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La discrimination antisyndicale

A. Applicabilité du droit de l’OIT

Nous traiterons ici du caractère applicable des conventions de l’OIT, puis de la portée des avis des organes de contrôle de l’organisation.

1. Applicabilité des conventions de l’OIT

Selon la jurisprudence, les traités internationaux valablement conclus par les autorités fédérales lient la Suisse dès l’échange des instruments de ratification. Les dispositions du traité acquièrent alors une validité immédiate dans l’ordre juridique suisse et s’incorporent au droit fédéral (système dit moniste)34.

Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international (art. 190 Cst.). Il faut cependant distin-guer la question de la validité immédiate du traité international de celle du caractère directement applicable de ses dispositions35. En effet, les particuliers ne sont autorisés à invoquer en justice les dispositions d’un traité international que lorsqu’elles sont directement applicables (self-executing), ce qui suppose qu’elles aient un contenu suffisamment clair et précis pour servir de fondement à un jugement dans une cause dé-terminée36.

S’agissant plus particulièrement du droit de l’OIT, le Conseil fédéral pré-cise généralement dans ses Messages si les dispositions d’une conven-tion dont il propose la ratificaconven-tion lui paraissent directement applicables ou non37.

En cas d’incertitude ou de litige, la question du caractère directement applicable peut être soumise aux tribunaux. Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur le caractère

directe-34 ATF 130 I 313, c. 4.1. Voir, CONSEIL FÉDÉRAL, Droit international, 2102 ss.

35 TF 4C.422/2004 du 13 septembre 2005, c. 3.1.2.

36 ATF 126 I 240, c. 2b.

37 BERSET BIRCHER/MEIER, L’impact du droit international, 596.

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ment applicable de dispositions contenues dans les conventions de l’OIT38. Dans un arrêt rendu en 2005, notre Haute Cour a indiqué qu’il apparaissait d’emblée que la Convention n° 98 n’énonçait que des lignes directrices afin que chaque Etat contractant donne un cadre institution-nel au dialogue social à l’intérieur de ses frontières. Et de conclure que cette convention « n’est pas directement applicable »39.

Toutefois, dans l’ATF 144 I 50, le Tribunal fédéral a visiblement réorienté sa jurisprudence. En effet, l’arrêt contient des considérants novateurs sur la question du caractère directement applicable des normes de l’OIT.

Ainsi, d’un point de vue général, rien n’empêche les juridictions suisses de se référer aux conventions de l’OIT pour concrétiser le principe de la liberté syndicale, indépendamment du fait que les normes applicables soient ou non directement applicables. En effet, de nombreux droits fondamentaux au travail, reconnus dans les conventions de l’OIT, sont protégés par d’autres instruments internationaux dont le caractère di-rectement applicable a été admis bien que les normes en question ne soient guère plus précises que celles contenues dans les conventions de l’OIT40. Sont expressément mentionnés les articles 11 CEDH et 22 Pacte ONU II.

On peut ajouter que la valeur des conventions de l’OIT est renforcée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH) qui a un effet impératif et une portée directe en Suisse41. En effet, dans sa jurisprudence dynamique et évolutive, permettant d’interpréter et de concrétiser la CEDH, la CourEDH tient compte des diverses sources internationales, dont les conventions et la pratique de l’OIT42.

38 Pour une description, voir DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER, Représen-tants des travailleurs, N 193-195 ; KAUFMANN/GOOD, Die Anwendbarkeit, 653 ss.

39 TF 4C.422/2004 du 13 septembre 2005, c. 3.2.2.1, non publié in ATF 132 III 122. Confirmé dans l’arrêt 6B_758/2011 du 24 septembre 2012, c. 1.3.3.

40 ATF 144 I 50, c. 5.3.3.1.

41 AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, N 98 ; BERSET BIRCHER/MEIER, L’impact du droit international, 602 ; DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER, Représen-tants des travailleurs, N 227.

42 Voir spécialement, CEDH, Demir et Baykara c. Turquie (requête n° 34503/97), 12 nov. 2008,

§ 65 ss. Sur cette question, voir DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER, Re-présentants des travailleurs, N 240-242 ; PÄRLI, Bedeutung, 1671 ss.

Jean-Philippe Dunand

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2. Portée des avis des organes de contrôle

Toujours dans l’ATF 144 I 50, le Tribunal fédéral cite à plusieurs reprises les travaux des organes de contrôle de l’OIT, plus précisément de la Commission d’experts et du Comité43. Notre Haute Cour précise que les travaux de ces organes constituent une source d’information impor-tante pour l’interprétation des conventions de l’OIT44.

De même, dans un autre arrêt, encore plus récent, le Tribunal fédéral indique que la pratique du Comité peut, en fonction des circonstances, servir à l’interprétation du droit suisse45.

Ces jurisprudences font écho aux nombreuses décisions judiciaires ren-dues par les juridictions des Etats du monde entier qui sont expressé-ment fondées sur les travaux des organes de contrôle de l’OIT46. On rappellera que la Commission d’experts est composée d’une ving-taine de juristes éminents et indépendants venant de pays et de cultures différents. Quant au Comité, il s’agit d’un organe tripartite qui est com-posé de neuf membres titulaires et de neuf membres adjoints, issus du groupe gouvernemental et des groupes des travailleurs et des em-ployeurs du Conseil d’administration, et présidé par une personnalité indépendante47.

Il existe une très grande convergence de vues entre ces deux organes qui sont pleinement conscients de la nécessité d’assurer une cohérence dans l’interprétation et la concrétisation des principes fondamentaux consacrés par les Conventions n° 87 et n° 9848.

Même si ces organes de contrôle ne sont pas des autorités judiciaires et qu’ils ne sont pas formellement chargés de donner une interprétation authentique des conventions de l’OIT, il est incontestable que leurs tra-vaux constituent une lecture particulièrement autorisée et avisée de ces

43 ATF 144 I 50, c. 4.3 et c. 5.3.3.

44 ATF 144 I 50, c. 5.3.3.1.

45 TF 4A_64/2018 du 17 décembre 2018, c. 5.3.3.2.

46 Voir, par exemple, CIF, Droit international, 94 ss.

47 CLS, Liberté syndicale, Introduction, N 2.

48 CEACR, Etude d’ensemble sur les conventions fondamentales, N 52.

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instruments49. Nous faisons donc largement référence à ces travaux dans notre contribution.