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LE SANS DOMICILE FIXE A-T-IL UN COSTUME SPECIFIQUE ?

Dans le document Errances urbaines (Page 145-148)

II L'IMPORTANCE DU VETEMENT CHEZ LE SANS-DOMICILE-FIXE

D) LE SANS DOMICILE FIXE A-T-IL UN COSTUME SPECIFIQUE ?

Dans le cas des interactions qui reposent sur la mendicité, la distinction doit pouvoir se faire sans ambiguïté. Pour cela, le vêtement du Sans-domicile-fixe, lorsqu'il fait la manche, doit comporter les signes distinctifs de son état et de sa situation. Ceci me fait émettre l'hypothèse selon laquelle certains Sans-domicile-fixe en situation de mendicité arboreraient un costume spécifique et non plus des vêtements. La pratique de la manche reposerait sur une mise en scène, tant au niveau de l'interaction qu'au niveau de la présentation, mettant en jeu des stratégies, conscientes ou inconscientes, ayant pour finalité l’obtention d’argent.

Mon premier exemple est celui d’une jeune femme, qui stationne à un carrefour une clef de voiture à la main. Son porte-clé reste bien en vue pendant tout le temps des interactions qui consistent à aller vers une voiture à l’arrêt en demandant au chauffeur de quoi la dépanner alors qu’elle vient de tomber en panne d’essence et se retrouve sans argent, prétextant avoir oublié son sac à main… A première vue, cette jeune femme correspond à la scène : elle est proprement vêtue, porte un blouson comme si elle venait de sortir de son véhicule. Ses clefs attestent qu’elle possède une voiture garée non loin de là. A d’autres moments, j’ai pu la voir un bidon de plastique à la main, une sorte de jerrycan.

Ici, nous accolons au costume des accessoires qui lui donnent son caractère spécifique. Le trousseau de clefs de voiture, identifié comme tel,

“ Errances urbaines ” recherche en ethnologie urbaine

dans un contexte précis, donnera à la jeune femme l’identité d’une conductrice en panne.

Mon deuxième exemple est celui d’un homme qui, dans une gare, attaché-case en main, va à la rencontre de voyageurs en leur demandant de l’argent afin de compléter de quoi payer son billet de train, prétextant la perte de son portefeuille. Là encore, c’est un accessoire qui va servir d’élément identificateur, de signe, pour entrer dans la composition du costume spécifique : celui du voyageur en partance. Ses vêtements sont propres. Il porte une veste claire, une chemise et une cravate, ainsi qu’un pantalon clair également. Des chaussures de ville complètent l’ensemble de son costume. Il est bien rasé et coiffé. Au premier abord, rien ne peut le distinguer d’un autre voyageur. A la longue, cette mise en scène va devenir un véritable travail, avec des horaires, des pauses et des règles.

Il en est de même pour les gens qui font la manche assis par terre. Dans ce troisième exemple, l’homme en question a fini par s’aménager une place dans un endroit face à un grand magasin. Tous les jours, à heures régulières, il s’assoit en tailleur sur son sac et attend un écriteau devant lui. Il porte un jean et une paire de gros godillots, une veste bleue foncée et un bonnet de sport d’hiver bleu et rouge à rayures sur la tête. Le froid lui a rougi le visage. Cette activité est un travail, il en parle comme tel. Ces vêtements le “stigmatisent” comme un Sans-Domicile-Fixe, validé par le texte de l’écriteau : SDF. (J’ai souvent rencontré ce genre de bonnet, qui selon la personne, pouvait être d’une couleur opposée à celle de l’ensemble du costume : par exemple un bonnet orange pour un ensemble bleu sombre). Nous retrouvons encore cette notion de contexte qui montre que la stratégie requiert une adaptation à un contexte donné : on ne fait pas la manche dans une gare comme on la fait dans la rue. Cette adaptation, ou contrainte, suivant l’endroit où l’on se place est pour moi un indice et une piste à approfondir.

Nous voyons à travers ces trois exemples que le costume spécifique dépend pour beaucoup d’accessoires, comme un bonnet, une sébile, un écriteau, le tout entrant dans un contexte approprié. Ce costume est dit "spécifique" lorsque la personne cherche une identification se rapportant au contexte des interactions : voyageur dans une gare, chauffeur à un carrefour, mendiant devant un grand magasin.

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Un dernier exemple, qui m'a été rapporté par une collègue, réduira considérablement l'ambiguïté de ce problème. Empruntant chaque semaine le même trajet, cette collègue était confrontée à un mendiant, toujours assis à la même place, qui faisait la manche les pieds nus. Apitoyée par la scène, la jeune femme décide de donner au mendiant de quoi s'acheter une paire de chaussettes. Celui-ci l'ayant promis, quelle ne fut pas son indignation lorsque la semaine suivante elle constata qu'il n'avait rien fait. Aussi, lorsqu'elle lui demanda une explication, le mendiant lui répondit qu'il ne pouvait pas porter de chaussettes, car cela entrait dans une stratégie qu'il avait fait "breveter", et qu'en porter reviendrait à "casser son travail". Il en était de même pour son collègue, assis plus loin, qui lui, ne portait pas de tee-shirt. Il mendiait le torse nu.

Ces stratégies servent à apitoyer le passant, et ont des conséquences risquées pour le mendiant. Que pouvons nous voir dans ce jeu morbide entre SDF et passants, où les limites sont poussées à l'extrême ?

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III DE LA REPRESENTATION DU

Dans le document Errances urbaines (Page 145-148)