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LES LOCAU

Dans le document Errances urbaines (Page 60-64)

L'ASILE DE NUIT IMAGE PAROXYSTIQUE DE L'INSTITUTION D'HEBERGEMENT

LES LOCAU

L'espace est toujours purement fonctionnel. Il s'agit la plupart du temps de locaux dont la fonction première a été dérivée pour recevoir les SDF ou de locaux destinés à être temporaires. Il va s'agir d'un entrepôt frigorifique ("Quai de la Gare"), d'une ancienne prison ("Maison de Nanterre"), ou de baraquements en matériaux préfabriqués ("Le Tremplin" à la Porte de la Villette).

Les locaux du centre "Le Tremplin" à la Porte de la Villette regroupent une dizaine de baraquements coincés entre la voie ferrée et le terminus de bus. Une grande palissade semblable à celles qui protègent les chantiers de

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construction enserre le tout. Le centre est donc très peu visible (voir les photographies du centre).

Le dortoir de ce centre est un dortoir de 15 lits équipés de 4 radiateurs. Les murs sont nus, seule une affiche publicitaire, représentant un paysage de Grèce, vient égayer la monotonie de l'ensemble. Un panonceau à l'entrée du dortoir rappelle le règlement intérieur et les heures où le centre doit être impérativement quitté. Un tabouret creux se trouve devant chaque lit et deux couvertures pliées au carré sont placées en bout de lit et sont surmontées d'un oreiller. Il plane une odeur propre aux lieux mal aérés, et des effluves malodorantes de sueur et de crasse entremêlées. Il semble que ce lieu soit malgré tout le lieu le plus convivial du centre, celui où l'on discute plus qu'ailleurs et de façon plus amicale.

Les sanitaires possèdent dix douches recouvertes de carrelage blanc, dont cinq seulement fonctionnent, six W.C., dix lavabos émaillés et deux éviers en inox pour nettoyer son linge et au-dessus desquels est suspendu un miroir brisé, dix urinoirs, un ventilateur-radiateur hors d'usage. Il n'y a qu'un rouleau de papier qui se trouve à l'extérieur des toilettes. Les peintures sont bordeaux très foncé (la couleur du vin) et il plane là une odeur âcre d'urine.

Il n'est pas question ici de parler d'intimité. Les murs qui séparaient à l'origine les toilettes ont été abaissés de telle manière qu'il est possible de voir son voisin. Les portes de celles-ci ne sont guère plus hautes que les dits murs et l'espace qui sépare le sol du bas de la porte est très large (voir photographie). Il en va de même pour les douches qui bien qu'individuelles ne sont séparées que par un mur. L'eau est tiède à l'ouverture du centre mais elle devient rapidement froide. Il n'y a en effet qu'un petit ballon d'eau chaude pour cent trente-deux personnes. L'éclairage déficient et la couleur sombre des murs contribuent à laisser un sentiment de malpropreté du lieu.

Le réfectoire, peint en orange, est occupé par cinq tables de huit et deux tables de quatre personnes (soit quarante-huit places). Il fonctionne comme un self service mais le choix est inexistant. Le repas est servi entre 18 h 00 et 19 h 50, heure à laquelle la salle doit être vidée pour devenir une salle de

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télévision dés 20 h 0041. A ce propos, la salle de télévision attire peu de

monde. Un quart environ des SDF accueillis dans le centre viennent la regarder chaque soir. Les gens ont tendance, à ce moment, à se regrouper par nationalité : un groupe important de maghrébins s'installe chaque soir dans un coin de la pièce et discute.

La vaisselle est rapidement nettoyée à la main. Le SDF vide d'abord son plateau et son assiette, puis un plongeur (ils sont deux) prend couverts, verre et assiette qu'il nettoie hâtivement dans un grand bac rempli d'eau tiède dans laquelle il a mis du liquide vaisselle. Il rince enfin le tout sous le robinet d'eau froide et remet l'ensemble dans la chaîne du self sans l'essuyer ou très rapidement. L'eau du bac reste la même pendant toute la durée du service.

C'est un lieu où l'on discute peu, généralement, et le repas est pris relativement vite. Une fois celui-ci terminé, on ne s'attarde pas. Il est de toute façon difficile de le faire dans la mesure où le nombre de places est limité.

En entrant dans cet espace, appelé pompeusement le restaurant, on trouve, placardé sur un panonceau, le règlement intérieur du centre. Un autre tableau sert d'emploi du temps télévision : il indique, par jour, la chaîne et le programme choisis par les veilleurs (le choix s'oriente le plus souvent vers le sport quand il y en a).

Dans un autre ordre d'idée, il existe de petites associations qui hébergent des SDF et qui fonctionnent sans aucune subvention. C'est le cas des "Frères Missionnaires de la Charité" dont la maison dans le XIXème arrondissement accueille généralement huit personnes (voir plan). L'hébergement, de nuit uniquement, se fait dans une pièce qui sert, dans la journée, de salle de repos où les gens qui le souhaitent peuvent rester (j'ai pu y voir des SDF âgés assis dans une attitude de prostration et pour lesquels plus rien ne semblait exister). Le soir venu, on installe dans cette pièce des matelas. Il s'agit ici d'un mode de prise en charge a minima qui s'inscrit

41 A titre d'exemple, un menu: soupe de légumes, tripes et riz, une pomme, un morceau de pain, de l'eau en broc sur les tables. Le petit déjeuner est constitué par: un café, du lait, un morceau de beurre et deux morceaux de pain. Il n'y a pas de sucre.

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dans la tradition de la charité chrétienne et qui se résume en un assistanat pur et simple.

Tous les centres sont investis d'une fonction qui dépasse le cadre de leur affectation première. La capacité d'accueil, la mobilité réduite par l'espace clos, la structure de l'hébergement provisoire et l'aspect fonctionnel des locaux diffèrent de ceux des CHRS qui accueillent dans la durée (ce qui induit des modes de circulation différents dans l'espace).

Le centre d'hébergement provisoire conserve malgré tout un aspect sécurisant pour l'individu hébergé. Cet aspect a aussi comme corollaire, de par le rôle coercitif qu'il génère, la perte d'autonomie pour l'individu.

L'espace ne se prête pas à une quelconque forme de convivialité pour deux raisons essentielles : il n'existe pas d'endroits réservés à cet effet qui favorisent le regroupement et la discussion (pas de sièges...). Ils impliquent donc un mouvement continu et obligé.

A la Villette, l'espace clos du centre engendre aussi, pour les personnes accueillies, une mobilité réduite. Il est possible de discerner trois modes d'occupation de l'espace : la prostration (dans le dortoir, à l'extérieur du dortoir), l'attente (à l'accueil, dans le dortoir, au réfectoire, aux sanitaires), la circulation réduite à trois espaces (réfectoire, dortoir, sanitaires) distinctement séparés (pas de couloirs : le passage d'un lieu à l'autre s'effectue nécessairement en passant par l'allée qui borde les locaux). L'ensemble de l'espace est collectif et la gestion de celui-ci est réglée par l'institution (en deça ou au delà de certaines heures l'accès au réfectoire par exemple, est interdit).

Il n'existe donc pas de lieux d'intimité. Chaque parcelle de l'espace est collectif : le dortoir commun est dépourvu de placards (pas de lieux pour déposer ses effets personnels), les sanitaires offrent des douches collectives et les portes des toilettes sont ajourées de telle manière que, en bas comme en haut, on puisse voir la personne qui s'y trouve (est-ce le moyen d'assurer une forme d'autosurveillance ?).

Face à cela, on a l'impression que les SDF créent une hiérarchisation des espaces à l'intérieur du centre comme pour rendre l'endroit plus vivable, plus convivial : "ici, c'est le meilleur dortoir" dit un SDF.

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La propreté des lieux est toujours très approximative et leur vétusté aggrave cet aspect. Bien que la direction des centres précise qu'un nettoyage et une désinfection sont effectuées chaque jour, il n'en reste pas moins que les locaux offrent toujours l'aspect triste et sale d'un lieu public, d'un lieu de passage quotidien que l'on cherche toujours à fuir rapidement. L'odeur n'arrange rien : elle flotte continuellement entre celle du produit désinfectant et des remugles de dortoir jamais aérés et aggravés par le manque d'hygiène involontaire des personnes qui y dorment.

Les locaux ne sont jamais prévus pour recevoir les gens avec tous leurs bagages et la plupart du temps, les centres ne les acceptent pas. Ceci est justifié par des raisons de sécurité mais aussi par le manque d'espace réservé à cet effet. Le SDF se présente donc le plus souvent sans bagages qu'il laisse dans les consignes automatiques des gares par exemple. Ces bagages constituent le plus souvent l'unique bien des gens à la rue, on peut dire à ce titre, qu'ils représentent un élément constitutif de la personne et, se présenter en centre d'hébergement sans cet élément, a quelque chose de déstructurant pour eux.

Des lits restent bien souvent vides dans ce type d'institution, je pense que ce fait est directement imputable au manque d'organisation. Le taux de rotation élevé et les départs subits et fréquents rendent la gestion des places difficiles mais, j'ai pu constater de surcroît que les surveillants ne prennent pas toujours la peine de vérifier si des lits restent inoccupés.

En conséquence, ce type de structure, dans son organisation tant spatiale que réglementaire, maintient le SDF dans un cadre coercitif et répressif.

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