• Aucun résultat trouvé

Les discours sur le temps de travail

II. Travail ou « repos » ?

3. Accomplissement des tâches domestiques

Alors que la Convention n° 171 de l’OIT sur le travail de nuit concerne les personnes salariées sans distinction de sexe, le premier instrument de l’OIT sur ce thème, la Convention n° 4 de l’OIT, prohibait l’emploi noc-turne dans les établissements industriels pour les femmes uniquement19. À l’époque, cette interdiction était présentée comme une « mesure de santé publique visant à réduire le taux de mortalité féminine et infantile et à améliorer le bien-être physique et moral des femmes grâce à une nuit de repos plus longue, lui permettant de s’acquitter plus aisément de

14 Signée le 10 décembre 1948. Art. 24 : « Toute personne a droit au repos et aux loisirs et no-tamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés pério-diques ». Voir aussi art. 7 let. d. du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I, RS 0.103.1).

15 BIT, Temps de travail décent, N 204.

16 Voir notamment BIT, Le temps de travail décent, Equilibrer les besoins des travailleurs avec les exigences des entreprises, Programme des conditions de travail et d’emploi, 2007, 7, avec les ré-férences.

17 Art. 2 § 3 C 014.

18 Convention OIT n° 171 sur le travail de nuit du 26 juin 1990 (C 171).

19 Convention OIT n° 4 sur le travail de nuit du 28 novembre 1919 (C 004). Les cas de force ma-jeure étaient réservés, art. 3-4.

Les discours sur le temps de travail

87

ses tâches ménagères »20. Le travail de nuit des femmes était jugé « im-moral » et « contraire aux valeurs familiales » puisque susceptible de distraire ces dernières de leur rôle de maîtresse du foyer21.

Le « repos » dont devaient bénéficier les femmes grâce à l’interdiction du travail de nuit n’avait donc pas pour finalité le développement de loisirs mais la prise en charge des tâches domestiques, préalable néces-saire à la pleine participation des hommes au marché du travail22. Au fil des décennies, l’interdiction du travail de nuit a été levée pour les femmes exerçant des postes de direction23puis celles occupées dans les services de l’hygiène et du bien-être24. Finalement jugées obsolètes25, les Conventions n° 4 et 41 de l’OIT ont été abrogées en 2017 par la Confé-rence internationale du Travail.

4. Synthèse

Dès les premières années de son existence, l’OIT a souligné l’importance du repos et des loisirs.

Alors que la Convention n° 14 et la Recommandation n° 21 insistent sur la nécessité de garantir aux ouvriers « un temps suffisant pour faire ce qui leur plaît »26, la Convention n° 4 interdit aux femmes de travailler la nuit dans l’industrie de façon à protéger la maternité et à permettre l’accomplissement par les mères de famille du travail domestique non rémunéré.

20 Rapport III (1B) de la 89ème session de la Conférence internationale du Travail (CIT) (2001), Etude d'ensemble des rapports concernant la Convention (nº 4) sur le travail de nuit (femmes), 1919, la Convention (nº 41) (révisée) du travail de nuit (femmes), 1934, la Convention (nº 89) sur le travail de nuit (femmes) (révisée), 1948, et le Protocole de 1990 relatif à la Convention sur le travail de nuit (femmes) (révisée), 1948, 27, N. 36.

21 Allant même jusqu’à « pousser les hommes à l’alcoolisme ». Rapport III (1B) N 36 (n 20). Voir aussi BIT, Temps de travail décent, N 401.

22 Dans ce sens : CONAGHAN, Time to Dream, 6-7, souligne que l’assignation des femmes à la sphère privée à la fois limitait la possibilité pour ces dernières de participer au marché du tra-vail et rendait possible la pleine participation des hommes à ce marché.

23 Convention OIT n° 41 (révisée) du travail de nuit des femmes du 19 juin 1934 (C 041).

24 Convention OIT n° 89 (révisée) sur le travail de nuit des femmes du 9 juillet 1948 (C 089).

25 Rapport VII (1), Abrogation de quatre conventions internationales du travail et retrait de deux conventions internationales du travail.

26 Voir le préambule R 021.

Karine Lempen / Marie Major

88

Fondée sur le modèle de « l’homme pourvoyeur du revenu de la fa-mille » (« full-time male breadwinner »)27 et de la femme donneuse de soin, dont l’accès au marché du travail est subordonné à la réalisation des tâches domestiques, la Convention n° 4 a depuis peu été abrogée.

La Recommandation n° 21 sur l’utilisation des loisirs n’est, elle aussi, plus en vigueur28.

Au niveau des Nations Unies, le droit au repos et aux loisirs demeure consacré par l’article 24 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et par l’article 7 let. d. du Pacte ONU I.

De nos jours, selon le Comité CDESC, « le repos et les loisirs, la limita-tion de la durée du travail et les congés périodiques » ont vocalimita-tion à aider « les travailleurs », quel que soit leur sexe, « à maintenir un équi-libre approprié entre les responsabilités professionnelles, familiales et personnelles » ainsi qu’à « éviter les états de tensions, les accidents et les maladies liés au travail »29.

B. « Temps de travail »

Le « temps de travail » (ou « durée du travail ») est circonscrit par le

« temps de repos ». Mutuellement exclusifs30, ces deux temps structu-rent le quotidien des personnes salariées.

La Convention n° 30 sur la durée du travail définit ainsi, de manière bi-naire, la durée de travail comme « le temps pendant lequel le personnel est à la disposition de l’employeur ; seront exclus les repos pendant les-quels le personnel n'est pas à disposition »31.

La durée du travail est limitée non seulement par les temps de repos, mais aussi par les maxima quotidien ou hebdomadaire prévus dans les

27 CONAGHAN, Time to dream, 10.

28 Recommandation retirée par décision de la Conférence internationale du Travail à sa 92ème session (2004).

29 CDESC, Observation générale n° 23 (2016) sur le droit à des conditions de travail justes et favorables (Doc. NU E/C.12/GC/23), § 46.

30 Voir UEBE, Arbeitsrecht, N 1317 avec les références à la jurisprudence de la CJUE.

31 Art. 2 C 030.

Les discours sur le temps de travail

89

Conventions n° 1, 30 et 4732 ainsi que par les règles de la Convention n°

171 sur le travail de nuit.

Bien que la Suisse n’ait ratifié aucun de ces instruments – invoquant notamment la répartition des compétences entre Confédération et can-tons et le champ d’application trop large des conventions33 – la loi fédé-rale sur le travail reflète néanmoins les standards internationaux relatifs à la durée du travail34.

La LTr est applicable aux personnes salariées des entreprises privées et publiques, sous réserve de diverses exceptions sur lesquelles nous re-viendront35. La loi contient des dispositions visant à protéger la santé36 et des prescriptions sur les durées de travail37et de repos38. En particu-lier, la LTr limite la « durée du travail » à 45 heures39 ou 50 heures par semaine, selon le type d’activité (art. 9 LTr).

Lors de son adoption, le Conseil fédéral relevait que la fixation d’une

« durée maximum du travail a pour but non seulement de protéger la vie et la santé des travailleurs, mais encore de procurer à ceux-ci, comme ils le réclament, plus de loisirs ». Jugés admissibles par les « physiologues

32 Convention OIT n° 47 des quarante heures du 22 juin 1935 (C 047).

33 Voir FF 1991 III 898, 912-916 expliquant que le champ d’application de la Convention OIT n° 171 sur le travail de nuit, qui englobe presque tous les travailleurs salariés, pose des difficultés, le législateur fédéral n’ayant pas la compétence de régler les conditions de travail du personnel des cantons et des communes. Le champ d’application de la loi sur le travail est un des facteurs expliquant que la Suisse n’ait pas non plus ratifié la Convention OIT n° 156 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales du 23 juin 1981 (C 156) (dont l’art.2 précise que la Conven-tion s’applique à l’ensemble des branches et des catégories de travailleurs et dont il sera ques-tion infra dans la partie IV.A.). Voir Objet du CF 86.008 Rapport sur le programme législatif

« Egalité des droits entre hommes et femmes » du 26 février 1986, FF 1986 I 1132, ch. 6.3.3.2.

S’agissant de la durée du travail, voir FF 1920 V 443, 504 ss.

34 Voir UEBE, Arbeitsrecht, N 1331-1334, qui précise tout de même que la limite des 50 heures fixée à l’art. 9 al. 1 let. b LTR pour certains groupes professionnels va au-delà des standards interna-tionaux et européens.

35 Art. 2-4 LTr. Comme expliqué dans la partie III, les ménages privés (art. 2 al. 1 let. g) et les

« travailleurs qui exercent une fonction dirigeante élevée » (art. 3 let. d), notamment, sont ex-clus du champ d’application.

36 Art. 6, 35 et 36a LTr.

37 Durée maximum de la semaine de travail (art. 9 LTr), travail de jour et travail du soir (art. 10), travail compensatoire (art. 11), travail supplémentaire (art 12 et 13).

38 Voir en particulier les dispositions relatives aux pauses (art. 15), au repos quotidien (15a), au travail de nuit (art. 16ss), au travail du dimanche (art. 18ss), aux jours fériés (art. 20a).

39 Initialement 46 heures en 1964. En 1975, une ordonnance du Conseil fédéral fixe la durée hebdomadaire légale du travail à 45 heures, RO 1975 2343 ; FF 1975 II 2265 ss.

Karine Lempen / Marie Major

90

du travail et du point de vue de la santé publique »40, les maxima retenus correspondaient à ceux consacrés dans diverses conventions collectives et contrats individuels de travail au début des années soixante41.

Sous l’angle de la LTr, la question de savoir si on se trouve en présence de « temps de travail » est déterminante pour savoir, dans un but de protection de la santé, si la durée maximale du travail a été dépassée.

L’éventuelle rémunération de ce temps est une question de droit privé42. La loi ne définit pas la « durée du travail ». En revanche, l’art. 13 de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (OLT 1)43prévoit, à l’instar de la Convention n° 30, que la « durée de travail est le temps pendant le-quel le travailleur doit se tenir à la disposition de l’employeur ». Selon la doctrine, cette notion doit être comprise de façon à inclure « tout laps de temps que le travailleur passe dans l’intérêt prépondérant de l’employeur conformément à la volonté de ce dernier » 44.

La qualification d’une période comme « temps de travail » est ainsi étroitement liée à la question de savoir si la personne salariée a passé ou non cette période dans l’intérêt prépondérant de la partie employeuse.

En revanche, l’endroit où se trouve la personne salariée (sur le lieu de travail45 ou ailleurs) n’est pas déterminant. De plus, une période peut être comptabilisée comme du temps de travail même lorsqu’aucune prestation concrète n’a été fournie46.

40 Message loi sur le travail, FF 1960 II 885, 947.

41 FF 1960 II 885, 944-947.

42 VON KAENEL, N 7 ad art. 9 LTr ; RUDOLPH/VON KAENEL,Eclairage, 172 ; NORDMANN/LOOSER N 14 ad art. 9 ArG. Voir aussi : WYLER/HEINZER, Droit du travail, 38.

43 Ordonnance 1 du 10 mai 2000 relative à la loi sur le travail (OLT 1), RS 822.111.

44 VON KAENEL, N 5 ad art. 9 LTr ; RUDOLPH/VON KAENEL,Eclairage, 171.La « volonté » se déter-mine sur la base de principes développés par la jurisprudence de droit privé en lien avec les heures supplémentaires (art. 321c al. 1 CO) et doit notamment être admise lorsque la partie employeuse tolère l’accomplissement d’une tâche en connaissance de cause, voirVON KAENEL, N 5 ad art. 9 LTr ;NORDMANN/LOOSER N 12 ad art. 9 ArG.

45 Le lieu de travail doit être compris comme « tout endroit où le travailleur doit se tenir pour effectuer le travail, dans l’entreprise ou en dehors » (art. 18 al. 5 OLT 1).

46 VON KAENEL, N 5 ad art. 9 LTr ;NORDMANN/LOOSER N 13 ad art. 9 ArG.

Les discours sur le temps de travail

91 C. « Périodes de disponibilité »

Selon le droit de l’OIT, la notion de « temps de travail » est susceptible d’inclure les moments durant lesquels la personne salariée ne fournit aucune prestation concrète mais se tient prête à répondre aux éven-tuelles sollicitations de la partie employeuse et ne peut, pour cette rai-son, disposer librement de son temps47. Nous verrons plus loin que l’OIT a plus particulièrement reconnu la nécessité de tenir compte de ces

« périodes de disponibilité » en lien avec le travail domestique48. La loi fédérale sur le travail traite d’une forme spécifique de disponibili-té, à savoir le service de piquet. A teneur de l’art. 14 al. 1 OLT 1, « est réputé service de piquet le temps pendant lequel le travailleur se tient, en sus du travail habituel, prêt à intervenir, le cas échéant, pour remé-dier à des perturbations, porter secours en cas de situation d'urgence, effectuer des visites de contrôle ou faire face à d'autres situations parti-culières analogues » 49.

Ainsi, le piquet implique la fourniture d’une prestation supplémentaire à celle normalement convenue, afin de remédier à une situation extraor-dinaire50.

Lorsque le service de piquet est accompli « dans l’entreprise »51, l’intégralité du temps doit être pris en considération lors du calcul de la durée de travail, que la personne salariée soit intervenue ou non (art. 15 al. 1 OLT 1)52. Lorsque le service de piquet est effectué « en dehors de l’entreprise », seul le temps pendant lequel la personne salariée accom-plit effectivement une tâche doit être compté dans la durée du travail,

47 BIT, Temps de travail décent, N 703 note 128.

48 Voir art. 10 § 3 Convention OIT n° 189 et art. 8 § 1 Recommandation OIT n° 201 pour le secteur de l’économie domestique (examiné infra partie III. B). Voir aussi Art. 4 al. 2 Convention OIT n° 153 dans le domaine du transport routier.

49 Sauf exceptions (art. 14 al. 3 OLT 1), le service de piquet ne peut excéder 7 jours par période de 4 semaines et la personne salariée ne peut être affectée à aucun service de piquet pendant les deux semaines consécutives à son dernier service (art. 14 al. 2 OLT1).

50 En cela, le service de piquet se distingue du travail sur appel : NORDMANN/LOOSER N 31-32, 37 ad art. 9 ArG ; ZEIN, Aménager, 531ss. Voir aussi voir TF 4A_334/2017 du 4 octobre 2017, c. 2.3.

51 Le service de piquet est réputé intervenir dans l’entreprise lorsque la personne salariée doit intervenir dans un laps de temps très court. Voir NORDMANN/LOOSER,N 33 ad art. 9 ArG avec les références.

52 En principe, ce temps doit être rémunéré. Voir, parmi d’autres WYLER/HEINZER, Droit du travail, 38 ; NORDMANN/LOOSER,N 38 ad art. 9.

Karine Lempen / Marie Major

92

ainsi que le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail (art. 15 al. 2 OLT 1) 53.

Selon le Tribunal fédéral, la distinction entre le piquet accompli dans et en-dehors de l’entreprise repose sur l’idée selon laquelle la personne salariée jouit d’une plus grande liberté et a davantage de « possibilités de se reposer » hors de l’entreprise54.

Mais comment appréhender les situations où le lieu de travail coïncide avec le domicile privé la personne salariée ? En particulier, comment identifier les périodes de disponibilité devant être considérées comme du temps de travail dans le cas où la personne salariée travaille à domi-cile ?

La troisième partie de cette contribution tente de répondre à cette question en examinant deux formes de travail à domicile, à savoir le travail domestique accompli par une personne logée par le ménage privé qui l’emploie et le télétravail à domicile (Home Office).

III. Travail ou « repos » ? Zones grises en cas de