÉCOLOGIQUE, op. cil., note 18, p. 30.

Introduction

environnementale. La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme51 donne aux municïpalités certains pour oirs en matière de réglementation. Il ne faut toutefois pas oublier que l'exercice de ce pouvoir reste discrétionnaire. De plus le zonage peut être facilement modifié. Il n'assurera donc pas toujours le caractère de protection permanente que l'on recherche en matière de conservation des espaces naturels. Ajoutons aussi, que souvent, la portée des règlements de zonage municipaux se trouvera fortement réduite en raison des droits acquis dont bénéficient certains propriétaires ou de la résistance qu'ils peuvent opposer.

« Mis à part le statut d'arrondissement naturel, qui permet la conservation d'un patrimoine tout en assurant le maintien des différentes fonctions traditionnelles de l'espace, les autres statuts de protection d'espaces naturels au Québec gèlent à toutes fins pratiques les utilisations non autorisées de la loi. Ainsi, il est impossible de protéger des espaces naturels ou des éléments particuliers de ces espaces tout en maintenant certaines fonctions, lorsque ces dernières sont compatibles avec le maintien des caractéristiques qui doivent être protégées. Ce manque de souplesse des moyens existants oblige actuellement quiconque veut protéger un espace naturel à en devenir propriétaire. Les sites nécessitant une protection intégrale et permanente doivent être acquis, mais l'acquisition par le [giouvernement ou par un organisme non gouvernemental ne peut demeurer l'unique solution à la conservation des espaces naturels. Le risque à long terme, c'est de voir se transformer le milieu naturel en quelques espaces « musées » entourés d'une majorité d'espaces perturbés.

Une meilleure protection du patrimoine naturel passe par la mise en place de modalités de protection qui permettent aussi un développement durable des ressources. »52

Bien qu'utiles, ces diverses lois ont, sous certains aspects, une portée limitée. Elles destinent l'immeuble à des fins très spécifiques, sans considérer, parfois, le besoin de conserver des sites particuliers pour d'autres raisons que leurs caractéristiques fauniques ou floristiques. On doit souligner comme contrainte supplémentaire que le bénéficiaire du statut de protection qu'elles confèrent est invariablement le gouvernement. Cela minimise l'implication du public et fait porter seul à l'État, le poids de l'urgence d'agir. Ce dernier n'est d'ailleurs pas toujours le mieux placé pour intervenir. Pensons notamment à certains particuliers qui préferent traiter avec leurs pairs lorsque vient le temps de décider de quelle façon protéger les caractéristiques naturelles de leur propriété.

1.3.2. en vertu du droit privé

Les outils juridiques de droit privé, actuellement utilisés à des fins de conservation, sont tous régis par le Code civil du Québec. Il s'agit le plus souvent de la vente ou la donation en pleine propriété, du bail et de la servitude portant sur des sites ayant une valeur ou un potentiel écologique à conserver.

51 Précitée, note 10.

52 Id., p. 10.

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L'objectif de ce rapport n'est pas d'examiner chacune de ces techniques juridiques53. Nous nous contenterons de dire qu'à l'exception de la vente, de la donation et de la servitude réelle, elles ont comme dénominateur commun l'impossibilité d'assurer une protection perpétuelle.

En effet, selon le C.c.Q. un bail ne peut avoir une durée supérieure à cent ans54. Il en va de même pour une servitude personnelle55.

Bref, les outils légaux mis à la disposition des groupes de citoyens désireux de protéger leur environnement sont insuffisants puisqu'ils font défaut d'offrir une technique capable d'assurer une protection perpétuelle tout en dissociant le statut de propriétaire de celui de bénéficiaire des droits de conservation.

1.4. la nécessité d'établir de nouvelles techniques de