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L’étude de 1975 effectuée par Rutter sous l’égide de l’OMS est révélatrice de la coordination qui se tisse entre l’APA et l’OMS (nous l’avons vu plus haut) mais également des questionnements de l’époque, notamment à propos de l’hyperactivité infantile. C’est en effet sur les conseils de Rutter et ses collègues165 que la CIM-9 (1975) intégrera une section

spécifique consacrée aux troubles psychologiques de l’enfant, arguant que la rubrique (308) « troubles du comportement chez l’enfant » de la CIM-8 (1967) était trop vague et méritait une différenciation plus poussée166, en fonction des groupements des symptômes, de la

164On l’a vu plus haut, Kirk & Kutchins décrivent quelques « exemples de l’exclusion, hors du Groupe de travail du DSM-III et de ses sous-comité, des psychanalystes, des minorités et des autres participants potentiels qui auraient pu y faire pénétrer des points de vue différents (…). Bien que le DSM-III aligne des centaines de noms de collaborateurs, le contrôle minutieux de leur mode de participation a fortement influencé le produit final » (1998, 173).

165Rutter M., Shaffer D., Shepherd M., 1975, Classification multi-axiale des troubles psychiatriques de l'enfant évaluation d'une proposition. OMS. Genève. 1975. [13] Voir également Rutter M. et al. " A tri-axial classification of mental disorders in childhood. J. of Child Psychology and Psychiatry and Allied Disciplines, 10. 41-61. 1969). Rutter M. qui est mandaté par l’OMS pour ces travaux est membre de l’Association de Psychiatrie Américaine. 166« La majorité des psychopathologies infantiles (58 % dans notre étude) ont été réunies sous le numéro 308 (trouble du comportement chez l'enfant). Cette rubrique est particulièrement défectueuse car elle ne permet pas de distinguer entre des troubles qui ne se ressemblent ni par la symptomatologie ni par la pathogénie ni par leur mode de terminaison (…) Elle [la rubrique 308] est également peu satisfaisante du fait que les termes d'inclusion

répartition selon le sexe, de la réponse aux traitements167, du pronostic, de la situation

environnementale (Rutter & al. 1975, 68). On peut lire, par exemple, dans ce rapport le regret du fait que la CIM-8 « ne permet pas de distinguer (...le) "syndrome hyperkinétique" qui est inclus dans le code 308 embrassant tous les " troubles du comportement" de l'enfant » (Rutter & al. 1975, 63). Rutter propose de sortir le trouble hyperkinétique de la rubrique troubles du comportement pour le placer sous la catégorie des troubles du

développement et suggère de réserver un code particulier pour ce trouble. La discussion sur

l’isolement de cette entité diagnostique et sa dénomination entraîne une concertation à propos de l’importance et de l’articulation des symptômes constitutifs de ce syndrome, sur laquelle il est intéressant de se pencher, parce qu’elle annonce des tendances qui ne cesseront de s’accentuer depuis 25 ans.

Arguant que le déficit d’attention est un symptôme plus durable que l’hyperkinésie (l’agitation motrice) qui, elle, diminue fréquemment avec l’âge, Rutter rappelle le caractère central du déficit d’attention et regrette que ce symptôme n’apparaisse pas dans la dénomination du trouble.

« L'inclusion d'un code réservé au syndrome " hyperkinétique " a généralement été estimée utile. Cependant, son nom et sa définition soulèvent tous deux des difficultés. L'hyperkinésie figure habituellement dans la dénomination de cette affection, mais l’on sait que la suractivité observée chez le jeune enfant diminue fréquemment avec l'âge et peut être remplacée par une sous-activité à l'adolescence. En conséquence, il semble nécessaire d'éviter que l'hyperactivité constitue un élément essentiel de la définition. (…) La difficulté de fournir une attention prolongée et la distractibilité semblent moins spécifiquement liées à l'âge, et certains participants ont estimé que ces caractères pourraient en dernière analyse s'avérer être les éléments centraux de cet état » (Rutter & al. 1975, 70).

Le pronostic du trouble et la durabilité des symptômes interviennent comme critères de définition et annoncent une tendance sur laquelle nous reviendrons qui tend à chroniciser le trouble.

Après avoir suggéré un changement de label, les auteurs de ce rapport reconnaissent qu’il est « peu souhaitable à ce stade de changer le nom de l’affection » (ibid.), mais revendiquent une subdivision en 2 types : « une forme hyperactive et une autre forme » (ibid.). La CIM-9 (1975) intégrera finalement sous le code 314 : Syndrome d’instabilité de l’enfance (syndrome

hyperkinétique de l’enfance) des sous-types plutôt liés à la comorbidité qu’à l’articulation des

symptômes : 314.0 Perturbation simple de l’activité et de l’attention, 314.1 Instabilité avec

retard du développement, 314.2 Troubles de la conduite liés à l’instabilité, 314.8 Autres,

314.9 Sans précision. Il faudra attendre la CIM-9-MC de 1979168, pour voir apparaître

clairement la distinction symptomatologique : 314.0 Trouble déficitaire de l’attention : 314.00,

Sans mention d’hyperactivité, et 314.01 Avec hyperactivité (les autres sous-codes ne

changent pas).

L’évocation de problèmes de comorbidité qui s’ensuit dans le rapport de Rutter cherche à justifier l’isolement et le fait de ranger le syndrome d’hyperkinésie sous la rubrique des

troubles du développement. L’idée de placer l’hyperactivité sous la catégorie des syndromes cérébraux organiques non psychotiques ou de l’englober avec d’autres troubles du

comprennent des sujets tels que la "masturbation", que la plupart des pédo-psychiatres considèrent comme normale et dénuée de toute importance psychiatrique » (Rutter & al. 1975, 63). Dans la CIM-8, organisée selon 3 grandes rubriques : les “psychoses“ (290-299), les “névroses“, et les “troubles de la personnalité et autres troubles mentaux non psychotiques“ (300-309), “l’arriération mentale“ (310-315) et les “Troubles du comportement chez l’enfant“ sont classés sous la rubrique des névroses.

167Les dispositifs thérapeutiques jouent un rôle dans le classement des pathologies en témoigne la remarque suivante qui cherche à justifier une séparation des entités diagnostiques : "si ce codage (autisme sous schizophrénie) a pu correspondre autrefois à la pratique clinique, il n'en est plus ainsi en raison du fait que ces deux états sont totalement distincts" (Rutter & al. 1975, 64)

168Classification Internationale des Maladies, Modification Clinique, Neuvième Révision (CIM-9-MC), Genève, Commission sur les activités professionnelles et hospitalières, E.Bros, A. Arbor.

développement fréquemment associés (des difficultés de parole, de langage, d’activité motrice et de perception) est écartée car « beaucoup d’enfants hyperkinétiques ne présentent pas de retard du développement ni d'atteinte cérébrale organique, et pour cette raison, l'une et l'autre alternative ont paru inadmissible. » (Rutter & al. 1975, 71). « Une autre possibilité serait de classer l'affection avec les troubles de la conduite, parce que de telles perturbations accompagnent fréquemment l'hyperkinésie. Mais cette combinaison, elle aussi, est loin d'être universelle et en raison des éléments organiques et des facteurs liés au développement que l'on trouve associés chez de nombreux enfants hyperkinétiques, elle a semblé suffisamment différente des autres troubles de la conduite pour ne pas trouver sa place ici. » (Ibid.). Finalement, comparé à son prédécesseur, la CIM-9 intégrera une dizaine de nouvelles catégories diagnostiques (à 3 chiffres) dont quelques une pouvant concerner l’enfance comme les Psychoses spécifiques de l’enfance (code 299), Troubles de

l’adaptation (309), Troubles de l’affectivité spécifiques de l’enfance et de l’adolescence

(313), les Retards spécifiques du développement (315), le Syndrome d’instabilité de

l’enfance (314). Ce dernier fait partie des troubles « considérablement remanié » de la

classification169.

La classification issue de la Conférence de Consensus de 1966, qui distinguait le trouble d’origine organique du trouble d’origine psychologique (le Minimal Brain Dysfunction [MBD] d’un côté, et l’hyperkinétic reaction) est dissipée dans le rapport de Rutter, du fait de la difficulté à répondre à cette différence étiologique. La remarque ci-dessous est révélatrice du tournant théorique évoqué plus haut à propos de l’APA, qui consiste à écarter la réflexion sur l’étiologie des troubles comme critère de classification.

« Une autre solution consisterait à distinguer les troubles de l'hyperkinésie selon qu'ils sont ou non dus à des lésions organiques cérébrales. Toutefois cette distinction ne saurait être sûre, et la question n'est pas résolue de savoir jusqu'à quel point les variétés "organiques" et "autres" du trouble hyperkinétique diffèrent sous le rapport de l'évolution clinique et de la réponse au traitement » (Rutter & al. 1975, 71).

On devine derrière ces arguments que le principe de classement qui se profile consiste à définir des entités diagnostiques (un regroupement de symptômes) minimales (le plus petit dénominateur commun). Nous aurons l’occasion de voir que cette logique de catégorisation ne va pas de soi. Le rapport de Rutter s’attelle plus à défendre ou affirmer la pertinence du classement proposé170 qu’à véritablement la démontrer. La conclusion est claire, elle confirme le regroupement des symptômes et l’autonomisation d’une entité pathologique spécifique :

« Pour toutes ces raisons, la meilleure attitude a paru être de placer simplement le trouble hyperkinétique dans une rubrique séparée à 3 chiffres. Afin de tenir compte de la variété des manifestations cliniques du syndrome, il est possible d'utiliser une subdivision à quatre chiffres » (Rutter & al. 1975, 71171).

La nouvelle version de la Classification Internationale des Troubles Mentaux de l’OMS (CIM- 9-MC) tiendra compte des suggestions de Rutter, qui apparemment se rapprochent des modifications que l’APA promet d’apporter (en 1975) à la prochaine du DSM (qui sortira en 1980). La CIM-10, publiée en 1992 (version Française), qui change son système de code, modifie légèrement les « Troubles survenant spécifiquement dans l’enfance » (CIM-10,

169Jugement émis par l’APA qui publie dans le DSM-III-R une annexe (E) réservée aux troubles mentaux dans la CIM-9 et la CIM-9-III.

170 En 1975, Rutter propose un axe « syndrome psychiatrique clinique » comprenant : 1. les troubles de l’adaptation ; 2. les troubles spécifiques du développement qui englobent : 2.1 troubles hyperkinétiques, 2.2 troubles de la parole et du langage, 2.3. autres troubles spécifiques de l’apprentissage, 2.4. maladresse anormale (dyspraxie…) 2.5. Enurésie, 2.6. Encoprésie, 2.7. Tics, 2.8. Bégaiement ; 3. conduite anormale 4. troubles névrotiques, 5. psychoses (…) 6. troubles de la personnalité, 7. troubles « psychosomatiques », 8. autres syndromes cliniques (démence, Gilles de la Tourette, anorexie mentale…).

171 2.1. Syndrome " hyperkinétique " de l'enfant. .0 Simple perturbation de l'activité ou de l'attention, -1 Hyperkinésie avec retard du développement, -2 Conduite anormale avec troubles hyperkinétiques, -8 Autre précisée, -9 Non précisée.

1992, 15) et ajoute « en dépit de la nature mixte du trouble » dans la section F8 Troubles du

développement psychologique, un diagnostic « particulièrement utile sur le plan pratique »:

« l’hyperactivité associée à un retard mental et à des mouvements stéréotypés (F84.4) » (CIM-1992, 15). Elle élargit par ailleurs par rapport à la CIM-9 « la définition du trouble hyperkinétique » (F-90) (classé dans la section F9 : Troubles du comportement et troubles

émotionnels apparaissant habituellement durant l’enfance ou à l’adolescence) (CIM-1992,

15), catégorie correspondant à celle du TDAH du DSM-IV. Le Trouble hyperkinétique (F-90) de la CIM-10 contient les 4 sous types suivants :

F90.0 Perturbation de l’activité et de l’attention F90.1 Trouble hyperkinétique et trouble des conduites F90.8 Autres troubles hyperkinétiques

F90.9 Trouble hyperkinétique, sans précision.

Ainsi la dernière classification internationale des troubles mentaux de l’OMS distingue deux catégories de symptômes hyperkinétiques, en fonction de la présence (F-84) ou non (F-90) d’un retard mental associé, c’est-à-dire - sommairement - en fonction du niveau du QI des enfants hyperactifs. Pour l’OMS, un double diagnostic hyperkinétique subsiste donc, qui n’est plus désormais basé sur une différence étiologique supposée, mais sur le niveau intellectuel de l’enfant instable et son potentiel de développement. Le paragraphe ci-dessous révèle que l’argument du traitement médicamenteux est avancé pour justifier cette distinction diagnostique. Plus exactement, cette description précise que le QI permet de distinguer les cas sévères d’enfants hyperkinétiques classés sous F-84, pour qui les stimulants ne sont pas efficaces, des enfants hyperkinétiques d’intelligence normale classés sous F-90, susceptibles de bénéficier de l’effet des psychostimulants. Relevons donc d’ores et déjà - même si le traitement médicamenteux sera l’objet du prochain chapitre - que la catégorie des « troubles hyperkinétiques » de la CIM et le traitement par psychostimulants qui lui est potentiellement associée s’adresse avant tout à des enfants d’intelligence normale.

« Hyperactivité associée à un retard mental et à des mouvements stéréotypés. Trouble mal défini dont la validité nosologique reste incertaine. Cette catégorie est incluse ici parce qu’il est démontré que les enfants ayant un retard mental sévère (QI inférieur à 50), associé à une hyperactivité importante et à une perturbation majeure de l’attention, présentent souvent des comportements stéréotypés. Chez ces enfants, les médicaments stimulants sont habituellement inefficaces (contrairement à ce qu’on observe chez les enfants ayant un QI normal) et peuvent provoquer une réaction dysphorique sévère (accompagnée parfois d’un ralentissement psychomoteur). A l’adolescence, l’hyperactivité fait souvent place à une hypoactivité (évolution inhabituelle chez les enfants hyperkinétiques d’intelligence normale). (…) On ne sait pas encore dans quelle mesure le syndrome comportemental est la conséquence du retard mental ou d’une lésion cérébrale organique. On ne sait pas non plus comment classer les troubles associant un retard mental léger et un syndrome hyperkinétique ; en attendant, ils ont été inclus sous F90.-. » (CIM-10, 1992)

Cette remarque frappe car l’évocation d’éléments thérapeutiques et plus encore médicamenteux est extrêmement rare dans ce manuel (unique à notre connaissance). Cette exception constitue en partie la preuve que l’efficacité des stimulants joue un rôle important dans la manière dont s’est constituée l’entité pathologique, dans son autonomisation et dans l’organisation des symptômes qui la constituent et ce, tant dans la CIM que dans le DSM. Notons, avant de revenir sur le manuel de l’Association de Psychiatrie Américaine (qui a fortement influencé l’élaboration de la CIM-10), que la CIM contient une description beaucoup moins détaillée que le DSM, description suivie de « Directives pour le diagnostic » et de quelques précisions sur les sous-types, mais les principales caractéristiques ne sont pas recensées sous formes d’items comme dans le DSM.

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