• Aucun résultat trouvé

Comment construire un terrain ?

B) Le Lieu-Dit : du début de l’enquête à la construction du terrain

2) Élaboration du guide d’entretien et traitement des observations

Afin de mener ces entretiens, j’ai constitué un guide de questions semi-directives articulées 1

autour de trois axes : la relation des personnes enquêtées au Lieu-Dit (la manière dont elles ont connu ce lieu, les raisons de leur fréquentation, ce que cet endroit leur apporte …) ; leur rapport au militantisme et à l’engagement politique, et le rôle du Lieu-Dit dans ce contexte (leur engagement éventuel dans une organisation, la manière dont elles en sont venues à s’engager politiquement, les pratiques que ces personnes associent à leur engagement, le potentiel rôle du Lieu-Dit dans celui- ci…) ; enfin, leur rapport aux sciences sociales (les représentations qu’elles en ont, les moments de leur vie auxquelles elles ont pu y être confrontées, les formes qu’elles en connaissent, l’utilité éventuelle de ces sciences, dans leur activité militante ou de manière générale…).

Concernant mes observations lors des événements, je n’ai pas souhaité utiliser une grille d’analyse précisément définie, dans la mesure où, à ce stade de l’enquête, je ne savais pas encore véritablement quoi regarder. Je me suis donc appliqué à transcrire le plus précisément possible chacun des événements auxquels j’ai pu assister afin de travailler a posteriori à la constitution de mes matériaux et de mon terrain. Cette prise de note m’a également permis de faire réagir les personnes enquêtées aux événements auxquels nous avons communément assisté, afin de saisir davantage le contexte de ces derniers, ainsi que certaines situations qu’il m’était difficile de comprendre sans leurs explications.

Les trois axes du guide d’entretien ont été pensés dans une logique progressive, en partant des réalités les plus immédiates que je pouvais partager avec les personnes enquêtées pour finir par aborder des réalités qui pouvaient leur être moins évidentes. C’est pour cette raison que le rapport au Lieu-Dit a constitué le premier axe de mes entretiens, dans la mesure où ce lieu était la réalité la plus immédiatement partagée entre les enquêtés et moi : ils fréquentaient objectivement Le Lieu-Dit pour un certain nombre de raisons et je réalisais une étude sur le lieu qu’ils fréquentaient pour des raisons propres à mes interrogations de recherche. Dans le cadre de la démarche empirique, il était donc plus pertinent de commencer par la question du lieu.

Voir annexe n°2 p.261

Le deuxième axe visait à confirmer, ou à infirmer, un a priori important de l’enquête, à savoir l’idée que ce lieu s’inscrivait dans un “milieu militant”. À un premier niveau, je cherchais à confirmer le fait que les personnes qui avaient pour habitude de le fréquenter étaient a minima motivées par des raisons ou des questionnements d’ordre politique, qu’elles appartiennent, ou non, à des organisations précises. De même, j’espérais, à travers ce second axe de questionnements, mieux comprendre et pouvoir objectiver cette appellation de “milieu militant”, en m’intéressant à la manière dont elle était reçue et interprétée par les personnes enquêtées, puis en intégrant leur réaction à mon analyse. Pour cela, il me fallait dans un premier temps valider le fait que cette notion

parlait aux enquêtés, qu’elle leur était familière, qu’ils se reconnaissaient en elle. En effet, le fait

que ces personnes fréquentent Le Lieu-Dit était une évidence, mais se reconnaissaient-elles appartenir à ce “milieu militant” ? Identifiaient-elles Le Lieu-Dit comme un lieu s’inscrivant dans ce “milieu” ? Si ce n’était pas le cas, je faisais fausse route, et par conséquent, ce lieu s’avérait peu pertinent pour mon enquête. Or, au moment de discuter avec les futurs enquêtés pour les convaincre de m’accorder un entretien, cette incertitude a finalement rapidement été levée : ces personnes semblaient à la fois se reconnaître dans cette appellation, être légitimes à s’exprimer sur celui-ci, et identifier Le Lieu-Dit comme un lieu pleinement inscrit dans ce “milieu militant”. Cela me confirmait dans l’idée que ce dernier, et les questions permettant de l’aborder au cours de l’entretien, pouvaient désigner des réalités constitutives de la manière dont les personnes enquêtées percevaient et vivaient ce lieu. Cette garantie m’a par ailleurs rassuré sur le fait que je pouvais employer ce terme au cours de l’entretien, dans la mesure où elles seraient en capacité de parler sur lui, sans trop de difficultés, me permettant par la suite de travailler à son objectivation afin de le ramener à des problématiques plus proches de celles posées par ma conception théorique de la vulgarisation des sciences sociales.

Le troisième axe abordait quant à lui des réalités susceptibles d’être moins évidentes pour les enquêtés. En effet, l’ensemble de ces questions abordaient plus directement ma thématique de recherche, celle de la vulgarisation des sciences sociales, ce qui par conséquent revenait plus ou moins à imposer aux enquêtés de discuter de réalités susceptibles pour eux d’être moins en rapport avec Le Lieu-Dit ou le “milieu militant”. D’ailleurs, au moment de présenter le sujet de ma recherche lors de nos premières rencontres, l’appellation de “sciences sociales” était pour le moins opaque voire étrangère pour un certain nombre de personnes que je souhaitais interroger. À ce moment précis, certaines avaient même tenu à me faire comprendre qu’elles se sentaient davantage

légitimes à parler sur Le Lieu-Dit ou sur le “milieu militant” que sur les sciences sociales à proprement parler.

Contrairement aux deux premiers axes, ces questions ont donc nécessité d’être d’autant plus attentif à l’intercompréhension qui pouvait s’établir entre les enquêtés et moi à ce moment de l’entretien. En effet, il existait un réel écart entre la manière dont j’avais conçu et appréhendé théoriquement ces sciences en tant qu’ensemble de disciplines poreuses et hétérogènes caractérisées par des conditions de production différentes de celles des sciences de la nature, et la manière dont les enquêtés pouvaient concrètement se représenter l’existence de ces sciences dans leur vie quotidienne. À la différence des deux autres axes de question, ce troisième axe nécessitait donc un travail réflexif plus important pour eux, car selon les cas, les sciences sociales désignaient des réalités pouvant leur être plus ou moins lointaines. Étant donné que je n’avais pas encore suffisamment problématisé le point de vue à partir duquel interroger un phénomène de vulgarisation des sciences sociales en milieu militant au Lieu-Dit, les axes d’entretien se voulaient donc volontairement larges afin de précisément « comprendre où sont, dans l’univers des enquêtés, les problèmes et les enjeux » que mes questions étaient susceptibles de souligner, et donc « de parvenir à une perception suffisante de leur vie pour dégager ce qui vaudrait la peine d’être étudié » et 1

problématisé.

Pendant mon enquête, il s’est alors avéré que ces trois axes pouvaient en soi constituer des unités d’analyse complémentaires les unes des autres, à travers les réalités qu’ils cherchaient à désigner et qu’il s’agissait de discuter avec les personnes enquêtées, des réalités qui, tout ayant leur pertinence pour ces derniers, se devaient également d’être objectiver à travers un travail progressif de conceptualisation leur permettant de rejoindre les problématiques soulevées par ma propre conceptualisation de la vulgarisation. Ainsi, cette enquête m’a mené à borner et à définir mon terrain autour de trois unités entendant décrire des réalités complexes qui, à elles trois, pourraient permettre de décrire et d’objectiver les situations de vulgarisation des sciences sociales que j’entendais étudier : les sciences sociales, le lieu et le milieu militant. Je propose d’accompagner cette restitution du terrain avec des extraits d’entretiens réalisés durant cette enquête pour justifier les choix de sa construction.


SCHWARTZ, O. , op. cit. , pp.353-354

CHAPITRE 3

La construction du Lieu-Dit en un terrain d’étude

Outline

Documents relatifs