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A l’heure d’une croissance sans précédent du nombre d’apprenants en France, l’enseignement du chinois s’accompagne d’une nouvelle attente : l’enseignement de la culture chinoise. Si dans les esprits, comme le dit François Jullien, la culture chinoise, évoque « la

grande civilisation qui s’est développée hors de la pensée européenne »132, son poids n'en est pas moins réel au sein de l'apprentissage du chinois et son étude est devenue incontournable : la mise en place des Sections Européennes et de Langues Orientales (SELO) dès 1992, puis des Sections Internationales de chinois dès 2008, dans lesquelles la culture chinoise est partie intégrante, en est un exemple des plus significatifs.

Il faut relever ici le défi de la mondialisation et de ses enjeux dans les échanges politiques, économiques, culturels pour ne citer que ceux-là, entre la Chine et la France, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre 4. Les acteurs qui relèveront ce défi auront non seulement besoin d'une maîtrise étendue en termes de compétences langagières, mais également d’une compréhension fine des deux cultures. Ainsi, l'acquisition des compétences culturelles et interculturelles, permettant de comprendre, de mettre en relation les deux cultures, d’interpréter leurs points communs et différences, est nécessaire à une communication réussie.

Face à ces enjeux, la question se pose du développement de ces compétences culturelles et interculturelles dans l’enseignement du chinois dans le contexte secondaire français. Notre fonction d’assistante venue de Chine, dont l’un des objectifs principaux est

132 JULLIEN, F., (2005), Conférence sur l’efficacité, Paris, Presses Universitaires de France-

d’approfondir les connaissances sur la culture et de la civilisation chinoises et d’aborder des sujets socio-culturels susceptibles d’intéresser les élèves, nous amène souvent à nous interroger sur la définition des compétences culturelles et interculturelles en chinois. Quelles compétences devrions-nous développer chez nos élèves apprenant le chinois dans l’enseignement secondaire ? Malheureusement, le Cadre Européen Commun de Référence

pour les Langues et les programmes d’enseignement en chinois ne nous ont pas donné une

réponse adéquate. Peu de recherches sont consacrées à la définition des compétences culturelles et interculturelles en langue chinoise. En Chine, les recherches en la matière se limitent à des « techniques » relevant quelque peu de « recettes » pédagogiques, se concentrant sur les contenus (sans objectif précis). En France, les études dans ce domaine concernent essentiellement le français langue étrangère (FLE) ou les langues européennes, comme par exemple le modèle des « savoirs » de Byram et Zarate (1998), le modèle ICC (« Intercultural Communicative Competence ») de Byram (1997). Pour l’enseignement du chinois, une véritable recherche n'a pas encore été engagée. La définition des compétences culturelles et interculturelles en chinois à développer chez les élèves constitue donc le point de départ de notre étude qui va s’articuler autour de notre première question de recherche. Quand on parle de compétences à acquérir, on se place au niveau de l’élève. Mais quand il s’agit de la définition des compétences, étant donné qu’il existe de différents acteurs dans l’enseignement d’une langue et d’une culture étrangères, avec leurs propres objectifs culturels et interculturels, il nous faudra alors les prendre tous en compte en mettant les élèves au cœur de notre réflexion tout en intégrant le cadre scolaire et institutionnel.

La littérature scientifique sur la définition des compétences culturelles et interculturelles à laquelle nous nous référons, se concentre principalement sur une optique qui porte soit sur les enseignants, soit sur les matériaux pédagogiques, soit sur les apprenants. Mais nous ne retrouvons que très peu de recherches qui s’intéressent au croisement de ces acteurs pour construire les compétences culturelles et interculturelles en langue étrangère. D’ailleurs, le regard scientifique porté sur ces acteurs que sont les élèves dans le contexte secondaire est rare. Même si des recherches existent sur les étudiants dans l’enseignement supérieur au sein de l’Union Européenne du point de vue social (Vasconcellos, 1999, Dubet, 2001, Moulin, 1991, Fisher, 2000) ou en didactique des langues étrangères par le biais de la mobilité (Coulon, Paivandi, 2003, Kohler, Lalemand, Lepez, 2008, Zarate, 2000), ou sur les enfants immigrants (EURYDICE, 2004, Verhoeven, 2002) et les enfants plurilingues (Krumm, 2008). L’attention portée aux adolescents concerne essentiellement les échanges

scolaires (Brohy, Triantaphylou, 2008), mais toutes ses recherches s’inscrivent à l’intérieur de l’Europe et les travaux concernant les adolescents apprenant une langue et une culture étrangères hors de l’Europe sont parfois peu engagés.

Le passage dans l’enseignement secondaire correspond à une période où les échanges interculturels s’intensifient, les expériences de mobilité commencent, et l’accès à l’Internet permet des échanges interculturels sans aucun déplacement géographique, etc. Les compétences culturelles et interculturelles chez les élèves ne sont plus seulement un objet scolaire, mais tendent à devenir un objet d’expérience, progressivement élaboré par l’apprenant dans, mais aussi hors de l’école. Notre recherche ne se limite donc pas à la seule question de la définition des compétences chez les élèves, et notre hypothèse de recherche se trouve englobée dans une problématique plus large qui concerne le processus de la construction des objectifs culturels et interculturels attribués à l’enseignement du chinois, ainsi que l’interaction de leurs objectifs. C’est ainsi se construit notre première hypothèse : les objectifs assignés à l’enseignement des compétences culturelles et au développement des compétences interculturelles, dans l’enseignement du chinois dans le contexte secondaire français, par les élèves et leurs parents, par les matériaux pédagogiques et par les enseignants, ne sont pas toujours cohérents ; néanmoins ils s’interagissent.

Il ne faut pas non plus oublier que notre recherche s’inscrit dans le système scolaire français. Il paraît important de se poser la question du rôle de ce système dans la reconnaissance des compétences culturelles et interculturelles en chinois. Il nous semble, en effet, qu’il existe aujourd’hui un déséquilibre entre les compétences culturelles et interculturelles développées chez les élèves au cours de l’apprentissage de la langue chinoise, et leur reconnaissance de la part du système scolaire français, alors que celui-ci devrait, selon nous, en être le moteur pour le développement des compétences culturelles et interculturelles. L’élaboration de ces compétences est le fruit de l’interaction des objectifs attribués par les élèves et leurs parents, par les enseignants et par les matériaux pédagogiques, alors que le système scolaire français ne l’intègre pas dans son dispositif d’évaluation. Nous construisons à partir de ce constat-là notre deuxième hypothèse en mettant en relation le développement des compétences et sa reconnaissance au niveau social et éducatif. Notre deuxième hypothèse est que les compétences culturelles et interculturelles ne sont pas valorisées comme telles par le système scolaire français, et l’interaction des objectifs culturels et interculturels entre les

matériaux pédagogiques, les enseignants, les élèves et leurs parents, n’est pas prise en compte dans l’évaluation en chinois.

Essentiellement assise dans le champ de la didactique des langues et des cultures, la présente recherche s’inscrit dans un cadre pluridisciplinaire en faisant appel à la richesse de certains concepts empruntés à d’autres disciplines.

Appartenant à un champ de recherche en sciences sociales, la didactique des langues et des cultures implique déjà, quant à elle, « une transdisciplinarité qui court de l’histoire des

mentalités à la géopolitique, de la sociologie de l’altérité à la psychanalyse dont le centre est constitué par la relation à l’étranger »133.

Dans une optique anthropologique, nous nous intéressons aux individus et à leurs expériences dans des contextes définis par différentes échelles. Comme ce que dit Marc Augé, « il n’y a plus d’analyse sociale qui puisse faire l’économie des individus, ni d’analyse des

individus qui puisse ignorer les espaces par où ils transitent » (Augé, 1992134). C’est la raison

pour laquelle nous mettons l’attention non seulement sur les élèves, mais aussi sur leurs parents et sur les enseignants. La recherche s’inscrit dans différentes échelles. Comme le préconisent Augé et Colleyn (2004), dans une recherche de compréhension des phénomènes, la notion d’échelle d’observation devient alors indispensable à la construction de l’objet et se décline en échelles géographiques et en échelles socioculturelles. D’un point de vue géographique, l’anthropologie doit nécessairement désormais tenir compte de différentes échelles - locale, nationale et mondialisée. D’un point de vue socioculturel, alors que « l’époque se caractérise, pour chaque individu, par un va-et-vient entre le niveau local et le

niveau global »135, il s’agit de tenter de saisir les liens existant entre des phénomènes d’ordre

micro-individuel, micro-social et macro-culturel. Dans le cas de notre étude, les échelles d’observation sont représentées, pour les premières, par les échelles institutionnelle, nationale et mondialisée, et pour les secondes, par une focalisation sur les objectifs poursuivis par chaque individu, l’élève, les parents ou l’enseignant (micro-individuel), sur l’interaction entre ces objectifs culturels et interculturels (micro-social) et sur le rôle de la mondialisation dans le système scolaire français (macro-culturel). L’objet se situe donc dans la recherche d’une

133 La Reconnaissance des compétences interculturelles : de la grille à la carte, 2004, op.cit., p.

4.

134 Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992, op.cit., p. 149. 135 L’Anthropologie, 2004, op.cit., p. 22.

articulation dynamique entre objectifs individuels, objectifs collectifs, reconnaissance institutionnelle et évolutions contemporaines, et s’appuie sur un corpus mixte d’entretiens d’élèves, de leurs parents et des enseignants, de matériaux pédagogiques et de documents concernant l’évaluation en chinois dans le système scolaire français, le tout s’inscrivant dans un contexte de la mondialisation de l’enseignement secondaire.

En sociologie, nous empruntons aux théories de Bourdieu afin de découvrir le lien entre les classes sociales et les objectifs culturels et interculturels des parents, ou bien au rôle de la transmission du « capital » au sein d’une famille dans la construction des objectifs culturels et interculturels des élèves, etc.

Du point de vue psychologique, nous nous référons aux théories de la psychologie développementale de Piaget pour expliquer l’influence du développement cognitif dans la construction des objectifs culturels et interculturels des adolescents.

Dans une didactique des langues et des cultures ne se limitant pas à l’espace éducatif, l’acteur social plurilingue et pluriculturel est mis en avant comme un individu dont les compétences interculturelles demandent à être reconnues (Murphy-Lejeune, Zarate, 2003). C’est dans ce cadre-là que nous inscrivons l’évaluation des compétences culturelles et interculturelles dans le système scolaire français.