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CONTROLE INFANTILISATION ET REPRESENTATION

Dans le document Errances urbaines (Page 76-79)

L'ASILE DE NUIT IMAGE PAROXYSTIQUE DE L'INSTITUTION D'HEBERGEMENT

CONTROLE INFANTILISATION ET REPRESENTATION

Le contrôle est un aspect essentiel du travail des surveillants. La prédominance de ce type d'activité semble être la conséquence de ces structures énormes que sont généralement les asile de nuit dont l'aboutissement logique est l'encadrement par des surveillants.

Des rondes régulières dans les dortoirs sont effectuées. Elles sont le moyen d'assurer la tranquillité des lieux, de repérer les absences et l'occasion de rappeler le règlement intérieur aux contrevenants éventuels (en particulier l'interdiction de fumer). J'ai pu assister à ces visites au centre "Le Tremplin" : il est 20 h 00, le veilleur pénètre subitement dans le dortoir. Les mains jointes dans le dos, il rappelle aussitôt à l'un des SDF l'interdiction de fumer en le menaçant d'exclusion s'il le reprend. Un lit est resté vide, la personne qui l'occupait n'est pas rentrée. Le veilleur vide le tabouret de son contenu (un jeu de tarot, un nécessaire de toilette et du savon...) puis se retire en disant : "Bonne nuit, messieurs...". Personne ne semble s'émouvoir outre mesure de l'absence du SDF. Le lit est vide, il servira à un autre, c'est tout.

“ Errances urbaines ” recherche en ethnologie urbaine

Le travail est donc essentiellement axé sur le contrôle de l'individu : " Employer des éducateurs, c'est impossible parce que les veilleurs rentrent vers les 18 h 00. Ils viennent, ils dînent... Je ne vois pas comment des éducateurs pourraient venir parce que les SDF veulent à peine venir voir la Croix Rouge quand ils ont un problème de santé. C'est vraiment les gens les plus en difficulté que nous avons ici..." (entretien la "Mie de Pain").

Encore une fois, face à la difficulté que peut représenter le travail, les institutions valorisent une forme de contrôle répressif à toute autre forme de pratique qui pourrait présenter des risques et mettre en jeu l'équilibre de l'institution.

Les centres mettent en place un système de sanctions hiérarchisé qui a été souvent élaboré depuis longtemps mais qui continue à fonctionner et qui est la plupart du temps appliqué de façon arbitraire. Le centre N. Flamel possède le système le plus sophistiqué : " Il y a un système de sanctions qui date, qu'il faudra changer. Il y a des barèmes, par exemple, si on est absent un soir à l'appel, et qu'on n'a pas demandé la permission au directeur, on est exclu pendant un mois...". L'emploi de ce système de sanctions est à la discrétion du veilleur. L'expulsion, par exemple est la menace principale. Elle est utilisée de façon insidieuse par le personnel pour faire régner le calme dans le centre.

L'absence de politesse et le tutoiement de la part du veilleur (tant celui qui fait l'accueil que celui qui surveille) sont monnaie courante. Il est vrai que le vouvoiement est rare tant entre SDF qu'entre personnel et SDF, mais il est ici le signe d'une représentation évidente.

La pratique qui consiste à contrôler la population accueillie conduit inévitablement à l'assujettissement de celle-ci en l'obligeant à respecter les normes édictées par l'institution. Il n'existe donc plus d'espace pour discuter. La parole ne circule plus. L'asile de nuit induit donc un repli de l'individu sur lui-même. Cela a quelque chose d'infantilisant et induit une certaine forme de régression.

La soumission au règlement intérieur de l'établissement et à l'autorité des surveillants est une nécessité sous peine de renvoi immédiat. Le SDF ne retient donc qu'une chose des règles édictées par l'institution : leur non

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respect est passible de sanctions. Il n'y a pas de discussion possible, ce qui accroît leur sujétion et revient à les renvoyer au statut d'enfant.

Certaines institutions, comme la "Maison de Nanterre" ou le centre "N. Flamel", instaurent des différences entre les personnes hébergées (on a pu le voir plus haut) en améliorant notamment les conditions d'hébergement pour les plus "méritantes" d'entre elles. Là aussi, cette différence de traitement étroitement liée à un mérite ne favorise pas la responsabilisation de l'individu mais le conduit plutôt à adapter mécaniquement sa conduite aux normes imposées par l'institution.

Dans un tel système, le SDF semble symboliquement assimilé à l'impur. Il suffit pour cela d'observer le plan du centre N. Flamel (voir plan du centre) pour s'en rendre compte. La taille de la station de désinfection occupe une place importante par rapport à l'ensemble du centre, or, les besoins de désinfection ne semblent pas justifier un espace aussi grand a priori49.

Par leur aspect souvent crasseux, vétuste et décrépit, les locaux renvoient au SDF (mais aussi à celui qui l'accueille) une image de lui-même complètement dévalorisée. En outre, les structures sont la plupart du temps d'anciens locaux désaffectés dont la destination première n'avaient rien à voir avec l'usage qui en est aujourd'hui fait. Que peut-on dire d'un entrepôt frigorifique où sont entassés chaque soir une centaine de personnes, de baraquements implantés à la va-vite dans un espace isolé ? C'est comme nier la présence du SDF : puisqu'il n'existe rien pour lui, de clairement structuré, du même coup, lui-même n'existe pas. Il reste à la frange du système et finit par disparaître totalement.

Le personnel d'encadrement des centres d'hébergement véhicule une image du SDF qui tend souvent à considérer ce dernier comme un individu qui profite du système d'aide sociale. Les histoires colportées sont nombreuses : il y a celle du SDF qui se rend chez le dentiste et qui, pour rassurer ce dernier, lui montre un relevé de compte bancaire dont le dentiste dit qu'il aimerait bien avoir le même. Celle de celui qui garait "sa grosse Mercedes, le modèle le plus cher et le plus extraordinaire" dans la cour du

49 Le plan effectué par le personnel lui-même est intéressant: alors que les légendes sont toutes indiquées en caractères minuscules, seules celles qui concernent la station de désinfection le sont en caractères majuscules.

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centre d'hébergement N. Flamel... On peut se demander si cette pratique ne consiste pas à la fois, à se rassurer face à une population qu'on ne comprend pas, mais surtout, à justifier un mode de prise en charge institutionnel défaillant et obsolète et à considérer par conséquent, que la population accueillie ne mérite, de toute façon, pas mieux que ce qui est fait. A la représentation du SDF s'accordent les conditions d'hébergement.

LA DESOCIALISATION ET LA RECONSTITUTION D'UNE FORME DE

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