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B/ DIMENSION MICRO-ECONOMIQUE DE L'ALIMENTATION DES SDF

Dans le document Errances urbaines (Page 106-110)

I LES INSTITUTIONS

B/ DIMENSION MICRO-ECONOMIQUE DE L'ALIMENTATION DES SDF

Selon leur situation, (prise en charge institutionnelle plus ou moins complète ou ponctuelle, refus d'y recourir, fermetures ), les SDF sont parfois amenés à employer d'autres moyens pour obtenir de la nourriture, lorsqu'ils n'ont pas du tout d'argent. La récupération, la "manche", le vol et différents systèmes de "débrouille" représentent les techniques employées à cette fin.

1) La récupération

Il s'agit pour le SDF de récupérer les aliments destinés à être jetés dans les poubelles, sur les tables de restaurants (en particulier des "self -service") et aux emplacements des marchés.

“ Errances urbaines ” recherche en ethnologie urbaine

Il y a plusieurs types de poubelles : celles des particuliers, au pied des immeubles ; celles des commerces d'alimentation (notamment des restaurants) et les poubelles publiques (poubelles vertes de rue, mise à disposition par la Ville de Paris). Les différents témoignages que j'ai pu recueillir à ce sujet, s'accordent sur le fait que les SDF déclarent tous ne pas avoir honte de récupérer de la nourriture. Pour justifier cet acte qui inspire le dégoût à l'ensemble de notre société, ils mettent en avant l'apport alimentaire de ces denrées de récupération, en essayant de mettre de côté leur lourde valeur symbolique (ce sont les déchets de notre société... consommés par les laissés pour compte de cette même société). "Quand t'as faim, tu manges n'importe quoi; c'est terrible la faim" (SDF interviewé dans un reportage télévisé ).

Une femme SDF de 45 ans, rencontrée dans le foyer d'hébergement dans lequel j'ai passé une semaine, me dit à ce même sujet : "Moi je m'en fous de fouiller dans les poubelles ; tu sais, quand t'as faim..."(elle ne finit pas sa phrase, mais nous pouvons imaginer la même suite). Cette femme m'avoua son habitude d'explorer toujours les mêmes poubelles. Est-ce rassurant pour elle de se "familiariser" avec cet objet de dégoût ?

Un autre SDF m'a expliqué qu'il avait lui aussi pour habitude de chercher de la nourriture dans des poubelles précises. Il s'agissait de poubelles d'un restaurant "fast food" du quartier des Halles. Lui et d'autres SDF attendaient que les employés de ce commerce déposent les ordures à l'extérieur. Ils y trouvaient des "hamburgers" intacts, encore emballés, que les employés en question prenaient soin de déposer à coté des autres ordures. En effet, les règles d'hygiène de ce restaurant sont telles, que toute nourriture préparée doit être vendue dans les quelques minutes qui suivent, sinon elle est jetée. Cela permettait aux SDF de récupérer des produits intacts, encore tout à fait consommables. Si je m'exprime au passé, c'est que ce restaurant a changé de méthode: le dépôt de cette nourriture attirait trop de gens indésirables aux alentours du commerce. Elle est à présent inaccessible.

Les plateaux laissés sur les tables par les clients n'étant pas toujours immédiatement débarrassés, offrent la possibilité aux SDF d'y récupérer ce qu'il y reste de comestible : boisson, pain, restes dans les assiettes. (Dans ces self-service, des sauces sont mises à disposition des clients -mayonnaise,

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vinaigrettes diverses- : la femme dont je parlais plus haut, a pour habitude d'en recouvrir le pain qu'elle a préalablement récupéré sur les plateaux).

A la fin des marchés, nombreux sont les commerçants qui se débarrassent des produits qui ne seront plus vendables le lendemain. Dans le 18ème arrondissement, la fin du marché de Barbès attire de nombreuses personnes (pas seulement SDF), qui ramassent à même le sol des fruits et légumes négligés des commerçants. Ils peuvent parfois en remplir des sacs, improvisés avec des filets d'emballage laissés sur le sol.

2) La "manche"

La "manche" n'est pas pratiquée par tous les SDF. Pour certains d'entre eux, ce procédé est trop "dégradant". D'autres, en revanche la pratique pour obtenir de la nourriture : à la sortie de certains commerces, ils attendent des denrées. Ils demandent dans le métro ou dans la rue des "tickets Restaurants", ou s'adressent directement aux commerces comme nous l'avons vu précédemment.

Une autre femme rencontrée à l'asile de nuit, m'expliqua qu'elle se rendait régulièrement dans les mêmes restaurants pour demander les restes. Généralement, on lui offrait un sandwich (c'est ainsi qu'elle se nourrissait à midi).

3) Le vol

Il est mis sur le même compte que la manche, pour certains SDF qui ne veulent pas perdre leur honnêteté. L'un, en particulier, déclare qu'il préfère encore consommer les denrées trouvées dans les poubelles : "je n'ai jamais volé et je ne volerai jamais. Je ne veux pas en arriver là". Tous ne sont cependant pas du même avis. Ils avouent dérober parfois quelques aliments dans les petits commerces, mais surtout dans les grandes surfaces. La femme de 45 ans citée précédemment, va régulièrement prendre ses repas dans un supermarché en particulier, où elle déguste toutes les denrées qu'elle préfère : certains fruits, du magret de canard fumé et du saumon

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fumé sous-vide, des boissons lactées ou du cidre, des sucreries, etc... Elle consomme tout sur place et n'a jamais été interpellée.

4) La "débrouille"

Il s'agit des différentes méthodes employées pour obtenir de la nourriture en toute honnêteté. Je donnerai à ce propos deux exemples, même s'il en existe bien d'autres.

Le premier est celui d'un SDF du 18ème arrondissement, qui se rend très régulièrement à la fermeture d'une boulangerie, pour aider les femmes employées à rentrer dans la boutique un meuble très lourd qu'elles ont du mal à porter. En échange, il obtient toujours une ou plusieurs viennoiseries, selon le stock restant.

Le second est également un habitué du 18ème : pendant plusieurs mois d'hiver, il s'installe devant une charcuterie/traiteur pour jouer de l'harmonica. Non seulement ces commerçants acceptent sa présence, mais ils lui fournissent une barquette destinée à récupérer l'argent que les passants lui donnent et ils lui offrent un plat chaud chaque jour. L'hiver dernier, il n'est pas revenu.

Notons à cette occasion, qu'un mode informel d'aide alimentaire existe dans la capitale. Il s'agit des aides individuelles apportées notamment par les commerçants. Une petite enquête auprès d'une vingtaine de commerces d'alimentation essentiellement dans le 18ème arrondissement, (boulangeries, boucheries/charcuteries/traiteurs et petits supermarchés) m'a permis de faire quelques constatations. Si les uns refusent catégoriquement toute sollicitation, les autres se prêtent aux "techniques" des SDF ou encore leur offrent simplement quelques denrées, sans rien attendre en échange. Les quelques commerçants qui pratiquent ces dons le font cependant avec des personnes bien précises : soit des personnes qu'elles connaissent "de vue" dans le quartier, soit des personnes qui leur "inspirent confiance" ou qui leur font pitié. Dans tous les cas, devant la recrudescence des sollicitations, la plupart des commerçants restent très prudents et discrets dans leurs dons.

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Les techniques de la "débrouille" sont le fait de nombreux SDF à Paris. Les associations s'accordent sur l'idée qu'"on ne meurt plus de faim à Paris". Mais cela se vérifie en partie par l'existence de ces procédés, qui permettent de pallier les défauts des services proposés, mais qui donnent surtout, aux SDF, la possibilité de ne pas s'adresser qu'aux structures en place. Ils ont ainsi un sentiment de liberté qu'ils ne peuvent ressentir lorsqu'ils ont affaire aux associations, qui, pour beaucoup tentent désespérément de les "remettre sur le droit chemin".

C/ DIMENSION SYMBOLIQUE DE L'ALIMENTATION DES SANS DOMICILE

Dans le document Errances urbaines (Page 106-110)