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Ces exemples montrent que des divergences internationales importantes se dessinent au cours des années 60-70 concernant les conceptualisations diagnostiques et les traitements médicamenteux en psychiatrie infantile ; divergences qui bougeront dans le temps au gré

269Il évoque : La névrose infantile et le syndrome obsessivo-compulsionnel qui peuvent être amélioré par une psychothérapie d’inspiration analytique. « Une thérapeutique médicamenteuse du type tranquillisant, ou du type antidépresseur, employée avec précautions (telle que la propéritiazine dont l’action a été décrite chez les obsédés adultes), mérite d’être utilisée » (Manuel de Psychiatrie de l’enfant, Masson, Paris, 1970, 681). Lorsqu’il évoque l’évolution et le traitement de l’hystérie (organisations névrotiques chez l’enfant) : « Les thérapeutiques sont extrêmement variées (…) L’isolement, en modifiant le mode de relations interpersonnelles et en réduisant les bénéfices secondaires, suffit parfois à faire disparaître le symptôme. La suggestion (…) ou la suggestion sous amphétamine intraveineuse donnent d’excellents résultats. Les méthodes de déconditionnement utilisées par l’école anglo-saxonne de l’apprentissage méritent d’être appliqueés dans les cas de longues durées où il existe une habitude hystérique. » (Ibid. 696).

des découvertes médicamenteuses et des intérêts pharmaceutiques nationaux271. Dès la

mise sur le marché de la Ritaline, c’est aux Etats-Unis que le gros de ses ventes s’effectue. L’Amérique acquiert donc une expérience bien plus importante que l’Europe en matière de consommation infantile de stimulants qui fait d’elle un terrain incontournable pour qui cherche à expliquer la sociogenèse de ce traitement médicamenteux. La refonte du DSM, par l’Association de Psychiatrie Américaine, participe au développement de l’indication du

Méthylphénidate pour l’hyperactivité infantile. Le processus de superposition de l’usage d’un

médicament (et ses effets sur les comportements) et d’une entité diagnostique de plus en plus précisément élaborée s’est principalement effectué aux Etats-Unis avant d’être importé au cours des années 90 en Europe. Ces divergences d’administration de psychotropes selon les pays contribuent au développement de traditions politiques et culturelles en matière de rapport aux médicaments ou de prescription. Comparée aux Etats-Unis, la France passe pour un pays « anti-stimulants ». De plus, comme le dit Healy, « outre les variations entre pays dans l’identification des maladies et la disponibilité des traitements, il existe des différences importantes au sein d’un même pays dans le choix de tel ou tel traitement » (Healy, 2002, 168). A ces différences nationales s’ajoutent en effet des différences d’écoles psychiatriques auxquelles se réfèrent les praticiens. Les thérapeutes d’orientation psychanalytiques sont plus réticents à l’approche chimiothérapeutiques que les autres thérapeutes (Epelbaum 1993, p.537)272.

L’Europe se montre quoiqu’il en soit beaucoup plus frileuse ou rigoureuse sur l’usage des psychostimulants. Le Dr Messerchmitt en France avoue que ses initiatives étaient à l’époque « risquées » :

« J'ai utilisé Ritaline(r) depuis 1979, en tant que chef de clinique en psychiatrie, puis en tant que plein temps hospitalier, spécialiste en pédopsychiatrie. J'ai fait mon mémoire de psychiatrie sur l'"hyperactivité motrice " en 1980. A cette époque, c'était risqué ! » [A.N.A.E.96. Messerschmitt : 90].

En France, les cas sévères d’hyperkinésie était plutôt traités par neuroleptiques. C’est une véritable tradition de consommation de psychostimulant qui – comparativement à d’autres pays occidentaux – se dessine outre-atlantique. Le risque de dépendance qui menace la consommation des psychostimulants modère leur prescription auprès des enfants en France. Une enquête de B. Massari (1984)273 confirme la place limitée que les

pédopsychiatres réservent à la prescription médicamenteuse. Il apparaît, par exemple, qu’« en cas d’instabilité psychomotrice, 87 % des praticiens ne prescrivent jamais ou rarement des psychotropes (…) ce qui introduit une différence par rapport à la pratique des Anglo-Saxons » (Epelbaum,1993, p.537), relate C. Epelbaum dans un chapitre consacré à « la place des psychotropes en psychiatrique infantile »274. Rappelons que les chiffres

rapportés ici datent d’une enquête effectuée en 1984, et que de manière générale, le rapport aux produits pharmaceutiques s’est modifié ces 20 dernières années275. Quoiqu’il en soit, en

271Si les Américains un rapport presque traditionnel aux stimulants, les Français, eux, auront une consommation beaucoup plus élevée de neuroleptiques.

272 La signification du trouble psychiatrique chez l’enfant est généralement reconnue comme ambiguë ; son origine mettant en jeu des facteurs somatiques, développementaux et environnementaux, la majorité des praticiens français abordent la question thérapeutique de manière multidimensionnel (psychothérapies individuelles ou de groupes, éducatives, familiale). « La thérapeutique médicamenteuse dois alors trouver sa place à la fois sur un plan « spatial » et chronologique, au sein d’un dispositif pertinent » (C.Epelbaum, 1993, p. 537). L’auteur semble déplorer que l’approche chimiothérapeutique soit trop souvent décriée par les thérapeutes d’orientation psychanalytique et elle rappelle que « la mise sous traitement médicamenteux peut permettre l’atténuation d’une symptomatologie bloquant la mise en mots de la souffrance psychique, nécessaire au démarrage d’un abord psychothérapique » (C.Epelbaum, 1993, p. 537).

273Massari B. « La prescription de psychotropes en psychiatrie de l’enfant », in Enfance Adolescence, 1984 32 (9) : 433-441.

274 Epelbaum C. « La place des psychotropes en psychiatrie infantile, in La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (ss dir. Epelbaum), 1993.

275 Selon des études, à la fin des années 80, en France, 15 % des enfants reçoivent des psychotropes (beaucoup pour des troubles du sommeil : " 16,4 % des nourissons reçoivent plus ou moins régulièrement des

février 2000, un rapport de l’OICS constate que les divergences internationales perdurent, et que l’usage d’amphétamines continue d’augmenter aux USA :

Les Européens restent de grands consommateurs de sédatifs et d'hypnotiques; les Américains demeurent les principaux utilisateurs de stimulants [14]. (…) L'OICS, qui contrôle régulièrement la consommation de ces substances au niveau mondial, souligne qu'en Amérique du Nord la consommation par habitant d'amphétamines et d'autres stimulants du système nerveux central est la plus élevée au monde, tandis que l'Europe détient le record de la consommation de sédatifs et d'hypnotiques de type benzodiazépine. [19] (…) Au cours des dernières décennies, l'usage d'amphétamines à des fins thérapeutiques est devenu rare et, par conséquent, presque tous les pays du monde signalent une baisse de l'usage médical de ces substances. Tel n'est pas le cas des Etats-Unis, où l'usage médical de dexamphétamine et d'amphétamine a fortement augmenté au cours de la dernière décennie. Selon l'OICS, la consommation d'amphétamines aux États-Unis est plus de dix fois supérieure à celle des pays européens en termes de doses quotidiennes moyennes. [21-22] (…) Les variations considérables de l'usage de ces substances d'un pays ou d'une région à l'autre restent inexpliquées mais pourraient être dues à des différences culturelles, selon l'OICS. [Rapport annuel de l'OICS. Nations Unies. Service d'information. 23 février 2000. Consommation de substances psychotropes: 33]

Meyers, auteur d’un ouvrage sur l’Histoire des médicaments de l’esprit (1985) explique que ces différences internationales sont liées au rôle joué par les pays respectifs dans la découverte de ces molécules.

« L'Amérique n'a joué aucun rôle dans la découverte des neuroleptiques, ce qui explique la tiédeur de ses psychopharmacologues vis-à-vis de la terminologie européenne » (108). [Hist.Medic.Esprit. Meyers.85: 83]

Cette explication que l’on retrouve en partie dans l’ouvrage de Healy sur l’histoire des antidépresseurs276 n’est pas suffisante car la Suisse, pays producteur de la Ritaline,

entretient vis-à-vis de ce psychostimulant un rapport plus modéré que les Etats-Unis, même si elle tend depuis peu à se rapprocher de la politique thérapeutique américaine.

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