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Découverte du Méthylphénidate (Ritaline)

Le méthylphénidate230 a été synthétisé en 1944, par le Dr Leandro Panizzon, chimiste chez

CIBA, industrie pharmaceutique suisse. Cette molécule, proche de la Benzédrine américaine, était alors considérée comme une innovation chimique située entre la caféine (mais plus efficace que celle-ci) et les amphétamines (mais sans entraîner l’accoutumance qui a conduit à leur limitation d’emploi après la Deuxième Guerre mondiale).

Mise sur le marché en 1954 en Suisse (classée alors comme psychostimulant léger du système nerveux central) et en Allemagne (où elle était délivrée sans ordonnance231), elle fut

introduite en 1956 aux USA où elle a connu un succès rapide. L’obtention des autorisations nationales de mise sur le marché s’échelonnera de manière élastique : 1958 au Danemark, 1979 au Canada, 1995 en France. Ce retard français mérite toutefois d’être nuancé. Selon la revue Prescrire de juin 1997, "le méthylphénidate a déjà été commercialisé en France, à partir de 1959, sous le même nom de Ritaline, avec des indications limitées aux psychasthénies et aux troubles du comportement de nature hyperkinésique chez l'enfant. L'autorisation de mise sur le marché n'a pas été renouvelée en 1986, les laboratoires Ciba- Geigy ayant renoncé à la procédure de validation mise en place pour les spécialités ayant reçu une autorisation de mise sur le marché avant 1976. Néanmoins, de 1986 à 1994, les autorités administratives ont autorisé les laboratoires Ciba-Geigy à importer le méthylphénidate pour répondre à des demandes hospitalières. La principale utilisation était

228Kaplan H.I. & Sadock B.J., 1998, Médicaments en psychiatrie. Guide de poche. (Trad. et adapt. française B. Granger, extraits traduits, modifiés et adaptés, du chap. 8 " Biological therapies " in Synopsis of Psychiatry, 8e édition), Paris, Masson.

229 Laufer M.W. et al., 1957, « Hyperkinetic Impulse Disorder in Children’s Behavior Problems » in Psychosomatic Medicine, 19, 38-49.

230 Le chlorhydrate de méthylphénidate (ester méthylique de l'acide alpha-phényl-2-pipéridyl acétique) ou Ritaline est une amine cyclique sympathomimétique.

231« A cette époque (1957), le médicament était délivré sans ordonnance dans les pharmacies allemandes. Cela surprend un peu car, en Suisse dès le début, Ritaline a été délivré uniquement sur ordonnance, jusqu'à ce qu'il soit mis plus tard sur le même plan que les stupéfiants en ce qui concerne les modalités de prescription » [35]. « L'usage insouciant, l'emploi nonchalant et le plaisir d'expérimenter de l'après-guerre (rien n'est impossible...) ne sont pas restés sans suite à longue échéance. Aujourd'hui, dans le monde entier, Ritaline est soumise au décret de prescription des stupéfiants ». [Novartis.Hist.Ritaline : 40]

le syndrome d'hyperactivité avec déficit de l'attention chez l'enfant ; un petit nombre de patients furent également traités pour narcolepsie". (Prescrire. 1997232). Prenons toutefois

cette information avec prudence car la Ritaline ne figure pas dans le Vidal de 1979, par exemple.

Le Dr Panizzon, ainsi que son épouse, ont eux-mêmes expérimenté la substance233, ce qui

était à l’époque presque une affaire d’honneur, et l’information publicitaire envoyée aux médecins les invitaient également à tester personnellement les échantillons de Ritaline fournis, pour se convaincre de son efficacité stimulante et tonifiante. La publicité de l’époque auprès des médecins et des pharmaciens présentait la molécule comme un psychotonique de l’humeur qui « réconforte et stimule avec mesure », indiqué en cas de fatigabilité accrue, d’états dépressifs, de convalescence, voire comme coupe-faim234. Relevons au passage que

si les régimes amaigrissants et la convalescence ont actuellement disparu des indications et que la narcolepsie subsiste encore dans le compendium suisse des médicaments, la fatigabilité et la dépression se sont plutôt déplacés du côté des contre-indications : en effet, depuis 1991, on peut lire dans ce manuel :

« La Ritaline ne convient pas au traitement des dépressions sévères (…) ne doit pas être utilisée pour la prévention ou le traitement d’états de fatigue normaux. (…) Une diminution de l’appétit fait partie également des effets secondaires fréquents mais d’ordinaire passagers de la Ritaline. » (Compendium, 1991, 2049).

Dans les années 50, le méthylphénidate était perçu comme un léger stimulant central qui « améliore l’humeur psychique et augmente les performances – sans rendre euphorique et tout en présentant une excellente tolérance ». Il était alors admis que son usage pouvait également profiter aux sujets sains : « quand vous voulez être pleinement performant le lendemain d’une nuit blanche passée à réfléchir »235. En 1961, dans le manuel de référence

du Dr H. Römpp, « Chemische Zaubertränke », le méthylphénidate est classé sous les toniques, de même que la caféine, la gelée royale, la lécithine et l’extrait de malt. Ces éléments révèlent que cette substance était globalement perçue comme inoffensive. En Suisse, elle a toutefois été dès le départ délivrée uniquement sur ordonnance, jusqu’à ce qu’elle soit soumise plus tard au décret de prescription réservé aux stupéfiants236.

Cette molécule n’a pas été initialement destinée au traitement des enfants présentant des troubles du comportement (« Behavior Disorders »). Comme pour bon nombre de psychotropes (Healy, 2002), son invention n’est pas le fait de la recherche ciblée d’un traitement destiné à une pathologie spécifique, mais d’une découverte moléculaire dont l’usage, les effets et le mode d’action restaient à définir. L’utilisation auprès des adultes sains - dans le but d’améliorer leurs performances intellectuelles et physiques - n’empêche pas

232Prescrire. Juin. 97 /tome 17. N.174, p.391-396. "Nouveautés en ambulatoire. Méthylphénidate". [21-23]. 233 C’est d’ailleurs au surnom de l’épouse de l’inventeur – Rita – que la Ritaline doit son nom. Rétrospectivement, le Dr Panizzon estime que les essais personnels n’étaient pas impressionnants. Sa femme, elle, dont la tension artérielle était basse, aurait beaucoup plus bénéficié de l’effet de la Ritaline, qu’elle prenait « occasionnellement avant un match de tennis » (interview dans « l’histoire de Ritalin », Life Science, Novartis, n.2/2000, 8-9).

234 « Dans le journal réputé Deutsche Apotheker Zeitung, on pouvait lire en 1954 dans un article sur les "Nouvelles voies dans le traitement de l'obésité", que Ritaline est utilisé comme antidépresseur et anorexigène ». [Novartis.Hist.Ritaline : 29]

235Weber R., « l’histoire de Ritalin », Life Science, Novartis, n.2/2000, 8-9.

236 « La loi sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup) et l’ordonnance fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 29 mai 1996 (OStup) contiennent les dispositions légales applicables; l’une des mesures de contrôle concerne la prescription des stupéfiants figurant dans l’appendice a. : chaque ordonnance médicale doit être rédigée sur un formulaire spécial (carnet à souche). Les ordonnances sont numérotées ; les originaux, après exécution des prescriptions par les pharmaciens, sont remis aux services cantonaux compétents pour le contrôle. Il est dès lors possible de répertorier de manière exhaustive toutes les remises de Ritaline® aux patients ambulatoires, et partant de là, d’obtenir des données statistiques sur l’utilisation de ce produit. » [Bulletin 15 de l’OFSP. 8 avril 2002. 282. pp. 284-290.]

l’industrie CIBA de tenter une promotion du produit à l’envers des enfants. En 1956, la Société Suisse de Psychiatrie et le Comité National Suisse d’Hygiène Mentale interviennent d’ailleurs, pour faire retirer les indications contestables de cette industrie pharmaceutique qui conseillait une médication à base de Ritaline (le Serpatonil) pour traiter la « labilité affective des écoliers »237. Arguant la dangerosité du produit, ces instances obligent l’annulation de

ces indications peu scrupuleuses. Cet événement révèle que certains essais auprès des enfants étaient alors déjà effectués et que l’industrie pharmaceutique nourrissait l’ambition d’élargir la population susceptible de bénéficier d’un tel produit. Or à cette époque, les craintes concernant les abus de prescription et les risques de dépendance amphétaminique commençaient à se faire entendre. Le rapport au médicament n’était pas non plus aussi banalisé qu’il ne l’est aujourd’hui et la « labilité affective des écoliers » n’était pas considérée comme pathologique.

Outre cette tentative de banalisation vite refrénée, à la fin des années 50, l’usage d’un tel produit auprès des enfants restait exceptionnel, d’ordre expérimental et réservé aux «cas sévères» (principalement les enfants placés en institution). Les troubles pour lesquels la Ritaline était prescrite n’étaient pas aussi spécifiques238 qu’ils ne le sont actuellement. Le

«syndrome hyperkinétique» était alors évoqué, mais il ne constituait pas encore l’indication par excellence de ce médicament. Ce syndrome faisait partie de la vaste gamme des troubles du comportement traités chimiquement lorsque la sévérité du cas laissait croire à une altération physiologique de l’encéphale239.

En 1960 - c’est-à-dire 4 ans après sa mise sur le marché américain, deux psychiatres - Conners et Eisenberg - publient un article montrant l’efficacité du méthylphénidate sur les symptômes et l’apprentissage des enfants perturbés240. Il est désormais admis que ce

psychostimulant a un effet calmant sur les enfants agités, mais la terminologie utilisée alors pour désigner leur trouble reste variable et conceptuellement floue. Rappelons que la psychiatrie infantile est à cette époque à peine en train de s’autonomiser et que les débats nosologiques sur les pathologies mentales propres à l’enfance ne font qu’émerger. Ceci n’empêche pas qu’aux Etats-Unis, les études et les investigations, notamment pharmacologiques, auprès d’enfants souffrants de troubles du comportement se multiplient dans ces années-là. Progressivement, alors que la définition du trouble hyperkinétique se spécifie, l’indication du méthylphénidate se précise.

Selon le Dr Haenggeli, neuropédiatre à l’Hôpital Cantonal Universitaire de Genève : « c’est au milieu des années soixante que son effet bénéfique chez les enfants avec le THADA [Trouble de l’Hyperactivité avec Déficit d’Attention] a été découvert » (Haenggeli C.-H., 2002, Toby et Lucy, deux enfants hyperactifs, Genève, Ed. Georg, 66).

237Archives Hôpital Psychiatrique de Malévoz (Monthey – Valais) : Correspondance, Hôpital de Cery, Clinique psychiatrique universitaire, Vaud, 30.11.1956. Je profite de cette note de bas de page pour remercier nommément Catherine Fussinger, historienne à Lausanne, qui m’a généreusement transmis ces documents. 238En comparant avec l’antidépresseur, Healy relève que l’idée de spécificité étant « devenue politiquement correcte dans les cultures occidentales après 1962 », l’idée d’énergisant psychique pour les IMAO et les ISRS, ou la notion de stimulant psychique « n’aurait rétrospectivement jamais pu prendre dans les années 60 » (Healy, 2002, 395).

239C’est du moins ce qu’affirme le Dr Claude Desjardins. 1992. Ces enfants qui bougent trop. Déficit d'attention- hyperactivité chez l'enfant. Quebecor. Quebec. 48 [84]

240Conners C.K., Eisenberg L. « The effect of methylphenidate on symptomatology and learning in disturbed children » in American Journal of Psychiatry, 120, 458-464.

Les traitements médicamenteux en psychiatrie infantile dans les années

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