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La privation du choix : le déni du goût

Dans le document Errances urbaines (Page 112-115)

I LES INSTITUTIONS

C/ DIMENSION SYMBOLIQUE DE L'ALIMENTATION DES SANS DOMICILE FIXE

2) La privation du choix : le déni du goût

Comme je l'ai précisé supra, l'un des aliments les plus fournis aux SDF est la soupe. Elle est faite de diverses manières, notamment avec les restes de la collectivité -comme c'est le cas de l'association citée ci-dessus- et fait l'objet d'innovation dans les techniques culinaires. Une personne bénévole d'une association accueillant des SDF m'expliqua comment le cuisinier devait faire preuve d'imagination avec les denrées reçues de la BAPIF. Etant

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donné la fantaisie des denrées fournies, il s'arrangeait, pour ne pas jeter, à "faire passer tout ça dans la soupe".

Chez les Soeurs, la soupe est un mélange de restes de la cantine des personnes âgées, de soupes déshydratées données par la BAPIF, de pain sec, et parfois de semoule ou riz destinés à la rendre bien consistante. Sa caractéristique principale est d'être épaisse et bourrative: "c'est chaud, ça tient au corps, il y a tout dedans, ça fait un repas complet, et ça réchauffe". La responsable du seul centre des Restaurants du Coeur qui accueillent les SDF estime que la distribution de soupe est un moment de convivialité, lors duquel se dégage de la chaleur humaine (n'y-a-t-il pas confusion entre chaleur de cet aliment et relations humaines ?). C'est une nourriture qui, en tous les cas, est extrêmement répandue dans l'aide alimentaire. On évoque souvent sa présence, notamment dans les documentaires. Dans deux d'entre eux , des gros plans sont faits sur les écuelles de soupe. N'oublions pas le sandwich ou "casse-croûte", distribué un peu partout, même dans certaines associations qui s'occupent essentiellement de colis, mais prévoient un "dépannage" pour les personnes qui viennent demander à manger.

A cela s'ajoutent les plats, souvent bourratifs, cuisinés pour les repas servis à table, les biscuits secs et gâteaux divers. Ces éléments constituent l'essentiel de l'alimentation des SDF, d'après ce que j'ai pu découvrir au cours de mon enquête. Le choix est restreint en la matière. Chaque association ne propose aucune alternative alimentaire (sauf en ce qui concerne les interdits religieux ; presque partout, des aliments autres que le porc sont réservés aux Musulmans pratiquants). Rares sont les occasions où le SDF peut formuler ses goûts alimentaires. Lorsqu'il refuse un aliment qui est décrété "bon pour la santé", les bénévoles ne comprennent pas toujours le refus du bénéficiaire. Cela appartient à ce que j'ai nommé "la politique du : "c'est ça ou rien" ou "la politique du : quand on a faim, on mange ce qu'on nous donne". Ces expressions n'ont rien de très scientifiques, mais sont tout à fait représentatives des quelques remarques formulées par de nombreux bénévoles, ou des pensées sous-jacentes aux discours de certains. La personne bénéficiaire doit consommer tout ce qu'on lui donne gratuitement et oublier ses goûts et ses désirs. Si ce n'est pas un cas général, j'ai eu l'occasion de voir servir aux personnes en difficulté, des denrées très particulières de part le mélange dont elles étaient issues : il s'agissait, par exemple, de sandwichs confectionnés avec des petits pains aux pépites de

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chocolat, nappés de mousse de poisson. Bien que le mélange sucré-salé fasse partie des innovations de la cuisine moderne, celui-ci n'est pas encore répandu... Il en est de même des produits périmés parfois un peu douteux (tel cette mousse de canard périmée depuis plus de huit jours, dont l'odeur commençait à être désagréable). Même si un minimum d'attention est portée sur la fraîcheur des produits distribués, il n'est pas tenu compte du goût. Du chocolat périmé depuis plusieurs mois, même s'il n'est pas nocif pour la santé, n'a plus le même goût. Des biscuits dont la date limite est dépassée depuis plusieurs semaines n'ont plus la même consistance. Des fruits qui commencent à s'abîmer sont moins appétissants et n'ont plus la même saveur. Les SDF se doivent de mettre tout leur imaginaire de côté, pour consommer certains de ces produits.

Certains continuent cependant à revendiquer leurs goûts, en achetant des épices (sel, poivre, piment...) destinées à accommoder les plats qui ne doivent pas toujours être très fins.

N'oublions pas que l'alimentation marque l'identité de l'être social. Aux nantis la recherche de la variété (à tel point que le choix de l'alimentation devient un grave problème), la multiplicité des saveurs, le plaisir de déguster. Aux pauvres la monotonie des plats fades et bourratifs, la nourriture pour la survie.

3) Le festif

Il se révèle, selon les associations, sous différentes formes. Le moment de Noël est celui qui est le plus marqué. Les repas de Noël organisés par l'Armée du Salut ou le Secours catholique accueillent généralement les SDF ou les personnes dites "économiquement faibles" en deux repas séparés.

Quelques associations font en sorte d'offrir aux bénéficiaires des aliments qui, pour eux, sortent de l'ordinaire. Parmi ceux relevés : rôti de porc avec des haricots, poulet avec des haricots, mouton avec des flageolets. Quelques associations tentent de trouver des produits un peu plus luxueux, comme du saumon ou du boudin blanc (que l'on consomme traditionnellement à cette période). Si un effort est fait au niveau alimentaire, on insiste plus particulièrement sur l'aspect convivial, pour

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tenter de montrer que ce n'est pas un jour comme les autres, et pourtant... Les associations qui reçoivent un groupe réduit et sélectionné de bénéficiaires organisent parfois des anniversaires. Elles confectionnent ou achètent un gâteau, sur lequel sont disposées les traditionnelles bougies. Cela semble concerner un nombre restreint d'associations.

Evoquons encore ces "petits plus" qui sont ajoutés à la nourriture habituelle les jours de fête religieuse : boissons, sucreries, etc...

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