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ELEMENTS DE COMPARAISON 84 ENTRE LE COSTUME DE CINEMA ET CELUI DES SDF

Dans le document Errances urbaines (Page 152-156)

III DE LA REPRESENTATION DU VAGABOND AU SANS DOMICILE FIXE

B) ELEMENTS DE COMPARAISON 84 ENTRE LE COSTUME DE CINEMA ET CELUI DES SDF

Nous nous intéresserons au fait d'habillement85 de chaque personnage

du film, et comparerons chaque point d'après nos observations. Suivant le classement que propose Roland Barthes (Barthes,R.,1967 : 436), nous pouvons distinguer les six points qui suivent, qui nous permettent d'établir une comparaison :

84 Pour ce chapitre, nous empruntons quelques concepts à la sémiologie du vêtement, en nous référant aux travaux de R. Barthes et de Y. Delaporte. Cf. Bibliographie.

85 Le fait d'habillement n'a pas de signification sociologique. Il est "constitué par le mode personnel dont un porteur adopte (ou adopte mal) le costume qui lui est proposé par son groupe" (Barthes,R., 1967, 436)

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1- La dimension individuelle du vêtement est tantôt trop lâche (c'est surtout le cas des pantalons qui tombent sur les chaussures), tantôt trop étroite (c'est le cas des vestes, comme le caban trois-quarts à droite qui engonce le personnage).

La réalité est souvent similaire lorsque les vêtements sont distribués "au petit bonheur". Par exemple, la taille d'une paire de pantalons ne coïncide pas forcément avec la longueur des jambes. Si, dans certains vestiaires, les vêtements sont raccommodés, ils ne sont jamais retouchés, ou ajustés à la personnes.

2- Le degré et la particularité d'usure, de désordre ou de saleté, est particulièrement manifeste sur le personnage du fond à gauche, et présente sur les autres. Les chaussures témoignent d'une usure (obtenue par le procédé de fausse patine).

Sur ce point, rappelons que la fréquentation des vestiaires ne peut avoir lieu que tous les deux à trois mois, et que l'entretien des pièces vestimentaires reste malaisé. A cela, ajoutons que les vêtements sont, la plupart du temps, de seconde main, bien qu'il arrive de trouver des habits neufs, comme c'est le cas dans un vestiaire du XVIème arrondissement86.

3- La carence partielle d'une pièce est perceptible sur le caban trois- quarts du personnage de droite. Ici, l'effet est rendu par la présence d'un bouton jaune qui correspond aussi à une anomalie (9).

Les anomalies sont nombreuses et participent largement de l'identification du SDF. Notons l'absence de lacets, l'absence de chaussettes, voire de chaussures, l'absence de boutons, etc…

4- Le non usage est flagrant sur le personnage de gauche, en arrière plan. Les manches ainsi que le col sont ouverts, ainsi que le gilet de jean. L'histoire se déroule en hiver.

Les anomalies peuvent être le fait d'une tenue portée en contradiction avec les saisons. En hiver, il arrive fréquemment de voir des SDF légèrement vêtus. Comme nous l'avons vu supra, il peut s'agir parfois d'une stratégie.

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Mais cela peut aussi résulter d'un vol, ou d'une situation imprévue. A l'opposé, on en rencontre aussi sur-couverts en été, ou à l'inter-saison. Lorsqu'ils couchent dehors, les SDF doivent établir un compromis entre une certaine quantité de vêtement à porter et à transporter en fonction des variations de températures journalières.

5- Les vêtements improvisés ne figurent pas sur ces photos. Pourtant, une scène du film montre l'acteur principal portant des sacs en plastique à la place de ses chaussures.

A titre d'anecdote, j'ai pu observer dans le métro une femme SDF chaussée de la même manière. Deux sacs de plastique de supermarché faisaient office de chaussures, noués au mollet par les anses. Ici, le réel rejoint la fiction.

6- A l'exception du bob de toile rouge, le choix des couleurs réside essentiellement dans l'emploi de couleurs ternes. Elles peuvent aussi être ternies par la saleté (la patine dans le cas du cinéma).

Les vêtements sont le plus souvent de couleurs ternes. L'utilisation de couleurs vives peut se remarquer dans les accessoires comme un bonnet, des gants ou une écharpe. Les couleurs sont très rarement en accord avec la mode. Toutefois, ces assertions demanderaient une plus longue observation, aussi bien des SDF que de la société globale.

Ces six points ne sont pas uniformément perceptibles avec la même intensité chez les quatre personnages du film. Certains ont un costume mieux ajusté. Le personnage central, joué par Jugnot, est plus propre, car plus récemment tombé dans cette situation. Il en est de même chez les SDF, qui sont dans l'ensemble, animés par la recherche d'un anonymat. Il s'agit là de deux extrêmes, marquant les étapes vers l'abîme. En ce sens, le film de Jugnot montre la partie la plus visible de la population SDF, qui n'est pas forcément celle qui souffre le plus, mais celle à laquelle l'imaginaire se réfère pour construire un ensemble d'a priori et des jugements de valeurs.

Dans l'hypothèse où les vêtements distribués dans des associations caritatives et autres vestiaires sont perçus comme "vêtements de pauvres", voire de "SDF" dans le cas des cinéastes, nous voyons que le rôle du cinéma dans la représentation collective a son importance. Ceci explique pour une

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part l'invisibilité d'une population évaluée à 400.000 sur Paris87. L'invisibilité

et l'anonymat s'achètent. Les emplois précaires et le RMI offrent aux SDF la possibilité d'acheter des vêtements à la bonne taille, et d'être à la mode. En refusant les vestiaires, ils réduisent les "stigmates" du pauvre et de l'assistance. Alors, peut-on penser que, d'une certaine façon, l'image des SDF que véhicule la société "protège" ceux qui recherchent l'invisibilité ?

N. Jouenne

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