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De manière générale, ce mémoire entend donc proposer une réflexion sur le concept de vulgarisation et plus particulièrement sur ses conditions d’application aux sciences sociales. Jusqu’à présent, ces dernières n’ont d’ailleurs pas fait l’objet d’une définition précise. Pour cause, leur définition doit être indissociable du contexte dans lequel le chercheur entend les aborder. S’il peut être tentant de les définir d’un point de vue disciplinaire, c’est-à-dire en déterminant a priori quelle discipline peut appartenir ou non aux sciences sociales, cette approche « n’est pertinente ni du point de vue du terrain étudié, ni non plus du point de vue de la pratique des sciences humaines elles-4

Ibid. , p.6

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DAVALLON, J. , op. cit.

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GRANJON, F. , « La critique est-elle soluble dans les sciences de l’information et de la communication ? »,

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In GEORGE, E. et Fabien GRANJON (dirs.), Critique, sciences sociales et communication, Mare & Martin, 2014, pp. 291-355

La question de l’appellation même de cet ensemble disciplinaire n’est pas à négliger. Elle connote en effet

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des représentations normatives sur ce que doivent être ces sciences. Cependant, cette question demeure largement secondaire, aussi bien dans ce mémoire que de manière générale. En effet, les épistémologues et les chercheurs évoluant dans ces disciplines semblent indistinctement employer les termes de “sciences humaines”, “sciences humaines et sociales”, “sciences de l’Homme”, “sciences anthroposociales”, etc. . En réalité, ces différentes appellations renvoient à des usages et à des contextes nationaux, historiques et institutionnels particuliers. Au cours de ce mémoire, il se peut donc que certains auteurs que je serai amené à citer puissent employer d’autres appellations que celle que je propose d’utiliser : celle de “sciences sociales”. Pour autant, ces appellations entendront désigner une seule et même chose. Sur cette question, voir notamment PASSERON, J-C. , Le raisonnement sociologique : l’espace non-poppérien du raisonnement

mêmes » . Il convient donc pour le moment d’en donner une définition temporaire et relativement 1

large qui nécessitera d’être adaptée en fonction du contexte de discussion. Pour l’heure, il s’agit de les définir comme un ensemble de disciplines poreuses et hétérogènes animées par un projet 2

épistémologique commun : celui de produire des connaissances scientifiques sur la réalité sociale. Ce projet épistémologique est d’ailleurs au fondement même de la thèse de l’impossibilité théorique défendue par Baudouin Jurdant.

Cependant, l’objet de ce mémoire n’est pas d’aborder la vulgarisation des sciences sociales sur un plan strictement théorique et épistémologique, mais de confronter une certaine conception de cette vulgarisation par rapport au Lieu-Dit. Comme il s’agira de le montrer plus explicitement, Le Lieu- Dit constitue en effet un lieu ayant pour particularité de condenser cet ensemble d’objets et de situations qui ont initialement suscité mon intérêt pour la vulgarisation des sciences sociales, à savoir des objets et des situations qui s'inscrivent dans un “milieu militant”. Cette appellation encore floue entendra davantage être définie en rapport avec mon terrain, notamment à partir d’une confrontation entre la compréhension que les personnes interrogées ont pu faire de cette expression au cours de mon enquête, et des problématiques que la discussion théorique portant sur la conception de la vulgarisation des sciences aura permis de formuler. Pour le moment, il convient de lui accorder une définition plus ou moins consensuelle en reprenant assez librement le concept 3

d’espace des mouvements sociaux formulé par le sociologue Lilian Mathieu. Celui-ci entend par là désigner un « univers de pratiques et de sens relativement autonome à l’intérieur du monde social » . 4

Encore une fois, les réalités susceptibles d’exprimer un phénomène de vulgarisation des sciences sociales au Lieu-Dit ne résultent ni de phénomènes préexistants à mon enquête, ni d’une conceptualisation théorique à laquelle la discussion critique de la thèse de Baudouin Jurdant m’a amené à aboutir. Ces réalités sont constitutives d’une construction particulière du Lieu-Dit en tant CORDONNIER, S. , « L’exposition des savoirs dans l’art contemporain. Les formes de mobilisation des

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sciences humaines dans l’institution de l’art contemporain comme champ et comme formation discursive », Thèse de doctorat, Sciences de l’information et de la communication, ENS-LSH de Lyon, 2007, p.51

BOURDIEU, P. , Science de la science et réflexivité, Raison d’agir, 2001

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Cette qualification de l’appellation de “milieu militant” entend notamment reprendre la définition donnée

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dans BELORGEY, Nicolas et al. , « Théories en milieu militant. Introduction », Sociétés contemporaines, n °81, 2011, pp. 5-25. Il s’agira également d’utiliser cette définition en y intégrant les militants issus de partis politiques que le concept initial de Lilian Mathieu entendait volontairement exclure.

MATHIEU, L. , « L’espace des mouvements sociaux », Politix, nº 77, 2008, pp. 131-151 p.133

que terrain élaboré en vue de les étudier. Cette dernière repose sur une confrontation opérée et éprouvée au cours de mon enquête entre une conceptualisation spécifique de la vulgarisation des sciences sociales, et des réalités empiriques rencontrées au Lieu-Dit qui lui sont irréductibles. Par conséquent, les modalités de construction de ce terrain seront les plus à même de répondre à cette question apparue pendant mon enquête, celle portant sur la pertinence du Lieu-Dit en tant qu’objet concret désirant étudier des phénomènes de vulgarisation des sciences sociales en milieu militant.

C’est pourquoi ce travail entend sans doute moins expliquer avec certitude l’ensemble des réalités observées sur ce terrain que de proposer une démarche méthodologique et un cadre théorique permettant de les observer, de les comprendre et de les penser à travers des problématiques précises. En effet, en acceptant autant que faire se peut les exigences et les contraintes de la démarche empirique, ce travail d’explication aurait sans doute nécessiter un cadre temporel plus étendu afin d’être le plus rigoureux et pertinent possible.

Ainsi, ce mémoire entend se structurer autour de la problématique suivante : dans quelles mesures

Le Lieu-Dit constitue un terrain pertinent pour une approche empirique et

communicationnelle de la vulgarisation des sciences sociales en milieu militant ? Afin de

réponde à cette question, je souhaiterais articuler la discussion autour de deux axes :

1) Tout d’abord, je souhaiterais défendre l’idée selon laquelle la vulgarisation des sciences sociales ne relève en rien d’une impossibilité théorique comme peut le suggérer Baudouin Jurdant. Néanmoins, cette proposition ne peut être défendue qu’à condition de reconsidérer la manière dont les sciences, aussi bien sociales que naturelles, se voient reconnaître leur scientificité par l’ensemble du corps social. Elle implique donc de tenir compte que la scientificité des sciences n’émane pas seulement de normes ou bien de sociabilités internes aux institutions académiques, mais également de la capacité de certains publics extra-scientifiques à accorder ou non une confiance en ces sciences. En ce faisant, ces publics procéderaient socialement à une vérification de la scientificité des sciences. Cette hypothèse implique donc de discuter de l’effectivité de la rupture sociale et épistémique entre scientifiques et non-scientifiques sur laquelle la scientificité des sciences est susceptible de se fonder. Si les situations de vulgarisation entendent avant tout réaffirmer cette scientificité, ces dernières consisteraient donc moins à reproduire et à re-signifier cette rupture que de permettre aux sciences d’être discutées plus ou moins librement par des

publics extra-scientifiques, de telle sorte que ces discussions procèdent à une vérification sociale de leur scientificité. En acceptant l’idée selon laquelle la scientificité des sciences sociales ne repose pas seulement sur une rupture sociale et épistémique, ce n’est qu’à l’ensemble de ces conditions que leur vulgarisation est théoriquement envisageable et donc vérifiable à partir de cet objet concret que constitue Le Lieu-Dit.

2) Deuxièmement, il s’agit d’affirmer que l’étude d’une vulgarisation des sciences sociales au Lieu- Dit est indissociable de la construction de ce lieu d’observation en un terrain au sens particulier que lui donne Joëlle Le Marec. Il existe en effet un réel écart entre la cohérence et l’intelligibilité de la conception théorique que peut préalablement élaboré le chercheur et les réalités concrètes qu’il peut rencontrer sur son lieu d’observation. Par conséquent, il implique pour le chercheur d’avoir recours à l’élaboration d’unités d’analyse lui permettant de délimiter et de définir précisément son terrain en vue d’étudier les phénomènes qui l’intéressaient initialement. Néanmoins, ces unités d’analyse ne doivent pas être construites a priori en étant détachées du lieu de l’observation : elles doivent au contraire être conçues dans l’expérience que le chercheur fait de son propre terrain, en se confrontant à cet écart entre ce qu’il voudrait penser et ce qu’il

saisit empiriquement. Cette construction du terrain doit alors nécessairement passer par un

travail d’observation et de compréhension des réalités présentes au Lieu-Dit. Il s’agit notamment d’avoir recours à la parole des personnes enquêtées afin de saisir, où sont dans leurs univers, les problèmes et les enjeux engendrés par les questions posées par le chercheur, permettant alors à ce dernier de « dégager ce qui vaudrait la peine d’être étudié » afin de répondre aux questions 1

qu’il pouvait initialement se poser. Ce n’est qu’à travers cette construction réflexive et dialectique du terrain qu’il peut discuter après coup la pertinence empirique de ce terrain par rapport aux phénomènes qu’il désirait a priori étudier. De même, ce n’est qu’à partir des modalités de cette construction et de son expérience concrète par le chercheur que celui-ci peut discuter du caractère communicationnel de sa démarche et de son objet.

Afin de structurer ces discussions, je propose d’organiser mon développement en quatre chapitres qui, respectivement, correspondent à différentes étapes de ma réflexion. Le premier consiste à revenir sur les problèmes théoriques de la vulgarisation des sciences sociales en présentant le cade théorique général proposé par Baudouin Jurdant. À partir de cette présentation, il s’agira

SCHWARTZ, O. , op. cit. , p.354

d’expliciter plus en détail les raisons qui le menèrent en 1973 à formuler sa thèse de l’impossibilité théorique tout en soulignant les limites de cette proposition. Cette discussion critique mènera alors à réfléchir aux modalités par lesquelles les sciences sociales construisent leur scientificité à l’intérieur des institutions académiques. Par la suite, il s’agira de montrer que l’évolution des travaux de Baudouin Jurdant portant sur la vulgarisation permet d’atténuer quelque peu la thèse de l’impossibilité théorique, bien que cet auteur ne soit jamais revenu sur cette proposition. En prolongeant son cadre théorique, je proposerai un cadre de compréhension pragmatiste et matérialiste permettant à la fois d’observer, de comprendre et de penser la vulgarisation des sciences sociales à partir de situations particulières.

Le deuxième chapitre consiste pour sa part à expliciter davantage le présupposé épistémologique

de la démarche empirique ainsi que ses conséquences méthodologiques. Ce chapitre souhaite expliquer au lecteur ou à la lectrice comment rigoureusement construire un terrain en acceptant de se plier aux exigences et aux contraintes de cette démarche. Il permettra par la suite de donner à voir le déroulement concret de mon enquête au Lieu-Dit ainsi que les moyens méthodologiques mis en œuvre pour construire ce dernier en terrain.

Le troisième chapitre restitue les phases de construction du Lieu-Dit en tant que terrain d’étude de

situations de vulgarisation des sciences sociales telles que définies au cours du premier chapitre. Cette discussion entend donner à voir les trois unités d’analyse à partir desquelles ce terrain a été construit : les formes de présence des sciences sociales au Lieu-Dit, la capacité du Lieu-Dit à faire

lieu, et le contexte dans lequel ce déroule ces situations de vulgarisation, à savoir le milieu militant.

Enfin, le quatrième chapitre consiste à proposer un nouveau cadre de compréhension des situations de vulgarisation des sciences sociales à partir du concept d’enquête tel que conçu par ses principaux théoriciens : Charles Sanders Peirce et John Dewey. Ce cadre propose alors de penser à nouveaux frais ces situations tout en prolongeant la perspective pragmatiste et matérialiste de mon approche initiale.

CHAPITRE 1

Les problèmes théoriques de la vulgarisation des

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