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Principales classifications psychiatriques

Nous l’avons vu, le paysage théorique de la psychiatrie infantile est complexe. Néanmoins trois principales classifications des troubles mentaux dominent aujourd’hui la scène de la psychiatrie mondiale : la Classification Internationale des Troubles mentaux et des Troubles

du Comportement de l’OMS (CIM / ICD), le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles mentaux (DSM, produit par l’Association de Psychiatrie Américaine [APA]), La Classification Officielle Française des Troubles Mentaux qui, elle, est beaucoup moins diffusées. Ces trois

nomenclatures n’ont pas évolué de manière indépendante et un effort de correspondance est fourni de part et d’autre. Cette interdépendance n’est pas pour autant symétrique et le sens des influences s’est modifié depuis les années 70. La Classification Française des

Troubles Mentaux étant rarement convoquée comme référence en matière d’hyperactivité109,

nous nous focaliserons essentiellement sur les deux autres classifications.

La Classification Internationale des Maladies (CIM-6), publiée par l’OMS, en 1952, comprend pour la première fois une section consacrée aux troubles mentaux. Cette section était inspirée par la nomenclature américaine élaborée par l’Administration des Vétérans de la seconde Guerre Mondiale dans le but de permettre la prise en charge des soldats

107Eisenberg L. 1964, « Role of Drugs in Treating Disturbed Children » Children, vol.1, n.5, 167-173. Notons au passage qu’Eisenberg et Conners défendaient dans une publication de 1962 le concept de « Minimal Brain Disorder » à propos des comportements d’inattention et d’agitation motrice.

108A propos de la dépression, voir Ehrenberg A., 1998, La fatigue d’être soi, Paris, O.Jacob ; Healy D., 2002 (1997) Le temps des antidépresseurs, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond, Seuil. « Les essais contrôlés et le monopole de la prescription accordée aux médecins ont donc puissamment renforcé les modèles catégoriels et médicaux de la maladie psychiatrique aux dépens de ses modèles dimensionnels » (Healy, 2002, 161).

109Il faut dire que dans la classification française, l’hyperkinésie, instabilité psycho-motrice, est placée sous la rubrique 6 des Troubles des fonctions instrumentales, qui regroupe les catégories secondaires ou complémentaires aux autres diagnostics, des catégories « sans références étio-pathogéniques ».

consultants en ambulatoire pour des troubles psychophysiologiques ou de la personnalité. « La CIM-6 (…) comprenait 10 catégories pour les psychoses, 9 pour les psychonévroses et 7 pour les troubles de la personnalité, du comportement et de l’intelligence » (Historique DSM-IV, XXIII). La même année (1952), le DMS-I est publié, en tant que variante de la CIM- 6, basé sur la perspective psychodynamique qui dominait à cette époque le champ de la psychiatrie américaine. Ce manuel « contenait un lexique avec les descriptions des catégories diagnostiques et a été le premier manuel officiel des troubles mentaux à se centrer sur l’utilité clinique. L’usage du terme réaction tout au long du DSM-I reflétait les opinions psychobiologiques d’Adolph Meyer qui pensait que les troubles mentaux représentaient les réactions de la personnalité à des facteurs psychologiques, sociaux, biologiques » (Historique DSM-IV, 1996 (FR), XXIV). Cette précision de l’APA confirme l’assertion énoncée plus haut à propos de l’hyperactivité infantile : au milieu du siècle, la psychiatrie américaine était dominée par une perspective psychodynamique110 qui triomphait

alors « sur l’ancienne nosologie institutionnelle à dominante organique » (Kirk & Kutchins, 1998111, 324).

Le DSM-I dénombrait 106 pathologies mentales. A notre connaissance, le syndrome hyperkinétique n’était pas recensé comme entité autonome dans le DSM-I qui d’ailleurs ne contenait pas de section spécifique aux troubles infantiles.

Alors qu’en 1966, l’OMS approuve la huitième édition de la CIM (qui entrera en vigueur en 1967), l’Association de Psychiatrie Américaine (APA) décide d’aligner sa nomenclature sur celle de l’OMS et remanie le DSM en publiant une deuxième version en 1968. Lors de l’élaboration de la deuxième version (DSM-II, 1968) le souci de coïncider avec la section sur les troubles de la santé mentale de la CIM (OMS) – qui contenait alors 163 troubles – a fortement influencé son élaboration et la réorganisation des catégories n’a donné lieu qu’à très peu de justifications de la part des experts (Kirk & Kutchins, 1998, 324)112. Cette

entreprise est restée confinée à une poignée de spécialistes (une dizaine de personnes) et n’a pas fait l’objet d’une grande publicité. Il faut dire qu’à cette époque ce type de manuel diagnostic et statistique avait une audience modeste, et était élaboré « pour refléter l’opinion des psychiatres, pas pour la produire. Il n’était pas conçu comme un instrument de changement » (Kirk & Kutchins, 1998, 326), ce qui sera précisément le projet de la refonte complète du DSM-III.

Jusqu’à la fin des années 60, ces classifications très générales qui encourageaient d’ailleurs les diagnostics multiples n’étaient pas d’un grand usage pour les cliniciens et ne constituaient pas un enjeu théorique majeur pour les psychiatres de l’époque113. Elles étaient

avant tout envisagées dans le but de développer la recherche épidémiologique114. Il faudra

110Voir Grob G.N. (1991) Origins of DSM-I : a study in appearance and reality. American Journal of Psychiatry, 148, (4),p. 421-431.

111Kirk, Kutchins, 1998, Aimez-vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrie américaine, Les empêcheurs de penser en rond, Seuil : Paris, 324.

112« La décision de lui donner un successeur, le DSM-II, était justifiée en premier lieu par la nécessité d’aligner la nosologie des Etats-Unis sur la Classification Internationale des Maladies (CIM) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (…) de sorte que (…) la CIM a fortement influencé la révision du DSM-I » « Selon les critères de l’époque, remanier le DSM-I constituait un processus relativement simple et confidentiel » (Kirk & Kutchins, 1998, 324).

113« En tant qu’ouvrage de référence mineur, le DSM-II n’avait que peu d’importance pour les cliniciens et ne constituait pas à leurs yeux un sujet de controverse » (Kirk & Kutchins, 1998, 327).

114L’épidémiologie : « est un raisonnement et une méthode propres au travail objectif en médecine et dans d’autres sciences de la santé, appliqués à la description des phénomènes de santé, à l’explication de leur étiologie et à la recherche des méthodes d’intervention les plus efficaces ». (Epidémiologie. Universalis).

L’épidémiologie descriptive est une branche de la médecine qui décrit la répartition des phénomènes morbides et leur variation dans le temps ou selon les contextes, en s’appuyant sur les lois de la statistique probabiliste. L’épidémiologie analytique formule des hypothèses étiologiques et dégage des facteurs de risque (Encyclopédie Universalis).

attendre que se développent des études épidémiologiques étendues visant par exemple à comparer de manière internationale les taux d’incidence pathologique, ainsi que la mise en place de procédures de contrôle et d’évaluation thérapeutique systématiques, pour que la référence à ce type de classifications se généralise. Quoiqu’il en soit, la deuxième version du DSM, conçue comme « une mise à jour et une réorganisation pragmatique des catégories plutôt que comme une refonte radicale » (Kirk & Kutchins, 1998, 325) diffère sensiblement de son prédécesseur sur les points suivants : d’une part, tout en restant fidèle à la tradition psychodynamique115, le terme de « réaction » est largement abandonné. « Ce retrait ne

devait pas être considéré comme une approbation de la manière kraepelinienne116 de

penser. L’intention du comité de l’APA était plutôt d’éviter l’emploi de termes suggérant une étiologie là où elle était encore douteuse » (Kirk & Kutchins, 1998, 325). D’autre part, le manuel encourage (ce qui ne sera plus le cas après) l’usage de diagnostics multiples pour un seul patient (Kirk & Kutchins, 1998, 61).

Parmi les 182 catégories retenues dans la deuxième version du DSM117 qui ne contient pas

encore de section spécifique aux troubles de l’enfance, on trouve une rubrique intitulée « désordres du comportement chez l’enfant ». Si le terme de réaction est largement abandonné dans cette classification118, il subsiste dans la dénomination du syndrome qui

nous intéresse : « The hyperkinetic reaction of childhood ». Ce manuel reprend à son compte les conclusions de la Conférence de Consensus organisée par le NIM de 1966 qui distinguaient deux catégories basées sur une étiologie présumée différente, bien que présentant la même symptomatologie. Ainsi on trouve dans le DSM-II : le terme

d’Hyperkinetic reaction of childhood réservé aux symptômes d’origine psychologique et celui

de Minimal Brain Dysfunction pour le syndrome supposé d’origine organique. La symptomatologie de ce dernier est équivalente à celle de l’Hyperkinetic reaction et même si le déficit d’attention n’apparaît pas dans l’intitulé, il est d’ores et déjà précisé que les enfants peuvent faire preuve de « normoactivity or hypoactivity » et pas seulement d’hyperkinésie. Le lien entre les deux dimensions symptomatiques du syndrome est entériné dans ce manuel : d’un côté l’hyperactivité, l’agitation et la distraction ; de l’autre la faible capacité attention. Le DSM-II précise que ce tableau clinique peut diminuer avec l’âge119.

A cette époque, il faut le répéter, le DSM n’était pas aussi diffusé que ne le sera le DSM-III et ses versions suivantes. Il ne constituait pas encore une référence centrale pour les praticiens de la santé mentale, ni le guide diagnostic par excellence des prescripteurs de psychotropes. Sa mise en place poursuivait plus une visée épidémiologique qu’un usage clinique. Entre 1968 et 1980 – date de publication du DSM-III - de nombreuses études sont effectuées, de

115En témoigne l’usage de la notion de névrose que le DSM-II divise en 10 catégories distinctes : Névrose d’angoisse ; névrose hystérique, type dissociatif ; névrose hystérique, type conversion ; névrose phobique ; névrose obsessionnelle compulsive ; névrose dépressive ; névrose neurasthénique ; névrose de dépersonnalisation ; névrose hypocondriaque ; autres névroses ; névroses non spécifiées. Alors qu’en France, à cette époque, les névroses se déclinent sous trois rubriques : névrose hystérique, névrose phobique, névrose obsessionnelle. (voir note de bas de page dans: Chiland C., L’enfant de six ans et son avenir. Etude psychopathologique, PUF : Paris, 1971, 162).

116 Emil Kraepelin est un psychiatre allemand (1856-1926), qui « a marqué profondément la psychiatrie européenne en imposant une classification nosologique des maladies mentales ». Le système d’enfermement kraepelien a gardé la réputation de son caractère répressif, ses conceptions purement organicistes, voire anatomiques, excluent les éléments relationnels et la recherche d’une éventuelle signification intersubjective du symptôme. Kraepelin est considéré comme le dernier représentant d’une psychiatrie essentiellement médicale et normative (Universalis, Kraepelin).

117Le DSM-II (1968) comprend 150 pages et était à l’époque vendu 3,5 dollars. Cette remarque se doit d’être mise en perspective avec le DSM-IV, publié 26 ans plus tard, qui comprend un milliers de pages et coûte environ 90 dollars.

118L’éviction d’une conception « réactive » de la pathologie mentale n’est de loin pas anodine : elle autorise l’isolement des syndromes, ainsi que leur description en termes d’état (non de processus dynamique et relationnel). Elle met le contexte d’expression des symptômes entre parenthèse, et enfoui dans les profondeurs de l’impensé les facteurs sociaux et interactifs en jeu dans la définition de l’inadaptation.

moins en moins focalisées sur l’étiologie des troubles du comportements et de plus en plus sur l’évaluation des effets des médicaments. Critiqué pour son manque de fiabilité120, et

n’étant défendue par aucune autorité scientifique, le DSM-II a laissé le champ libre à la constitution d’un groupe de travail sous l’égide de l’APA121, au milieu des années 70, mû par

la volonté d’innover et d’uniformiser les références diagnostiques, dans le but de maximiser les possibilités de recherches. L’Association de Psychiatrie Américaine amorce durant cette période un tournant déterminant dans l’histoire de la psychiatrie contemporaine. La refonte complète du DSM poursuit une visée scientifique et politique qu’il est important de saisir car c’est à partir des années 80 et dans ce cadre théorique que la catégorie de l’hyperactivité infantile va désormais prendre racine.

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