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Le recours à la Ritaline commence généralement par un essai, sur un mois, qui permet d’apprécier les effets sur l’enfant et son entourage (parfois quelques changements de dosage sont nécessaires). Rapidement convaincus par l’utilité d’une telle molécule du fait de l’amélioration des interactions au quotidien, parents, médecins et enseignants se mettent d’accord sur les modalités et la durée de traitement. Presque immédiatement après sa prise et pendant quelques heures, l’effet de cette pilule est facilement appréciable et la vie peut se ré-organiser autour de cette prescription, de même que les négociations familles – écoles.

« Durant l'essai, la médication est conseillée le week-end, pour que les parents puissent apprécier l'effet du médicament "Lorsque le Ritalin est efficace, les effets se manifestent clairement“. » (Dr Claude Desjardins. "Ces enfants qui bougent trop. Déficit d'attention-hyperactivité chez l'enfant". Quebecor. Quebec. 1992. [278])

« La première prescription sera faite pour une durée d’observation de une à deux semaines, en période scolaire « de croisière ». Les parents devront donner également une ou deux doses à domicile, le mercredi ou le week-end, afin de pouvoir juger eux aussi de l’effet bénéfique et des éventuels effets secondaires, sinon ils risquent de ne voir l’enfant qu’au moment du retour de l’école, lorsque le médicament n’agit plus, et d’avoir l’impression que rien n’a changé ou que les choses sont encore pires. La décision de poursuivre ou non le traitement sera prise après avoir recueilli l’avis des enseignants et des thérapeutes. En cas de poursuite, le nombre de doses sera adapté à l’horaire scolaire et aux autres activités. » (Haenggeli C.-H., 2002, Toby et Lucy, deux enfants hyperactifs, Genève, Ed. Georg, 83). L’année scolaire devient souvent l’horizon de la médication et de renouvellement en renouvellement, il est fréquent que le traitement se prolonge durant plusieurs années327. Or,

au-delà de 14 mois, il n’existe aucune étude longitudinale sur l’efficacité du traitement à long terme et ses effets secondaires.

« Il semble à première vue que les traitements entamés à 8–11 ans ne se poursuivent pas très longtemps. (…) Toutefois, le manque de recul ne permet pas encore de tirer de conclusion définitive à ce sujet » (poursuite du traitement à l’adolescence). [Bulletin 15 de l’OFSP. 8 avril 2002. 282. pp. 284-290.]

Children do not usually grow out of attention deficit hyperactivity disorder by puberty and treatment is indicated for as long as benefit is obtained. About 60% of sufferers still have the condition in adulthood. [British.Medic.Journ.05.98 : 70 ]

« there is no information on long-term treatment (treatment lasting more than 1 year), which is indicated in this persistent disorder (…) Although little information exists concerning the long-term effects of psychostimulants, there is no conclusive evidence that careful therapeutic use is harmful ». (NIH

326L’âge de prescription de la Ritaline est officiellement fixé à 6 ans. Cette limite formelle autorisée par les instances de contrôle des stupéfiants n’empêche pas que des essais continuent d’être effectués sur des enfants plus jeunes ou que des médecins contournent cette prohibition.

327« En choisissant parmi une liste de catégories, plus des trois quarts de tous les médecins ont dit que les patients souffrant de THADA ont tendance à continuer de prendre du MPH pendant une période moyenne de un à cinq ans ». [Enquête sur le THADA .Santé Canada. Usage du MPH. 20.08.1999. " Enquête sur le THADA, Diagnostic et traitement au MPH chez les médecins canadiens ". [65]]

" En l'absence d'études, la durée optimale de traitement n'est pas établie.". [Revue Prescrire. Juin. 97 /tome 17. N.174, p.391-396. " Nouveautés en ambulatoire. Méthylphénidate". [106]]

« Consensus Statements. NIH Consensus Development Program : 110. Diagnosis and Treatment of Attention Deficit Hyperactivity Disorder », Nov. 1998, USA).

Lorsqu’une inquiétude émerge à propos de la durée du traitement, la réponse systématiquement rassurante des spécialistes insiste sur les thérapies comportementales associées, la sécurité et les bénéfices du médicament. Ainsi, la durée optimale de traitement n’est pas établie, mais elle s’est considérablement prolongée depuis que l’on a abandonné l’explication en termes d’effet paradoxal de l’action du médicament, et depuis que le déficit d’attention (qui perdure plus longtemps que l’agitation motrice) a été placé au premier plan du syndrome.

« On estime que 1,5 million d'enfants /an ou 2,8 % de la population d'âge scolaire aux Etats-Unis sont traités par un médicament stimulant. La plupart d'entre eux ont entre 5-12 ans, mais récemment la prescription de stimulants pour adolescents et adultes a augmenté ». [C.C. Menache, D.K. Urion et Ch.A. Haenggeli, “ Hyperactivité avec déficit de l’attention : point de vue du neuropédiatre ”, Médecine & Hygiène, Genève, 20 octobre 1999, 1994-2001]

Ainsi, le diagnostic du trouble de l’hyperactivité et son traitement sont de moins en moins présenté comme étant spécifique à l’enfance et tend à se péréniser. D’un côté, nombreux sont ceux qui estiment que l’hyperactivité ne se prolongerait à l’âge adulte que dans un tiers des cas328 ; d’un autre côté, des études récentes défendent la persistance du trouble chez

l’adulte, malgré une diminution des symptômes visibles (les symptômes d’hyperactivité motrice tendraient à s’atténuer avec le temps, mais pas ceux d’inattention et d’impulsivité). La fluctuation de ces pronostics et l’enjeu de leur argumentation semblent étroitement liés à la justification de la prise en charge médicamenteuse des enfants. Si le trouble s’atténue effectivement au fil du temps dans la majorité des cas, il est légitime de se demander (ce que font les opposants à la médication) si la prescription d’un dérivé d’amphétamine aux enfants est vraiment nécessaire, compte-tenu de l’incertitude sur les effets à long terme de la consommation de tels psychotropes. A l’inverse, l’argument de la chronicité du trouble - même si les symptômes sont moins apparents chez l’adulte - justifie à la fois la chimiothérapie précoce et la priorité qui a été redonnée aux symptômes d’inattention dans la définition de l’entité nosologique. En effet, alors que la plupart des spécialistes admettent qu’avec le temps les symptômes d’agitation motrice et d’impulsivité diminuent, ceux d’inattention, eux, peuvent persister à l’adolescence et à l’âge adulte. Ainsi, puisqu’il améliore la concentration, un psychostimulant comme la Ritaline peut de nos jours être prescrit à long terme, et à l’âge adulte. D’ailleurs on assiste, aux Etats-Unis, et plus récemment dans une ville comme Genève, à l’émergence d’associations d’adultes hyperactifs.

« qu’est-ce que devient un enfant hyperactif à l’âge d’adulte ? Alors ça c’est quelque chose qui a beaucoup changé ces dernières années. Autrefois on disait toujours : bon c’était une affection qui dure pendant quelques années, qui s’estompe gentiment vers l’âge de la puberté, tout rentre dans l’ordre et tout va bien. Alors on s’est aperçu que c’était tout faux, malheureusement c’est tout faux, parce que au fond ce qui se passait, c’est que les enfants à l’âge de la puberté, de l’adolescence, ils ne vont plus chez le médecin, donc le pédiatre qui les suivait ne les voit plus et ne les voyant plus, ils disaient : « ah ben tout va bien, je ne le vois plus », mais c’est pas pour ça qu’il est guéris / pas guéris (rires légers). Alors il y a maintenant, puisque ça fait à peu près 40 ans qu’ont débuté les études prospectives aux Etats-Unis, donc on connaît le follow up… » [RSR, Haenggeli, 29.09.02]

« on s’est aperçu que le traitement est un traitement à long terme et on s’est aperçu qu’il y avait justement des jeunes adultes qui avaient les mêmes problèmes et qui des fois tournent mal, donc il y a aussi une poursuite de la médication ». [Haenggeli, RSR. 29.09.02]

328La comparaison entre les deux dernières versions du DSM (datant respectivement de 1987 et 1994) montre que l’affirmation :« dans la majorité des cas, des manifestations du troubles persistent tout au long de la vie adulte » a été remplacé par un pronostic plus mitigé : « la plupart du temps, les symptômes s’atténuent ensuite, à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte ». Par ailleurs, la projection du manuel III-R, selon laquelle les personnes atteintes de THADA présentent à l’âge adulte « une personnalité antisociale », est supprimée dans le DSM-IV. Il semble, malgré ce revirement ponctuel, que les études récentes menées au sein de l’Association de Psychiatrie Américaine, se présentent comme moins optimiste sur le devenir des hyperactifs.

En plus de l’explication avancée par ce neuropédiatre qui affirme que les adolescents et adultes TDAH n’ont pas augmenté, mais qu’ils sont simplement devenus plus visibles, plusieurs raisons peuvent expliquer cette tendance de plus en plus répandue à diagnostiquer la pathologie chez les gens plus âgés (donc à la pérenniser). La première, c’est que lors du diagnostic de leur enfant, bon nombre de parents se reconnaissent a postériori comme ayant souffert ou souffrant encore des mêmes symptômes et sont diagnostiqués sur le tard ; la seconde, c’est que les enfants diagnostiqués il y a quelques décennies sont devenus adultes et il arrive que certains continuent à éprouver certains symptômes, à consulter pour cela et à les interpréter en termes de pathologie. La troisième tient au fait que la définition officielle du TDAH s’est élargie pour que les adultes puissent se reconnaître (notamment dans le sous- type : déficit d’attention sans hyperactivité). Ces différents éléments, en plus de l’abandon de l’effet paradoxal du médicament, concourent à la chronicisation de la pathologie et à la prolongation du traitement indiqué.

" In fact, only recently have there been reports on the treatment of adult residual ADD. In these cases, treatment has been based on experience in child psychiatry with psychostimulants (e.g. methylphenidate, pemoline, and amphetamines) that have proven to be effective. Claims that the effects of psychostimulants in children are paradoxical and do not apply to adults are spurious " (p.318) [P.G. Janicak, Handbook of psychopharmacotherapy, Lippincott Williams &Wilkins, Philadelphia, 1999. 109]

L’industrie productrice de Ritaline se réjouit d’ailleurs de constater que le spectre d’indication de ce produit s’élargit remarquablement.

« Ce qui est particulièrement remarquable avec Ritaline, est qu'il a été possible d'élargir son spectre d'indications au cours des ans. Certes, le stimulant est toujours employé avec succès chez les enfants et adolescents atteints de THADA, mais il occupe aussi maintenant une place solide dans la psychiatrie de l'adulte. Car l'hypothèse selon laquelle le THADA disparaît en règle générale après la puberté, est maintenant battue en brèche. Chez l'adulte, l'hyperactivité est moins au premier plan, elle est souvent remplacée par une impulsivité - et la persistance des déficits de l'attention. Et de tels patients profitent également d'un traitement par stimulants. » [Renate Weber, « L’histoire de Ritalin», Life Science, Novartis, n.2/2000, 9]

Cet empressement semble bien éloigné de la réserve dont faisait mine le président de Ciba- Geigy, quelques années auparavant. Qui tentait de circonscrire à coup d’arguments culturels le succès de la Ritaline sur le sol américain et promettait d’être vigilant quand à l’expansion de la population concernée.

" mais je (président de Ciba-Geigy) suis confiant : en aucun cas nous n'observerons une situation à l'américaine. Celle-ci est due à des éléments socio-culturels qui nous sont étrangers. Pour notre part, nous avons souhaité un encadrement très strict de cette substance et nous n'envisageons nullement un accroissement massif des ventes " car " nous souhaitons que les indications médicales de son usage soient totalement respectée, ce qui réduit les prescriptions aux seuls cas graves dont le nombre est limité." [Le monde.15.09.95 : 56]

Si l’on compare diachroniquement les indications officielles fournies par le Compendium des médicaments, on constate que les premières versions de ce manuel ne contenaient pratiquement aucune information concernant la durée du traitement, sinon qu’un traitement prolongé était toléré pour les enfants présentant un « minimal brain dysfunction ». De 1991 à 1999, le traitement à long terme est évoqué, mais avec la précision que « nous ne disposons pas de données complètes sur la sécurité et l’efficacité » de la Ritaline sur une longue durée. Le manuel conseille dès lors un suivi attentif (notamment sanguin) « des patients traités au long cours » (Compendium, 1994, 1426).

Dans la rubrique « mode d’emploi » pour la Ritaline, le Compendium précise que l’on peut : « interrompre périodiquement la médication pour évaluer l’état de l’enfant » et enjoint : « Il ne faut pas prévoir un traitement illimité ; généralement on peut arrêter la médication pendant ou après la puberté ». Si ces indications de posologie subsistent toujours, dans les dernières versions du Compendium, et bien que le compendium n’ait pas intégré (pour le moment en tout cas) l’indication du méthylphénidate pour le déficit d’attention chez l’adulte, depuis

l’édition 2000 (qui concerne la nouvelle formule retard de la Ritaline) une précision a été apportée, qui autorise une prolongation du traitement « au-delà de la puberté » : « Des troubles hyperkinétiques peuvent toutefois subsister à l’âge adulte ; un traitement avec Ritaline® /-SR peut donc se prolonger au-delà de la puberté » (Compendium 2000, Documed : 2151).

Certains neurologues et de nouvelles associations d’adultes hyperactifs relaient médiatiquement cette possibilité d’un traitement à la Ritaline à l’intention d’adultes DA/H. Ces éléments indiquent donc clairement que depuis quelques années, le syndrome est sur la voie de la chronicisation. Alors qu’il était plutôt admis auparavant que les symptômes s’amélioraient d’eux-mêmes avec l’âge, aujourd’hui les spécialistes pronostiquent plutôt que certains symptômes diminuent effectivement mais que d’autres – tout aussi important dès

lors ?- persistent. Ainsi même si la pathologie change de forme avec l’évolution normale de

l’individu, et que les symptômes jugés problématiques s’atténuent, d’autres subsistent pouvant altérer la vie de l’adolescent ou de l’adulte et justifient donc un traitement durable.

« une certaine impulsivité, c’est-à-dire des décisions hâtives, des coups de gueule alors que c’était pas nécessaire, une réaction démesurée à une peccadille avec quand même des conséquences importantes, claquer la porte à son patron pour un petit truc, bon c’est vrai que ça crée des ennuis, donc ils prennent des décisions hâtives un peu: « je fais puis ensuite je réfléchis », qu’ils regrettent. Donc cette impulsivité reste souvent et peu embêter et empoisonner la vie et comme ça a des répercussions sur l’entourage, il s’ensuit très souvent un état dépressif, donc là, pour un tiers, on recommande / j’ai pas d’expérience personnelle là, parce que je m’occupe que des enfants, on recommande en général la poursuite d’un traitement / d’un soutien psy, d’un traitement antidépresseur souvent et d’un traitement éventuellement même de Ritaline et compagnie qui se poursuit. Donc (le pronostic) c’est moins rose que ce qu’on croyait. » [Haenggeli, RSR. 29.09.02]

Cette nouvelle version pronostique ne permet plus aux sceptiques de la médication d’attendre simplement que les choses s’améliorent d’elles-mêmes avec l’âge ou l’éducation, ni d’ailleurs aux détracteurs de reprocher aux prescripteurs de Ritaline de tabler sur une anticipation abusive de l’évolution de la pathologie dont on estimait qu’elle disparaissait naturellement dans les 2/3 des cas. La chronicisation du trouble désarme désormais la critique d’une « chimiothérapie préventive ».

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