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Les différents modèles des compétences culturelles et interculturelles avec les objectifs

1.3.1 Les modèle de compétences culturelles

Au Canada, Stern (1983) a proposé un curriculum multidimensionnel pour l’enseignement du français langue seconde de base, intégrant quatre syllabus orientés vers des catégories d’apprentissage différents : le syllabus langue, le syllabus communicatif / expérientiel, le syllabus formation langagière et le syllabus culture. Ce dernier inclut des valeurs et des attitudes en lien avec la langue et la culture cibles et implique des objectifs d’ordre affectif. L’Étude nationale sur les programmes de français de base (Le Blanc et al. 1990) a débouché sur l’adoption d’une définition anthropologique de la culture. C’est la culture centrée sur la vie des hommes d’aujourd’hui, et non sur la civilisation, qui a été retenue. On constate que la culture consiste en un mode de vie, en une façon de se comporter et de penser.

Aux Etats-Unis, l’AATF (Americain Association of Teachers of French) (1996) présente un cadre conceptuel pour la compétence culturelle. Ce cadre établit une distinction entre, d’une part, les approches affectives et intellectuelles qui conduisent à la compréhension et à l’appréciation d’une culture et, d’autre part, l’acquisition des connaissances spécifiques sur cette culture. Dans la première composante, comprendre une culture implique le

développement de l’empathie envers d’autres cultures et l’habileté à observer et à analyser une culture. L’empathie repose principalement sur des éléments affectifs. L’habileté à observer et à analyser demande l’acquisition d’un savoir, alors que communiquer dans un contexte culturel relève d’un savoir-faire culturel. Dans la deuxième composante, la connaissance de la francophonie porte sur des indicateurs reliés à sept catégories culturelles : les contextes culturels de communication, les systèmes de valeurs, les modèles sociaux et les conventions, les institutions sociales, la géographie et l’environnement, l’histoire, la littérature et les arts.

Au Québec, Lussier (1997) propose un cadre de référence à des fins d’évaluation relatif à la dimension culturelle en didactique des langues. Le cadre élaboré par Lussier identifie et regroupe les ensembles représentatifs (connaissances, habiletés et attitudes) de la compétence culturelle, de même qu’il spécifie le niveau de complexité des objectifs d’apprentissages, à l’aide d’un tableau-synthèse. Ce cadre permet de bien distinguer chacun des aspects de la compétence culturelle. En fait, l’auteur présente son cadre de référence par un tableau à double entrée : à la verticale, nous y trouvons les domaines d’apprentissage, en l’occurrence les trois composantes spécifiques au développement de la compétence culturelle : les savoirs, les savoir-faire, les savoir-être. Les savoirs impliquent l’acquisition de connaissances explicites des faits et des événements, en nombre suffisant pour permettre à l’apprenant de disposer des informations minimales nécessaires à la compréhension de la langue cible, alors que le savoir-faire relève de la capacité d’adapter des connaissances et des attitudes aux exigences d’une situation réelle de communication, à l’extérieur de la classe, et s’acquiert par la pratique. Les deux, savoirs et savoir-faire, couvrent le domaine cognitif. Le

savoir-être, pour sa part, relève du domaine affectif. Il s’agit de « la capacité affective à abandonner des attitudes et des perceptions ethnocentriques vis-à-vis de l’altérité et aptitude cognitive à établir et à maintenir une relation entre sa propre culture et une culture étrangère »43. À l’horizontale, l’auteur propose des niveaux taxonomiques qui définissent le niveau de

spécificité des composantes de la compétence culturelle.

L’approche de Stern se fonde sur une approche anthropologique et retient principalement des objectifs d’apprentissage visant à « sensibiliser les élèves » à partir d’une liste de contenus notionnels très élaborée. L’approche de l’AATF se fonde sur la

compréhension culturelle et retient une attitude d’empathie, un savoir basé sur l’observation et l’analyse, et un savoir-faire axé sur la communication dans un contexte culturel. L’approche de Lussier, quant à elle, se fonde sur l’évaluation de la compétence. Tous les trois modèles utilisent le terme « compétence culturelle », mais en réalité, ils regroupent ce que nous appelons les compétences culturelles et compétences interculturelles dans notre recherche, sauf que cette compétence interculturelle est liée étroitement à l’apprentissage de la langue française.

1.3.2 Les modèles des compétences interculturelles

1.3.2.1 Le modèle des « savoirs » de Byram et Zarate de 1998

Dans la séquence précédente, nous avons déjà évoqué le modèle de « la compétence socioculturelle » développé par Byram et Zarate en 1998. Ils définissent non seulement les compétences, mais dessinent aussi les objectifs permettant l’élaboration des programmes d’enseignement et les suggestions pour les évaluer. Selon eux, la compétence socioculturelle est un terme générique comprenant « knowledge / knowing that » (savoir), « skills / knowing how » (savoir-faire, capacité, aptitude), « attitudes and values » (valeurs, savoir-être) et « behaviour » (comportement). Ces compétences sont appelées « savoir-être », « savoir-

apprendre », « savoirs » et « savoir-faire ». Voici quelques détails de la définition :

Savoir-être : Capacité affective à abandonner des attitudes et des perceptions

éthnocentriques vis-à-vis de l’altérité et aptitude cognitive à établir et à maintenir une relation entre sa propre culture et une culture étrangère.

Savoir-apprendre : Aptitude à élaborer et à mettre en œuvre un système interprétatif

qui met à jour des significations, des croyances et des pratiques culturelles jusqu’alors inconnues, appartenant à une langue et à une culture avec lesquelles on est familiarisé ou non.

Savoirs : Système de références culturelles qui structure le savoir implicite et explicite

acquis pendant l’apprentissage linguistique et culturel et qui intègre les besoins particuliers de l’apprenant dans les situations d’interaction avec les natifs de la langue étrangère.

Savoir-faire : Capacité à intégrer savoir-être, savoir-apprendre et savoirs dans des

situations spécifiques où des contacts biculturels s’établissent (C’est-à-dire entre la / les culture(s) de l’apprenant et celle(s) de la langue cible).

Par souci de clarté, Byram et Zarate formulent des objectifs d’apprentissage généraux et des objectifs spécifiques. Par exemple, les objectifs d’apprentissage généraux corrélés au

savoir-être incluent « attitude d’ouverture et d’intérêt à l’égard des personnes, des sociétés et des cultures étrangères ; aptitude à relativiser son propre point de vue et son propre système de valeurs culturelles ; capacité à maîtriser des catégories descriptives propres à la mise en relation des cultures maternelle et étrangère ; capacité à se distancier de la relation ordinaire à la différence culturelle, telle que la relation touristique, ou la relation scolaire classique ; capacité à tenir le rôle d’intermédiaire culturel entre sa culture d’appartenance et la culture étrangère apprise, y compris des situations à caractère conflictuel »44. Les objectifs spécifiques au savoir-être sont catégorisés en sous-objectifs. Citons « la capacité d’une

ouverture vers d’autres cultures » comme exemple, Byram et Zarate proposent trois sous-

objectifs, tels que « acquérir une disponibilité pour le contact non-conflictuel avec l’autre,

savoir repérer les effets éthnocentriques dans un document provenant de la culture de l’apprenant, connaître plusieurs mécanismes d’influence étrangère dans son pays (immigration, domination culturelle, guerres), savoir identifier et utiliser plusieurs stratégies de contacts avec un étranger ; connaître les différentes étapes de l’adaptation dans un séjour de longue durée à l’étranger »45. Les auteurs précisent en même temps que cette description

n’est pas exhaustive et reste indicative des directions de travail proposées.

1.3.2.2 Le modèle de « la compétence communicative interculturelle » de Byram de 1997

En 1997, Byram a réitéré les limites du modèle de locuteur natif en apprentissage des langues étrangères, en soulignant que l'apprentissage devrait se concentrer sur le développement des compétences nécessaires pour devenir un locuteur interculturel avec une compétence communicative interculturelle. Il a combiné savoir-apprendre avec le savoir-

faire en ajoutant le savoir-comprendre. Ce dernier savoir porte sur l’interprétation et la

relativisation de la culture maternelle de l’apprenant et n’implique pas nécessairement une

44 Ibid., p. 76. 45 Ibid. p. 76.

interaction avec un interlocuteur. Ce qui est le plus intéressant, c’est que Byram a ajouté un nouveau savoir qui a donné un sens politique au modèle: le savoir s’engager.

Avec l’intégration de cette nouvelle compétence liée à l'action, Byram soutient l’idée que la compétence interculturelle dans l'enseignement des langues étrangères doit contenir l’aspect de l'éducation politique ou de l’éducation civique. Ce faisant, il établit une correspondance entre son modèle de savoirs et le modèle de Gagel pour Politische Bildung (éducation politique). Byram s’enthousiasme pour un développement d’un « critical cultural awareness » de l’apprenant avec le respect à son propre pays et aux autres (« development of

learners’ critical cultural awareness, with respect to their own country and others »46) et pour

une capacité à s’intégrer dans l’Union Européenne. Selon lui, l’enseignement des connaissances culturelles d’une langue cible est une impulsion nécessaire. Il devrait être complété en mettant l'accent sur les processus et les méthodes pour analyser avec des outils critiques les processus sociaux et les résultats qu’offrent les apprenants.

1.3.2.3 Sercu : autonomie de l’apprenant, l’apprentissage constructiviste et la formation de l’identité

En s’appuyant sur le modèle des « savoirs » développé par Byram et Zarate (1998) et le modèle de « la compétence communicative interculturelle » établi par Byram (1997), Sercu (2000, 2002) souligne l’importance de « savoir-apprendre » et « savoir-comprendre » en faisant remarquer leur intérêt dans l’autonomie et l’apprentissage constructiviste des apprenants. Sercu (2000) fait des critiques sur les tâches corrélées à la culture dans les manuels scolaires qui sollicitent un niveau faible de participation de l’apprenant en disant que les manuels scolaires en langues étrangères ne parviennent pas à impliquer les élèves dans la comparaison et à développer leur empathie et capacités de l’apprentissage de la culture. Elle porte également un regard critique sur la pédagogie de la culture centrée sur les enseignants. Sercu fait valoir que la compétence communicative interculturelle doit se construire dans un dialogue avec la (les) culture(s) étrangère(s), où les élèves sont impliqués activement dans la mise en œuvre de l’information. Par conséquent, les apprenants doivent être encouragés à construire leurs propres connaissances et les cours de la langue et de la culture doivent intégrer les tâches qui favorisent le développement de la métaréflexion. Sercu (2000, 2002)

souligne également que le développement de la compétence communicative interculturelle devrait également se concentrer sur la formation de l'identité et le développement de la personnalité.

1.3.2.4 La notion du « Third Place » de Kramsch

Kramsch (1998, 1999), linguiste appliquée, souligne également la nécessité de remplacer le modèle de locuteur natif par le modèle de locuteur interculturel. Comme Byram et Zarate (1998), elle rejette aussi la notion de la compétence de locuteur natif. Par contre, au lieu d’argumenter que l’acquisition de la compétence du locuteur natif n’est pas possible du point de vue de l’identité socio-culturelle, elle affirme que les privilèges traditionnellement associés au locuteur natif ne sont plus justifiables. Un linguiste compétent avec une langue maternelle étrangère, par exemple, peut être capable de produire un langage grammaticalement plus correct ou être mieux placé pour analyser la langue que celui qui est tout simplement né dans la langue. En revanche, la première génération d'une famille d'immigrants ne peut jamais acquérir la compétence d’un natif si la langue d'origine est différente de la langue principale du pays de résidence. Kramsch constate que la notion préconisant qu’un locuteur natif, une langue, une culture nationale, est sans doute, une erreur. C’est à partir de ce constat qu'elle soutient l’idée que la pédagogie orientée vers un locuteur interculturel ayant la capacité d'interpréter et de s'adapter aux différents contextes sociaux est plus pertinente.

En 1993, Kramsch a développé un modèle pédagogique qui se préoccupe de dialogue entre le texte oral ou écrit avec son récepteur. Elle relève l’importance de la nécessité pour l'apprenant de comprendre le contexte culturel dans lequel un texte est à la fois produit et reçu. Par exemple, une personne va produire ou interpréter une représentation de leur propre culture (C1) grâce à sa socialisation au sein de cette culture (C1’). Une culture étrangère (C2) est également interprétée à travers des influences venant de sa propre culture. D’ailleurs, cela ne prend nécessairement pas en compte la façon dont les membres de cette culture étrangère se perçoivent eux-mêmes (C2’). Un exemple ultérieur de Kramsch (2003) permet d'illustrer plus concrètement ce constat. L'interprétation d'un texte américain (qui est une représentation de la culture cible: C2) par les apprenants allemands en anglais américain est susceptible d'être influencée, notamment, par leur immersion dans la culture allemande, la représentation des

États-Unis dans les médias allemands, la littérature américaine qu'ils lisent et, jusqu'à récemment, la présence de l'armée américaine en Allemagne (C2’’). L'image américaine des Allemands est aussi influencée par la façon dont les Allemands se perçoivent. La compréhension interculturelle devrait se produire à travers une inter-subjectivité dialogique dans un « troisième lieu » (« third place »47), dans lequel l'apprenant est invité à réfléchir comment sa socialisation affecte ses perceptions de sa propre culture et de l'interprétation de l'autre. Afin de réaliser cela, Kramsch propose une approche en quatre étapes (Kramsch, 1993a48) :

1. Reconstruire le contexte de la production et de la réception du texte dans la culture étrangère (C2, C2’).

2. Construire avec les apprenants étrangers leur propre contexte de réception, c’est-à-dire trouver un phénomène équivalent dans son propre cadre de significations (C1, C1’).

3. Examinez la manière dont les contextes C1’ et C2’ déterminent partiellement C1’’et C2’’, à savoir la façon dont chaque culture perçoit l'autre.

4. Établir un dialogue qui permet de s’échanger.

Kramsch met l’accent au niveau individuel, c’est-à-dire la compréhension de soi par rapport aux autres. Elle s’intéresse moins à l'application de la compréhension interculturelle dans l'engagement politique de la société. Elle fait des critiques sur l’acceptation naïve des textes « authentiques » qui ne sont pas produits pour des raisons pédagogiques, mais pour un objectif social dans la communauté où ils ont été produits. Si la compétence culturelle de l'apprenant d'une langue doit être réalisé, l'authenticité ne réside pas dans le texte (comme le récepteur ne peut pas « lire » dans la même perspective socio-culturelle que le producteur).

Nous décidons de prendre parmi ces modèles culturels et interculturels celui établi par Byram et Zarate (1998) pour les raisons suivantes : premièrement, le modèle de « savoirs » donne non seulement des objectifs généraux, mais aussi des objectifs spécifiques orientés vers la didactique des langues et l’évaluation de l’apprentissage. Cette précision nous permet de mieux identifier les objectifs culturels et interculturels attribués par les élèves et leurs parents, les enseignants dans les entretiens et par les matériaux pédagogiques, étant donné que ces

47 KRAMSCH, C., (1993a), Context and Culture in Language Teaching, Oxford, Oxford

University Press.

objectifs sont souvent sous forme d’exemples ou d’expériences. Nous pouvons les repérer dans les objectifs spécifiques et les catégoriser ensuite dans l’un des quatre « savoirs ». Deuxièmement, les différences de ces modèles résident dans la restitution de certains aspects du modèle de Byram et Zarate (1998). Par exemple, dans le modèle de « la compétence communicative interculturelle » de Byram en 1997, le savoir-comprendre inclut le savoir-

apprendre et le savoir-faire du modèle de « savoirs » de Byram et Zarate. Quant au savoir s’engager au niveau politique et civique, nous sommes assez réservée sur cet aspect-là dans

l’enseignement des langues étrangères, puisque nous nous intéressons au niveau individuel des compétences culturelles et interculturelles et l’éducation secondaire en France propose ultérieurement des cours d’éducation civique. Le modèle de Sercu (2000) insiste, par contre, sur l’autonomie, l’identité et la personnalité de l’apprenant dans l’enseignement de la langue. Dans le cadre de la recherche de Sercu, l’autonomie signifie d’une part une liberté d’action des élèves dans le contexte d’une pédagogie centrée sur les enseignants, d’autre part, une indépendance dans l’apprentissage. Pour ce qui est de la liberté, elle n’entre pas dans notre cadre de discussion vu qu’il ne s’agit pas d’une compétence des apprenants. Pour ce qui est de l’indépendance dans l’apprentissage, Byram et Zarate proposent dans leur modèle des auto- évaluations à l’issue de chaque rencontre interculturelle. L’identité et la personnalité pourraient être assimilées comme un « savoir-être » en ouverture vers d’autres cultures, en une capacité à tenir le rôle d’intermédiaire culturel, etc. La contextualisation des documents et la relativisation des cultures maternelle et étrangère préconisées par Kramsch font référence au savoir-faire d’ordre interprétatif et au savoir-être en maîtrise des catégories descriptives

propres à la mise en relation de cultures différentes dans le modèle de Byram et Zarate.

A notre avis, la notion de la compétence socioculturelle de Byram et Zarate (1998) comprend les compétences culturelles et les compétences interculturelles dans le cadre de notre recherche. Le modèle propose d’une part des connaissances et des savoir-faire dépendant de l’apprentissage d’une langue donnée, que nous appelons des compétences culturelles dans notre travail, et d’autre part des attitudes envers d’autres cultures et des habiletés de la mise en œuvre des outils pour une meilleure compréhension des situations dans une culture étrangère, que nous identifions comme les compétences interculturelles. Le modèle prend en compte les compétences attendues dans l’apprentissage de toutes les langues étrangères et en même temps précise les objectifs dans l’apprentissage d’une langue particulière. L’enseignement du chinois dans le contexte secondaire français fait d’un côté partie de l’enseignement des langues vivantes et ne se dérobe pas à son devoir dans le

développement des compétences interculturelles des élèves, et est de l’autre côté l’enseignement d’une langue et culture particulières qui demande un apprentissage des compétences culturelles.

C’est pour ces raisons-là que nous prenons le modèle de Byram et Zarate comme une base dans notre analyse des objectifs culturels et interculturels attribués par les élèves et parents, par les enseignants et par les matériaux pédagogiques. Les objectifs généraux et spécifiques des compétences culturelles et interculturelles tels qu’ils ont été formalisées par Byram et Zarate, sont reproduites en annexe 1.

1.4 L’évaluation des compétences culturelles et interculturelles dans l’enseignement des