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L'IMAGE DU VAGABOND A TRAVERS LES MEDIAS

Dans le document Errances urbaines (Page 149-152)

III DE LA REPRESENTATION DU VAGABOND AU SANS DOMICILE FIXE

A) L'IMAGE DU VAGABOND A TRAVERS LES MEDIAS

Les médias, au sens général, telle que la presse et le cinéma, sont des bons moyens pour analyser les représentations des sans domicile fixe de l'opinion publique. De l'excentricité du clochard excitant la curiosité des passants de la Restauration jusqu'aux films proposés récemment à l'écran, il est clair que les médias ont une influence sur l'image qu'a la société du SDF. "L'homme à la longue barbe du Palais-Royal, fut, pendant la Restauration un des scandales et une des curiosités de Paris. Pas un provincial, pas un étranger ne venait visiter la Capitale sans aller tourner autour de cet homme bizarre à la tournure distinguée qui se promenait déguenillé sous les arcades du Palais-Royal"78. De même que Liard, "le

chiffonnier philosophe", Chodruc Duclos est un personnage atypique, ayant suscité l'intérêt d'écrivains et de nombreux curieux venus de tous horizons. Aux dires de l'auteur du recueil, ce personnage " est mort sur un grabat de la rue du Pélican".

De nombreux écrivains se sont intéressés à ces personnages de la rue, sans pour autant les incorporer dans leurs œuvres. On en retrouve des traces au hasard d'une biographie, comme celle de François Emile-Zola79, à

propos d'Emile Zola, où Denise Le Blond-Zola raconte : "A Cristal Palace, il y avait deux pauvres; “Les pauvres de papa”, disait Jacques. L'un était un vieux mendiant qui balayait le trottoir et la chaussée et faisait un chemin “pour les dames”, dans la boue et la neige. L'autre traçait des dessins sur le trottoir, vendait des pastels aux violentes couleurs qui nous remplissaient d'admiration, Jacques et moi. A l'artiste, au balayeur, Zola chaque jour,

77 Cette recherche se poursuit et sera incluse au sein d'une thèse "nouveau régime".

78 Cf. Album des Célébrités de la rue, Collection des personnages les plus excentriques de Paris, 1865.

“ Errances urbaines ” recherche en ethnologie urbaine

portait une aumône80". En prenant une orientation historique, cette

recherche pourrait faire l'objet d'un recensement des témoignages, qui, accumulés et analysés, donneraient une vision élargie du vagabondage et de la pauvreté au quotidien dans l'histoire.

Ces rapides portraits d'hommes classés comme excentriques à la fin du XIXème siècle sont un témoignage précieux quant au sort que la population accordait aux clochards. Peu nombreux, ils étaient apparemment en proie à la curiosité ou à la sympathie des passants. Les plus excentriques d'entre eux ont fait l'objet d'une curiosité accrue, comme le montre le cas présent d'un portrait relaté. Dans ce domaine, une recherche plus méticuleuse nous permettrait peut-être de trouver une description fidèle du costume du clochard de l'époque81. Mais il faut reconnaître qu'au cours de l'histoire du

costume en France, seuls ceux des classes les plus riches avaient un intérêt pour qui les décrivait. La publication et la diffusion de portraits de la sorte ont sans doute contribué à fabriquer une image archétypique du clochard. Aujourd'hui, la relève médiatique est assurée par le cinéma et la télévision.

Des quelques films sortis en 199182, c'est celui de Gérard Jugnot qui me

servira dans mon approche contemporaine. Martine Rapin est la costumière de ce film. Après la lecture du scénario, son savoir faire et son imaginaire l'ont guidée dans ses recherches, afin que chaque costume "colle à la peau" du personnage. Pour le film "Une époque formidable", Martine Rapin est allée observer durant une quinzaine de jours les SDF dans la rue. Elle raconte83 :

"J'ai d'abord été partout, là où je savais qu'il y avait des SDF qui pouvaient se regrouper. Je sais qu'il y en a beaucoup sur le parvis de Beaubourg. Comme je ne pouvais pas les photographier matériellement, je les ai photographiés dans ma tête. Et je suis allée aussi à un super marché où je vais beaucoup, à côté de chez moi, qui est un Franprix, place d'Aligre. Et place d'Aligre, dès que le marché est terminé, à une heure de l'après midi, il y a plein de gens, de SDF qui sont là.

80 Ibid. p. 99.

81 Cette année, nous n'avons pas pris connaissance de toute notre bibliographie concernant le clochard. Gageons qu'il y est quelques bonnes descriptions.

82 Cf. Mell BROOKS, Chienne de vie; Léos CARAX, Les amants du pont neuf; et Jean MARBEUF, Voir l'éléphant.

“ Errances urbaines ” recherche en ethnologie urbaine J'y allais quasiment tous les jours, pour les regarder et observer. Puis, j'ai osé parler à l'un d'eux. Mais c'est difficile parce qu'on ne tombe pas souvent sur quelqu'un de généreux qui a envie de raconter comment il se démerde pour se fringuer. Il y en a un qui m'a dit : “mais, mais vous, les gens bien sapés de toutes façons au bout de trois fois que vous avez mis des trucs vous les jetez dans la poubelle. Qu'est ce tu crois, on peut bien nous aussi être bien sapé”, voilà".

"Et puis, j'ai remarqué que tous ces gens, malgré tout, ne correspondaient pas au cliché qu'on se fait. Quand on fait des films, quand les gens se disent : “on se déguise en clochard”. C'était des manteaux jusque-là avec plein de poches, des poches à l'intérieur. Moi, des comme ça je n'en ai pas vu. Et je trouvais qu'ils avaient tous des vêtements qu'on trouve aujourd'hui dans les magasins normaux. Et aussi parce que c'est des gens qui peut être, comme dans l'histoire du film de Jugnot, se retrouvent du jour au lendemain dans la rue. Et alors, on se retrouve le premier jour c'est encore bien, le deuxième jour c'est un peu plus sale, le troisième jour… Enfin bon, au bout d'un certain nombre de jours les trucs sont dégueulasses".

"Donc, j'ai trouvé qu'ils étaient tous habillés avec des choses qu'on trouve aujourd'hui. La seule différence c'est que les chaussures étaient éculées, qu'elles étaient usées, que les vêtements étaient sales et usés. Mais j'ai pas trouvé du tout que ces SDF, ces sans domicile fixe, c'étaient des gens…"

Ensuite, Martine Rapin a regroupé tout ce qu'elle pouvait en matière de pièces vestimentaires, de manière à en composer des sacs qu'elle proposait à chaque acteur.

"J'ai d'abord été à un Emmaüs, à Brie-sur-Marne, qui vend des vêtements au poids. Et quand les Emmaüs vendent des vêtements, ils sont nettoyés, tout le temps, ils sont lavés, propres, et tout ça. Mais ils ont déjà une histoire, même si on ne connaît pas leur histoire. Donc, j'ai été acheter énormément de vêtement au poids chez Emmaüs. Et puis, y a un autre Emmaüs que je connais qui est là, rue de Charonne. Et puis, j'ai acheté des trucs chez Tati. Alors j'ai fais des valises, des sacs pour chacun. Bon j'ai dit : “voilà Tiki, ça c'est ton sac”, lui je lui ai fait son sac,… Et je les ai vu un par un en leur proposant ce que j'avais imaginé pour eux. Et puis on a essayé un truc, on a essayé un autre truc, y avait des choses qui n'allaient pas. On les a éliminées, on les a balancées."

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L'étape suivante consiste à rendre vieux ce qui est neuf. Aux vêtements, la costumière va donner une nouvelle histoire, celle du personnage du film.

"Et puis, quand on a enfin trouvé, avec Jugnot, ce qui allait pour chacun, les choses avaient parfois un aspect trop neuf, elles n'étaient pas sales. Donc, il a fallu faire de la patine. On est obligé de faire techniquement ce qu'on appelle de la fausse patine. Parce qu'on peut pas prendre les fringues et les traîner dans la rue, les salir. Parce qu'un acteur ne mettra pas un truc qui sent mauvais, qui est sale, de vrai salissement. Donc, y a une fille avec qui j'ai travaillé qui fait ce qu'on appelle de la patine. C'est pareil pour les chaussures, je ne peux pas leur donner des trucs que je trouve dans la rue, ils n'auraient pas voulu les mettre. Donc, il a fallu trouver des choses neuves et les rendre vieilles. Ce qu'on appelle de la patine, qui est du vécu".

C'est néanmoins par un travail de terrain, d'observation, qu'ont été créés les costumes de ce film. Le recours à des artifices, comme la patine sert à donner une histoire, un vécu aux costumes et à leurs personnages. Ce vécu incorpore la notion de temps, si précieuse dans le monde du spectacle. Par l'étude sémiotique du vêtement, nous pouvons essayer de dégager un "degré de vérité" des costumes du film.

B) ELEMENTS DE COMPARAISON84 ENTRE LE COSTUME DE CINEMA ET

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