• Aucun résultat trouvé

LA DESOCIALISATION ET LA RECONSTITUTION D'UNE FORME DE SOCIABILITE

Dans le document Errances urbaines (Page 79-81)

L'ASILE DE NUIT IMAGE PAROXYSTIQUE DE L'INSTITUTION D'HEBERGEMENT

LA DESOCIALISATION ET LA RECONSTITUTION D'UNE FORME DE SOCIABILITE

J'ai entendu un SDF dire une fois : "En dehors du centre, on est obligé de vivre comme tout le monde,... en dehors de la société, c'est-à-dire, en se formant une société nouvelle, la société des clochards...".

Les réseaux de relations qui ont été évoqués plus haut existent aussi chez le SDF. Un travailleur social interrogé pense qu'il y a un circuit de la marginalité.

Les relations qui existent entre SDF sont peu structurées mais la circulation rapide d'un centre à un autre et accélérée par la brève durée d'hébergement conduit les SDF à se croiser régulièrement et à se reconnaître. Ils échangent alors des renseignements sur les centres d'hébergement ou les endroits où il est possible de manger pendant la journée... Mais en contrepartie, la mouvance imposée par la règle des quinze jours ne favorise pas la constitution de relations stables, elle rompt les repères identitaires.

Une personne sera souvent identifiée par le SDF par rapport à la place qu'elle occupe dans l'espace quadrillé par celui-ci. Elle n'est pas, à proprement parler, une connaissance intime de celui-ci, mais plutôt un individu repéré par le SDF parce qu'il fait partie de son espace quotidien. Ce sera le gardien du centre, le patron du bar, le "copain" de tel autre centre... Le réseau de relations se constitue donc en fonction du quadrillage quotidien de l'espace urbain par le SDF.

“ Errances urbaines ” recherche en ethnologie urbaine

Il arrive toutefois qu'à l'intérieur de l'institution (c'est surtout le cas en CHRS), se tissent des réseaux de relations informels, de solidarité entre SDF. Ils se concrétisent par ce qu'un travailleur social appelle "le parrainage" (entretien Travail et vie), dans le sens où se tisse une relation entre "l'ancien" SDF et celui qui est considéré comme le nouveau venu : ces réseaux se manifestent par l'échange de "tuyaux" mais aussi parfois par l'établissement de liens plus ou moins stables en dehors de l'institution. Ce "parrainage" constitue un signe de reconnaissance de celui dont le statut est identique.

Les structures n'offrant pas la possibilité à la frange la plus désocialisée de "s'en sortir", cette dernière créé les moyens "d'un maintien de soi" qui passe par des stades qui conduisent souvent à une inévitable chute : le SDF vit dans le passé, ressasse ses souvenirs et boit en formulant des projets qui s'inscrivent dans un avenir tout à fait incertain.

Sans aborder l'alcoolisme proprement dit, il semble important de mentionner le rôle éminemment socialisateur de l'alcool pour le SDF. Il est l'un des éléments qui entre dans cette socialisation spécifique au milieu SDF (c'est par exemple, la circulation de la bouteille dans le groupe). Le centre d'hébergement n'admet pas l'alcool en son sein : pour des raisons d'ordre intérieur, on peut comprendre cette démarche, mais, c'est, en même temps, priver le SDF d'un élément qui crée la relation. Cette démarche renforce par ailleurs l'aspect infantilisant du centre.

Le centre d'hébergement temporaire provoque un repli de l'individu et engendre l'installation de ce dernier dans une situation dont il ne sort plus.

Tous les endroits du centre qui peuvent favoriser les rencontres et un semblant de sociabilité dans un espace qui ne s'y prête pas, sont exploités par les SDF. Le dortoir est, dans les asiles de nuit, le lieu où s'exprime le mieux cette sociabilité. Les discussions ont lieu généralement en petits groupes. Des SDF du dortoir reçoivent aussi la visite de SDF appartenant à d'autres dortoirs. Les gens s'assoient sur les tabourets ou sur les lits, jouent aux cartes ou commentent le journal à voix haute. Dans ce cas, tout le dortoir participe.

On y retrouve des personnalités très différentes : il y a le "bout-en-train" qui anime la chambrée, la "grande gueule" est le chef du dortoir, il y a celui que l'on n'entend pas et celui que tout le monde surnomme "L'ancien", le

“ Errances urbaines ” recherche en ethnologie urbaine

plus vieux que l'on écoute quand on a le temps50. Dés 19 h 30, certains sont

déjà couchés. On se couche parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. Un SDF dit : "qu'est-ce que tu veux faire ?... Y'a rien à faire !"51. Avant de dormir,

quasiment tout le monde plie correctement son pantalon et sa chemise puis les place sous le matelas, les autres vêtements restent en vrac sur le tabouret ou sont roulés en boule et glissés sous la tête. Ou encore, le pantalon est quitté, les autres affaires sont gardées sur soi. Le fait de ranger soigneusement son pantalon a son importance. L'apparence compte pour le SDF, qui soignera l'aspect extérieur en tâchant de garder des habits relativement propres. Quand ceux-ci sont trop sales, il va s'en procurer d'autres dans un vestiaire52.

Les sanitaires et le réfectoire (dans une moindre mesure car la télévision ne suscite pas l'échange verbal) favorisent les relations ainsi que tous les endroits de passages fréquents (les couloirs, les paliers au seuil des dortoirs... Voir les plans qui indiquent les lieux de stationnement). Tous ces lieux semblent être utilisés de façon à réintroduire de la vie dans un espace où l'événement est supprimé53.

LA FIN DE CE TYPE D'HEBERGEMENT OU, DE L'AMBIVALENCE D'UNE

Dans le document Errances urbaines (Page 79-81)