• Aucun résultat trouvé

165 A. Droit interne suisse

B. Avis des organes de contrôle

2. Procédures concernant la Suisse

On rappellera que deux plaintes ont été déposées contre la Suisse de-vant le Comité de la liberté syndicale.

Dans sa plainte de 2003, l’USS affirmait que les indemnités auxquelles peuvent être condamnés les employeurs coupables de licenciement abusif antisyndical ou de licenciement non justifié d’un représentant du personnel étaient trop faibles et qu’elles n’avaient pas d’effet dissua-sif190.

Cette plainte a été accueillie favorablement par le Comité qui a émis des recommandations au gouvernement suisse dans deux rapports intéri-maires de 2004191 et 2006192. Le Comité a estimé que l’ordre juridique suisse ne protégeait pas suffisamment les représentants syndicaux vic-times de licenciements antisyndicaux. Il a retenu notamment que la protection contre le licenciement antisyndical des articles 336 et sui-vants CO n’était pas conforme à la Convention OIT n° 98 et a prié le Conseil fédéral de prendre des mesures pour prévoir le même type de

187 CLS, Liberté syndicale, N 1132.

188 CLS, Liberté syndicale, N 1119.

189 CLS, Liberté syndicale, N 1123.

190 Voir DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER, Représentants des travailleurs, N 9 ; MOESCH, La protection internationale, 547 ss.

191 Voir CLS, Rapport intérimaire N 335 de novembre 2004.

192 Voir CLS, Rapport intérimaire N 343 de novembre 2006.

La discrimination antisyndicale

181

protection pour les représentants syndicaux victimes de licenciements antisyndicaux que pour ceux victimes de licenciements violant le prin-cipe d’égalité entre hommes et femmes, y compris la possibilité d’une réintégration193.

La Commission d’experts s’est également prononcée à plusieurs re-prises sur le régime du droit suisse de protection contre les licencie-ments antisyndicaux194. Selon la Commission, les indemnités applicables pour licenciement abusif sont susceptibles d’avoir un caractère dissuasif pour les petites et moyennes entreprises mais n’ont pas ce caractère pour les entreprises à forte productivité ou pour les grandes entre-prises195.

Relevons, enfin, que la Suisse a dû justifier devant la Commission tripar-tite d’application des normes des mesures prises pour mettre sa législa-tion en conformité avec la Convenlégisla-tion n° 98. En effet, la Suisse a figuré sur la liste des Etats suspectés de manquements graves, sur laquelle la Commission a porté son attention en 2006196.

Diverses initiatives ont été prises par le Conseil fédéral, qui a également sollicité une étude approfondie sur les conditions et les aspects déter-minants de la protection des représentants des travailleurs face aux licenciements197. Cette étude, qui a été confiée par l’Office fédéral de la justice et le Secrétariat d’Etat à l’économie au Centre d’étude des rela-tions de travail de l’Université de Neuchâtel (ci-après : CERT), a été ren-due au mois d’août 2015198. Pour l’instant, en l’absence de consensus politique, aucune réforme législative n’a abouti. La réflexion se poursuit au sein de la Commission fédérale tripartie pour les affaires de l’OIT. Il est probable que les organes de contrôle de l’OIT interpellent à nouveau le Conseil fédéral dans ce dossier.

193 Voir CLS, Rapport intérimaire N 343 de novembre 2006, N 1148.

194 Voir par exemple, l’observation adoptée en 2015 et publiée en 2016 lors de la 105ème session de la Conférence internationale du Travail.

195 Voir l’observation adoptée en 2008 et publiée en 2009 lors de la 98ème session de la Conférence internationale du Travail.

196 Voir BERSET BIRCHER/MEIER, L’impact du droit international, 585.

197 Sur les initiatives du Conseil fédéral, voir DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/ HASSISSENE/MADER, Représentants des travailleurs, N 17-19 et BERSET BIRCHER/MEIER, L’impact du droit international, 586 ss.

198 Voir DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER,Représentants des travailleurs.

Jean-Philippe Dunand

182

Quant à la plainte du SSP de 2013, elle dénonce une insuffisance de la législation suisse en matière de protection des travailleurs contre les congés donnés en cas d’exercice du droit de grève199. La plainte se fonde sur les événements qui se sont déroulés à l’Hôpital de la providence à Neuchâtel entre juin 2012 et début 2013. Des procédures judiciaires, de nature civile et pénale, ont été lancées par les protagonistes devant les juridictions suisses. Le Comité paraît attendre le dénouement de ces procédures avant de se prononcer sur la plainte du SSP. Notons que dans un arrêt récent, dont nous avons déjà fait mention, le Tribunal fé-déral a considéré que le licenciement immédiat des grévistes était justi-fié, mettant ainsi fin au volet civil du litige200.

C. Adaptation du droit interne suisse

Contrairement aux cas de discriminations antisyndicales à l’embauche et en cours d’emploi, le droit suisse comprend des protections explicites en matière de licenciements discriminatoires.

Nous avons vu que la question des sanctions à l’encontre d’un licencie-ment antisyndical était particulièrelicencie-ment sensible. Les organes de con-trôle considèrent que le droit interne suisse ne comprend pas de sanc-tion suffisamment dissuasive.

Nous avons pour notre part conclu l’étude du CERT sur l’opinion que la réintégration est un mécanisme qui s’intègre ou qui s’intégrerait assez difficilement aux principes qui régissent le droit privé suisse du travail201. D’ailleurs, l’article 10 LEg, bien qu’entré en vigueur il y a plus de vingt ans, n’a presque jamais donné lieu à une réintégration effective.

En lieu et place du régime de la réintégration, nous avons proposé de modifier l’article 336a CO en portant le montant maximum de l’indemnité en cas de congé abusif (et par symétrie en cas de licencie-ment immédiat injustifié selon l’art. 337c al. 3 CO) de six à douze mois du salaire de la victime. Nous avons indiqué que le droit suisse serait alors susceptible d’être considéré comme conforme au droit de l’OIT puisqu’il

199 DUNAND/MAHON/MATTHEY/RUSSO, Grève licite, N 17-20.

200 TF 4A_64/2018 du 17 décembre 2018, c. 6.

201 DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER, Représentants des travailleurs, N 398.

La discrimination antisyndicale

183

proposerait une alternative crédible, sous la forme d’une indemnisation adéquate202.

Il faut toutefois tenir compte dans ce contexte de l’évolution de la juris-prudence de la CourEDH. Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour a considéré qu’une loi turque qui conférait à l’employeur la possibilité de verser des indemnités de douze mois de salaire aux travailleurs victimes d’un licen-ciement antisyndical, en lieu et place d’une réintégration, n’imposait pas, dans les circonstances du cas d’espèce, de sanctions suffisamment dissuasives203. Il est donc possible qu’une indemnité maximale de douze mois prévue dans le CO soit considérée comme insuffisante.

Quoiqu’il en soit, il nous semble que, conformément au droit de l’OIT, le droit suisse pourrait être précisé ou adapté, de lege lata, sur les points suivants.

Tout d’abord, la possibilité conférée à l’employeur de justifier le licen-ciement d’un délégué syndical ou d’un représentant élu des travailleurs par des motifs d’ordre économique a pour effet d’amoindrir de manière sensible la portée des protections légales204. Il n’est pas contestable que c’est en période de difficultés économiques que la représentation des travailleurs doit pouvoir jouer efficacement son rôle de défense des intérêts de l’ensemble des employés concernés par les restructura-tions205. Le Tribunal fédéral pourrait adapter sa jurisprudence en tenant mieux compte de l’avis des organes de contrôle de l’OIT, lesquels préco-nisent une protection accrue des représentants des travailleurs. Seuls des motifs inhérents aux représentants syndicaux devraient être admis comme motifs justifiés.

Par ailleurs, en cas de licenciements antisyndicaux notifiés à l’encontre de délégués syndicaux ou représentants des travailleurs, le juge devrait systématiquement fixer le montant de l’indemnité au maximum des six mois de salaire prévus dans la loi, ou à tout le moins à une somme proche de ce maximum.

202 DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER, Représentants des travailleurs, N 432.

203 CEDH, Tek Gida is Sendikasi c. Turquie (requête n° 35009/05), 4 avr. 2017, § 56.

204 BRUCHEZ/DONATIELLO, N 33 ad art. 335f CO ; DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/ HASSISSENE/MADER, Représentants des travailleurs, N 334.

205 BRUNNER/BÜHLER/WAEBER/BRUCHEZ, N 10 ad art. 336 CO.

Jean-Philippe Dunand

184

VIII. Conclusion

Comme l’énonce une auteure, si « les normes internationales du travail sont la pierre angulaire des activités de l’OIT, la liberté d’association est, sans aucun doute, la pierre angulaire du droit du travail au niveau natio-nal et internationatio-nal »206.

Nous avons vu que dans l’ordre juridique suisse, la liberté syndicale est garantie autant par la Constitution fédérale que par le droit de l’OIT et plusieurs instruments internationaux de protection des droits de l’homme. Cette concordance s’inscrit dans une tendance marquée à l’universalisation des droits de l’homme, lesquels ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des Etats membres et à imprégner le droit in-terne de chacun d’eux207.

Certes, les normes internationales du travail n’imposent pas un système déterminé ou des solutions uniformes ; elles tendent à concilier le res-pect de la liberté syndicale avec le resres-pect des caractéristiques propres à chaque pays208. Elles garantissent toutefois des règles de protection minimales qui doivent être respectées par les Etats concernés209. Selon un principe général du droit international, qui correspond à une règle générale du droit, les Etats se doivent d’exécuter et d’interpréter de bonne foi les Conventions internationales qu’ils ont ratifiées210. Ces principes ont été codifiés aux articles 26 et 31 paragraphe 1 de la Con-vention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, entrée en vi-gueur pour la Suisse le 6 juin 1990211.

Par ailleurs, selon la Constitution de l’OIT, les Etats parties doivent prendre toutes « mesures qui seront nécessaires pour rendre effectives les dispositions » des conventions ratifiées (art. 19 ch.5 let. d)212.

206 LA HOVARY, Les droits fondamentaux au travail, 39.

207 MAHON, Droits fondamentaux, N 22 ; PÄRLI/BAUMGARTNER/EYLEM/JUNGHANSS/LICCI/WESSELINA, Arbeitsrecht, N 1050-1055.

208 SERVAIS, Droit international, N 252.

209 SERVAIS, Droit international, N 252.

210 Voir BEAUDONNET, L’utilisation des sources universelles, 62 ; DÖRR/SCHMALENBACH, ad art. 26 et 31 de la CDT; KOLB, La bonne foi, 180 ss.

211 RS 0.111.

212 Voir PÄRLI/BAUMGARTNER/EYLEM/JUNGHANSS/LICCI/WESSELINA,Arbeitsrecht, N 1035.