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165 A. Droit interne suisse

1. Discrimination fondée sur le sexe

La LEg prohibe la discrimination en cours d’emploi fondée sur le sexe118. Sont expressément visés les cas de discrimination « à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels [… et] à la promo-tion » (art. 3 al. 2 LEg).

Selon l’article 5 alinéa 1 LEg, quiconque subit ou risque de subir une discrimination au sens précité peut requérir le tribunal ou l’autorité ad-ministrative : d’interdire la discrimination ou, d’y renoncer, si elle est imminente (lit. a) ; de faire cesser la discrimination, si elle persiste (lit.

b) ; de constater l’existence de la discrimination, si le trouble qu’elle a créé subsiste (lit. c) ; et enfin, d’ordonner le paiement du salaire dû (lit.

d).

L’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la per-sonne qui s’en prévaut la rende vraisemblable (art. 6 LEg).

2. Discrimination antisyndicale

La personne victime d’une discrimination antisyndicale en cours d’emploi peut invoquer la protection des dispositions de la loi fédérale sur l’information et la consultation des travailleurs dans les entreprises du 17 décembre 1993 (ci-après : loi sur la participation)119 et des règles sur la protection de la personnalité.

118 Pour une présentation du régime de l’interdiction de la discrimination en cours d’emploi dans la LEg, voir CLEg-LEMPEN, N 25 ss ad art. 3 LEg.

119 RS 822.14.

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a) La loi sur la participation

La loi sur la participation prévoit que dans les entreprises occupant au moins cinquante travailleurs, ceux-ci peuvent élire parmi eux des repré-sentants, regroupés en une ou plusieurs représentations (art. 3).

L’article 12 de la loi est consacré à la protection de ces représentants. En vertu de l’alinéa 1, l’employeur « n’a pas le droit d’empêcher les repré-sentants des travailleurs d’exercer leur mandat ». Quant à l’alinéa 2, il prévoit que l’employeur « ne doit pas défavoriser les représentants des travailleurs, pendant ou après leur mandat, en raison de l’exercice de cette activité. Cette protection est aussi étendue aux personnes se por-tant candidates à l’élection dans une représentation des travailleurs ».

L’article 12 est intéressant puisqu’il vise expressément les discrimina-tions en cours d’emploi. Il prohibe toute entrave au développement professionnel, qui comprend par exemple la rémunération, les perspec-tives de promotion ou encore la formation continue120. Les représen-tants du personnel ne doivent pas se voir privés d’un avantage, sans une raison objective et indépendante de l’exercice de leur activité de repré-sentation121.

Par ailleurs, son champ d’application personnel est large puisque la dis-position ne protège pas seulement les représentants des travailleurs en fonction, mais également les travailleurs qui se sont portés candidats à l’élection et les représentants des travailleurs dont le mandat a expiré.

L’impact de l’article 12 de la loi sur la participation est toutefois limité.

En effet, la norme ne protège que les représentants des travailleurs au sens de l’article 3, et non d’autres représentants, comme les représen-tants syndicaux122. De plus, la loi sur la participation ne prévoit pas de sanctions spécifiques123 !

b) Protection de la personnalité

Une atteinte à la liberté syndicale est susceptible de constituer une vio-lation des droits de la personnalité qui sont protégés contre les atteintes

120 SUBILIA/DUC, Droit du travail, N 3 ad art. 12 Lpart.

121 WITZIG, Droit du travail, N 1916.

122 SUBILIA/DUC, Droit du travail, N 4 ad art. 12 Lpart.

123 DUNAND/MAHON/BOUVERAT/BRÜGGER/HASSISSENE/MADER, Représentants des travailleurs, N 320.

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illicites, contraires aux mœurs ou abusives (cf. art. 2 et 27 ss CC ; art. 19, 20 et 328 CO)124. On déduira de ces règles que l’employeur ne doit pas avoir une attitude qui empêche ou rende plus difficile l’exercice du droit d’association du travailleur125.

Selon les règles générales, la victime d’une discrimination en cours d’emploi peut donc agir en prévention, en cessation ou en constatation des atteintes subies (cf. art. 28a CC). Globalement, ces actions sont ce-pendant peu utilisées ou inefficaces dans les relations de travail126. On rappellera notamment que l’action en constatation a un caractère sub-sidiaire en ce sens qu’elle ne peut être intentée que si le demandeur n’est pas en mesure de prendre immédiatement des conclusions con-damnatoires tendant à la réparation du préjudice subi127.

Il s’agit donc de déterminer s’il existe un fondement permettant à la victime d’une discrimination antisyndicale en cours d’emploi d’obtenir les mêmes avantages que ceux reçus par les collègues non discriminés.

Selon la conception retenue dans notre ordre juridique, il n’existe pas de droit général à l’égalité de traitement ou à ne pas être discriminé en droit privé suisse du travail128. En revanche, lorsque l’employeur traite collectivement d’une situation, ses employés peuvent déduire de l’article 328 CO, qui protège notamment leur dignité et leur considéra-tion sociale, le droit de ne pas être traités de manière discriminatoire, sans motifs justificatifs129.

Selon la jurisprudence, l’article 328 CO interdit à l’employeur de discri-miner un travailleur lorsqu’une telle attitude laisse apparaître une dé-préciation de la personnalité de l’employé et lui porte ainsi atteinte. Une telle situation n’est toutefois réalisée que si l’employé est placé dans une situation clairement moins avantageuse qu’un grand nombre d’autres employés, mais non lorsque l’employeur favorise seulement quelques collègues130.

124 PÄRLI, Vertragsfreiheit, 483 ss ; SUBILIA/DUC, Droit du travail, N 6 ad art. 356a CO.

125 TF, arrêt du 9 mars 1979, in : SJ 1981, 314 ss, 317.

126 DUNAND, N 65 ad art. 328 CO.

127 Voir, par exemple, TC-VD, arrêt du 18 juin 2010, c. XI/a, in : JAR 2011, 586.

128 DUNAND/PERRENOUD, Convergences, 22 s.

129 DUNAND, N 54 ad art. 328 CO.

130 ATF 129 III 276, c. 3.1 ; TF 4A_651/2017 du 4 avril 2018, c. 3.3.

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Ainsi, l’employeur est libre de déterminer ou de convenir, selon les cir-constances, des critères d’inclusion ou d’exclusion de certaines catégo-ries de travailleurs dans le cas d’un traitement collectif, pour autant que ces critères soient reconnaissables, qu’ils ne soient pas arbitraires, ne violent pas le respect de la personnalité et ne soient pas illicites131. Le fait que l’employeur favorise certains de ses employés peut avoir pour conséquence que des employés qui ne bénéficient pas du même traitement peuvent, selon le principe de la bonne foi, conclure à une modification tacite, en leur faveur, de leur contrat de travail. Dans une telle situation, l’employeur doit leur accorder aussi le traitement censé favoriser certains de ses employés, uniquement parce qu’en vertu du principe de la bonne foi, ce sont ces conditions qui paraissent avoir été convenues132.

Les cas d’application reconnus par la jurisprudence concernent des pres-tations discrétionnaires de l’employeur : gratifications, indemnités de départ volontaires ou avantages facultativement accordés en matière de prestations sociales133.

Au vu de ce qui précède, un employé qui a subi une discrimination anti-syndicale en cours d’emploi a la possibilité de plaider une atteinte à sa personnalité, mais seulement s’il a été désavantagé par rapport à un grand nombre de collègues. Ce n’est, à teneur de la jurisprudence ac-tuelle, qu’à ces conditions strictes qu’il peut exiger les mêmes avantages ou prestations que ceux obtenus par ses collègues.

B. Avis des organes de contrôle de l’OIT

Les organes de contrôle se sont relativement peu exprimés sur la ques-tion de la discriminaques-tion antisyndicale en cours d’emploi. Ils se sont sur-tout attachés à énumérer les formes variées de ce type de discrimina-tion.

La Commission d’experts a donné les exemples suivants : transferts, mutations, rétrogradations et privations ou restrictions de tous ordres

131 TF 4A_63/2007 du 6 juillet 2007, c. 4.2.

132 ATF 129 III 276, c. 3.1.

133 WYLER/HEINZER, Droit du travail, 369 ss.

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(rémunération, avantages sociaux, formation professionnelle), ou en-core non-renouvellement de contrats de travail, pressions et harcèle-ment134.

Ainsi, le harcèlement et les manœuvres d’intimidation perpétrés à l’encontre de travailleurs au motif de leur affiliation syndicale ou de leur participation à des activités syndicales légitimes peuvent les décourager de s’affilier aux organisations de leur choix et, par là même violer leur droit d’organisation135.

De même, l’octroi de gratifications aux membres du personnel non affi-liés au syndicat, même s’il ne s’agit pas de la totalité d’entre eux, à l’exclusion de tous les travailleurs affiliés, en période de conflit collectif, constitue un acte de discrimination antisyndicale136.

Comme le montre ce dernier exemple, la discrimination peut résulter non seulement d’actions concrètes de l’employeur, mais également d’omissions, soit du fait de ne pas verser de gratifications aux employés qui ont exercé librement leur liberté syndicale137.

C. Adaptation du droit interne suisse

Les organes de contrôle ont souligné la diversité des actes de discrimi-nation antisyndicaux en cours d’emploi. Il ne faut donc pas sous-estimer le potentiel d’atteinte à la liberté syndicale. Pourtant, les protections offertes par le droit suisse paraissent pour le moins lacunaires et ineffi-caces de sorte qu’il n’existe pas de protection adéquate contre de telles discriminations.

La victime est confrontée à plusieurs difficultés. Dans la plupart des cas, elle ne sera protégée que si elle a fait l’objet d’une discrimination dans le cadre d’un traitement collectif. De plus, comme pour les autres cas de discrimination antisyndicale, la preuve de la discrimination sera difficile à apporter.

134 CEACR, Etude d’ensemble sur les conventions fondamentales, N 179.

135 CLS, Liberté syndicale, N 1098.

136 CLS, Liberté syndicale, N 1099.

137 CLS, Liberté syndicale, N 1101.

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Dès lors, il nous semble que, conformément au droit de l’OIT, le droit suisse pourrait être précisé ou adapté, de lege lata, sur les points sui-vants.

Tout d’abord, la victime d’une discrimination devrait pouvoir s’en plaindre selon les règles habituelles de l’existence d’une discrimination, c’est-à-dire dans le cadre d’une comparaison avec une seule personne (traitement différencié entre deux personnes)138.

L’exigence jurisprudentielle, déduite de l’article 328 CO, d’une compa-raison dans le cadre d’un traitement collectif rend compliquée à l’excès la possibilité pour la victime d’une discrimination antisyndicale en cours d’emploi de faire constater l’atteinte et d’obtenir réparation.

Par ailleurs, vu la difficulté à démontrer l’intention de discriminer de l’employeur, il conviendrait d’admettre que le juge puisse se contenter d’indices convergents (vraisemblance prépondérante). On peut ici rap-peler que le Tribunal fédéral a déjà retenu dans divers contextes de droit du travail un allégement du fardeau de la preuve (discrimination à l’embauche fondée sur le sexe, congé abusif, harcèlement psycholo-gique notamment)139 de sorte qu’il devrait être parfaitement possible d’appliquer une telle règle également en matière de discrimination anti-syndicale en cours d’emploi.