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Dispositifs éducatifs et psychiatrie de l’enfance

Au XIXe, le « traitement de l’enfance » organisé de manière peu systématique connaît un certain nombre de réalisations auprès des sourds-muets, des aveugles et des enfants abandonnés. Dès ses prémisses, la psychiatrie de l’enfant semble se fixer une mission implicite qui est celle de corriger, de cacher et de traiter tout ce qui peut aliéner l’Enfance telle qu’on se la représente aux différentes époques.

Sans entrer dans les détails des dispositifs éducatifs du début du XXe, on relèvera que l’émergence de la psychiatrie infantile et son évolution sont fortement soumises « aux

56On attribue généralement à Pinel (aliéniste du début XIXe) la paternité des classifications modernes des maladies mentales. Son élève Esquirol, qui soutient une thèse en 1805 (Les passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation mentale), modifie en 1838 dans son Traité des maladies mentales, dans le but de distinguer les maladies chroniques des pathologies transitoires. C’est lui qui amorce une conception aujourd’hui toujours présente privilégiant l’hérédité en psychiatrie infantile, et qui organisera – avec Pinel – l’assistance psychiatrique française marquée par la pratique de l’internement des malades. Au tournant du XXe siècle le psychiatre allemand, Kraepelin va profondément influencer la psychiatrie européenne en imposant une classification nosologique fondée sur des critères essentiellement évolutifs et en insistant sur la nature « endogène » (l’organogenèse) des aliénations mentales. Ainsi l’aliéné est clairement un malade, qu’il faut isoler définitivement de la société pour la protéger. Alors qu’Esquirol avait institué l’internement des malades psychiatriques, Kraepelin (1856-1926) l’entérine d’une dimension temporelle définitive. Né la même année que Freud (qui lui, s’intéressera à la relation et à la signification intersubjective du symptôme) Kraepelin défend une psychiatre essentiellement médicale et normative. Pour lui, les symptômes de l’aliéné sont le signe d’un processus morbide organique qui ne peut que faire l’objet d’une étude anatomo-clinique. Nous le verrons, il semble que ses idées dominent à nouveau le diagnostic et le pronostic en médecine mentale.

En Amérique, la première tentative de recensement officiel date de 1840, elle contenait l’enregistrement d’une catégorie unique (« idiotie/aliénation »). Lors du recensement de 1880, on distinguait 7 catégories : la manie, la mélancolie, la monomanie, la parésie, la démence , la dipsomanie, et l’épilepsie. « Aux Etats-Unis, l’impulsion initiale pour développer une classification troubles mentaux a été la nécessité de collecter des informations statistiques (…) En 1917, le Comité des Statistiques de l’Association américaine de psychiatrie conjointement avec la Commission nationale d’hygiène mentale, a établi un plan qui (…) restait encore essentiellement une classification statistique » (Historique DSM-IV, XXIII).

57Sullivan H. S., 1892 – 1949, fondateur de la revue Psychiatry et auteur de nombreux travaux de socio- psychiatrie psychanalytique.

exigences d’une société qui impose une vision de l’Enfance » (Benoit, Klein, 2000, 1658) ;

vision de l’enfance mouvante, de plus en plus idéalisée, qu’il faut protéger de toute défiguration et non plus s’atteler uniquement à dresser. Les moyens pour le faire se modifient : « on ira de l’éducation au renfermement, de la psychopédagogie curative à la correction des délinquants, de la guidance infantile à la psychanalyse, de la thérapie relationnelle à la prise de médicaments, tout en constituant chaque fois des catégorisations ou des classifications qui se veulent opératoires dans un champ limité, mais ne peuvent finalement pas vraiment constituer une science » (Benoit, Klein, 2000, 16). « On comprend que de façon insidieuse, au nom de l’Enfance, cette utopie, on réduise l’enfant, cette réalité, jusqu’à le neutraliser, voire l’annihiler, la psychiatrie de l’Enfant ne constituant d’ailleurs qu’une stratégie parmi bien d’autres » (Benoit, Klein, 2000. 26). Au début du XXe siècle la psychiatrie infantile se caractérise par l’enfermement asilaire et les traitements chimiques encore à leurs balbutiements restent marginaux dans la palette des thérapies appliquées. Tel est le destin des cas sévères ; quant aux troubles du comportement légers, « il semble que les excentricités des enfants aient été tolérées, avec indulgence ou irritation selon les cas ; les seuls enfants suffisamment déviants pour attirer l’attention sur un plan psychopathologique étaient les débiles (Itard et Segin), les dangereux (Haslam et Esquirol), les épileptiques (Griesinger), les bizarres (Wier, Baddeley, Voisin) et même ceux-là échappaient en partie à la psychiatrie, dans la mesure où leur bizarrerie entrait plus ou moins dans un schéma recevable à l’époque où ils vivaient » (Duche, 1990, 1559).

L’extension de l’instruction obligatoire (dans la deuxième moitié du XIXe siècle) aiguise l’intérêt vis-à-vis des enfants présentant des difficultés d’intégration dans ce nouveau système d’éducation. La psychiatrie de l’Enfance (comme idéologie sociale) est étroitement liée à l’évolution des préceptes pédagogiques et aux dispositifs éducatifs : ce qui fait

problème est indissociable d’un contexte structurel et culturel donné. Comme le montre

l’historienne M.T. Brancaccio dans sa thèse sur l’hyperactivité infantile, les premières catégories médicales des troubles du comportement infantiles se dessinent à la fin du XIX. A cette époque, dans de nombreux travaux, l’anormalité infantile faisait l’objet de préoccupations médicales60, mais la psychiatrie infantile n’était pas encore institutionnalisée

comme discipline autonome.

Ajuriaguerra fixe la naissance de la psychiatrie infantile en 1900. Heuyer dans son

Introduction à la psychiatrie infantile (1966) estime qu’elle a émergé 25 ans plus tard. Duché,

dans Histoire de la psychiatrie de l’enfant, estime que « dans le champ de la pratique, 1922 marque l’essor des cliniques de guidance infantile, et 1924, la naissance de l’Association d’Orthopsychiatrie (American Association of Orthopsychiatry), véritables structures de l’évolution en psychiatrie infantile » (1990, 19)61. Les origines du développement de la

pédopsychiatrie sont différemment relatées et attribuées selon les perspectives historiques. On ne peut dissocier l’histoire de la psychiatrie infantile, la mise en place de l’obligation scolaire et le travail d’éminents éducateurs et psychopédagogues comme Binet et Claparède, l’influence des constitionnalistes, mais aussi des classificateurs comme Kraepelin, celle de pédagogues spécialisés (Pestalozzi, Fröbel (CH), Montessori, Rogers), de psychologues du développement (Wallon, Piaget, Erickson, Vygotsky) et celle de la psychanalyse qui viendra modifier radicalement l’approche des troubles mentaux chez

58G. Benoit, J.-P. Klein, Histoire contemporaine de la psychiatrie de l’enfant, PUF, que sais-je, 2000.

59M.Stone, « Child Psychiatry before Twenthieth Century » International Journal of Child Psychotherapy, Cité par Duche D.J. 1990. Histoire de la psychiatrie de l’enfant, PUF : Paris, 15.

60Quelques exemples d’écrits spécifiques sur l’enfant : « la folie chez les enfants » (Moreau de Tours, 1888) les « troubles mentaux de l’enfant » (Manheimer 1899) « des déficients mentaux », des « idiots » (Bourneville, 1905), « Les Enfants anormaux » (Binet & Simon, 1907), « le développement de l’enfant (Collin,1914), les « enfants turbulents » (Wallon 1925).

l’enfant, en prônant l’exploration biographique et la signification des symptômes des jeunes patients. Le mouvement d’hygiène mentale62, le souci de prévention de la folie et de la

délinquance, l’intérêt grandissant pour la psychométrie exhortent également à une vigilance plus grande vis-à-vis des problèmes comportementaux et émotionnels de l’enfant. Leur interprétation se déplacera de la notion de maladie, à celle d’inadaptation, en passant par les concepts d’anomalie, de débilité, d’idiotie, d’imbécillité, d’indisciplinarité, de dysfonctionnement, d’anormalité et de trouble psychique.

C’est toute une série de courants psycho-pédagogiques qui se développent en parallèle et viennent compléter le courant qui domine la psychologie des années 20 aux années 60 : le behaviorisme. Cette école dont les figures de proue sont Pavlov (1849-1936) en Russie, Watson (1878-1958) et Skinner (1904-1990) aux USA, envisage les comportements humains comme le produit d’un conditionnement que l’on peut étudier de manière objective à partir des réactions extériorisées du sujet. Le courant behavioriste qui place le comportement au centre des préoccupations psychologiques sera si puissant dans les pays anglo-saxons, que la psychologie a longtemps été assimilée à la science du comportement (Behavioral

Science). Parallèlement, la psychanalyse63 prolonge ses investigations chez l’enfant avec A.

Freud, M. Klein, D. Winnicot, F. Dolto. En se basant sur le corpus théorique des pulsions et de l’inconscient, elle propose une méthode d’analyse particulière, susceptible de décoder les symptômes pathologiques des enfants dont l’expression ne passe pas forcément par la parole, dans le but de leur donner une signification symbolique.

Dans la première moitié du siècle, deux grandes institutions sont responsables de la prise en charge des enfants : l’école publique laïque et l’hôpital psychiatrique. La première, devenue obligatoire, se charge de l’éducation des normaux ; les enfants inadaptés, eux, sont orientés vers l’hôpital psychiatrique. Il faudra que l’idée d’éducabilité de cette tranche de la population s’impose et qu’elle ne se limite pas à la seule possibilité d’un suivi scolaire ordinaire, pour que des dispositifs intermédiaires d’éducations spécialisées soient mis en place de manière systématique. L’attitude répressive qui a dominé le XIXe siècle et conduit à la mise en place des maisons de correction s’adoucit progressivement (Foucault, 197564). Les institutions

éducatives et les tribunaux pour mineurs qui émergent témoignent d’une attitude d’individualisation des peines et de la transformation de la punition en activité thérapeutique, pouvant s’exercer sous la forme d’un traitement ambulatoire, ou d’un placement en institution. C. Launay65 estime que « tout le mouvement de la ‘neuropsychiatrie infantile’ est

né de la nécessité de modifier et de comprendre ; d’abord modifier lorsqu’on s’adresse aux enfants déficients mentaux, comprendre lorsqu’il s’agit des délinquants juvéniles » (Benoit, Klein, 2000, 13).

Alexander (1972), dans un chapitre intitulé « développements en psychiatrie de l’enfant »66,

évoque l’impulsion fournie par les réformes éducatives « qui ont montré l’éducabilité des retardés mentaux », le mouvement d’hygiène mentale et de guidance infantile, ainsi que l’attention portée aux enfants délinquants. Pour Postel et Quétel « c’est autour de ce groupe

62" L'hygiène mentale comprise comme étude des moyens pour réaliser une adaptation plus facile et surtout plus harmonieuse de l'individu au milieu est la science des périodes historiques de transition " [49] (Ajuriaguerra De J. Diatkine R., Lebovici S., 1958, La psychiatrie de l'enfant. Paris : PUF, 204).

63" La psychanalyse a apporté une contribution décisive à ces recherches et ses postulats psycho-dynamiques font désormais partie intégrante des concepts de base de la psychologie et de la psychopathologie de l'âge évolutif " . La psychanalyse infantile " cherche à intégrer les données de l'expérience psychanalytique avec celles du développement neurobiologique de l'enfant "[54] (Ajuriaguerra De J. Diatkine R., Lebovici S., 1958, La psychiatrie de l'enfant. Paris : PUF, 205).

64Foucault M. 1975, Surveiller et Punir, Paris : Gallimard.

65 Launay C. « Psychiatrie infantile » in Porot A., 1985, Manuel alphabétique de psychiatrie clinique et thérapeutique, Paris : Presse Universitaire de France.

66Alexander F.G., (trad. 1972) Histoire de la psychiatrie : pensée et pratique psychiatriques de la préhistoire à nos jours, Paris, Colin.

protéiforme de l’enfance en danger que sont créées des consultations de guidance infantile, de conseil, de dépistage, d’orientation médico-pédagogique, matrices des futurs Offices publics d’hygiène sociale de l’immédiat après-guerre (1947). Parallèlement, on assiste à la multiplication d’internats puis d’externats pour enfants dits caractériels et, dans le même sens, à la fondation des premiers centres médico-psycho-pédagogiques. C’est également à cette époque qu’à Paris est créée la première chaire de Neuropsychiatrie Infantile (1948), dont le premier titulaire fut tout naturellement Heuyer » (Postel, Quétel, 1983, 515)67. En

1943, l’ « Early infantile autism » aux USA délimite le domaine de la psychiatrie de l’enfant aux « troubles graves de la personnalité où il s’agira de découvrir et de classer de nouvelles formes et de s’attacher à la recherche des causes organiques » (Benoit, Klein, 2000, 10)68,

prémisses de l’orientation générale que prendra depuis le développement de la psychiatrie américaine69.

En France, la première revue française de neuropsychiatrie infantile est créée en 1952, dont la ligne est fortement marquée par la pensée de Heuyer, qui défendait une perspective scientifique de la psychiatrie, tout en affichant une certaine tolérance à l’égard des discours psychanalytiques, notamment sur le sujet de l’instabilité infantile. A cette époque, des associations de parents70 militent avec l’aide de certains psychiatres contre les hôpitaux

psychiatriques, considérés comme des guettos asilaires.

La question de la prévention s’est progressivement infiltrée au cœur de la psychiatrie infantile : alors qu’à la fin des années 50, les auteurs de la psychiatrie de l’enfant71 estiment

que l'idée de prévention des maladies mentales de l'adulte est trop hypothétique pour retenir " un tel argument de façon formelle " du moins dans le cas des psychoses, moins d’une décennie plus tard, Ajuriaguerra (éminent psychiatre genevois qui terminera sa carrière à Paris), dans son Manuel de psychiatrie de l’enfant (Paris, Masson, 1974 (2e ed.)), montre que des études prévisionnelles ont été effectuées dans le but d’établir des « score de

prévisions sociales permettant un dépistage précoce des futurs délinquants. » (977). « La

conduite à tenir face au délinquant juvénile se transforme en même temps qu’évolue l’attitude de la société vis-à-vis de la criminalité en général et de la notion de responsabilité de l’enfant ou de l’adolescent en cas d’activité délinquante » (Ibid.).

L’approche de la psychiatrie de l’enfant semble prendre - selon les auteurs qui retracent son parcours - deux voies : « l’une, la plus fréquente, consiste à intégrer à partir du XIXe (…) les travaux qui ont trait à l’ « Enfance anormale », mêlant les progrès de la pédagogie et de la psychologie avec l’apparition de la psychanalyse, dans le dessein de décrire une progression vers la constitution actuelle d’une science : la psychiatrie infantile » (Benoit, Klein, 2000, 1872). « L’autre (…) est celle d’une prise de parti assez radicale : T. Gineste en

arrive à délimiter la psychiatrie de l’enfant aux psychoses et à l’autisme, ne voyant dans le reste que les bruits de l’accessoire ; C. Launay désire confier la plupart des troubles de l’enfant au psychologue, laissant à la psychiatrie de l’enfant le domaine des psychoses »

67Postel J., Quétel C. (ss dir.), 1983, Nouvelle Histoire de la Psychiatrie, Toulouse, Privat.

68G. Benoit, J.-P. Klein, Histoire contemporaine de la psychiatrie de l’enfant, PUF, que sais-je, 2000

69Ebaugh F.G., « Neuropsychiatric Sequelae of Acute Epidemic Encephalitis in Children », American Journal of Diseases of Children, 1923, 25, 89-97.

Lapouse R., and Monk M.A., « An Epidemiologic Study of Behavior Characteristics in Children » American Journal of Public Health, 1958, 48, 1134-1144.

Laufer M.W. and others, « Hyperkinetic Impulse Disorder in Children’s Behavior Problems » Psychosomatic Medicine, 1957, 19, 38-49.

Schulman J.L., Reisman J.M., « An Objective Measure of Hyperactivity » American Journal of Mental Deficiency, 1959, 64, 455-456.

70On peut voir dans cette lutte en faveur des déficients mentaux profonds (souvent mongoliens) l’origine de la mobilisation parentale organisée et légitime autour de l’enfance inadaptée.

71Ajuriaguerra, Diatkine, Lebovici S., La psychiatrie de l'enfant. PUF Paris, 1958/1959

(ibid.19). Le mouvement dit d’hygiène mentale, par exemple, dont le projet est non seulement pédagogique mais aussi préventif, est, dès son émergence, tiraillé entre des influences diverses, parfois opposées : d’un côté sous l’influence de la neuropsychiatrie et des découvertes psychopharmaceutiques on assiste à une forte médicalisation des affections mentales ; d’un autre côté, la psychologie génétique (J.Piaget) et l’émergence de la psychanalyse d’enfant ne cessent de façonner notre vision de l’enfance.

Nous retiendrons de ces quelques éléments, que c’est au milieu du XXe siècle que l’autonomisation de la psychiatrie infantile à l’égard de la psychiatrie générale (adulte) se formalise mais que ses objets d’investigation se dessinent bien avant73. La définition même

de l’enfance inadaptée qui est étroitement liée à l’obligation scolaire dépend de la dynamique des dispositifs de prise en charge et des orientations théoriques qui sous-tendent leurs pratiques74. Nous aurons l’occasion de voir qu’à la suite de la tendance à sortir du cursus

normal les enfants inadaptés s’amorce l’importation au sein de l’école ordinaire des modèles issus de l’expérience médico-éducative qui permettent de désigner voire de traiter des enfants considérés comme suffisamment intelligents pour être intégré. Une chose est certaine : au cours du XXe siècle, le spectre des interventions psychiatriques ne cesse de s’élargir. Une matrice culturelle déjà ancienne, mais dorénavant savamment conceptualisée75, se cristallise autour des variables d’anormalité, de délinquance et de

pauvreté. (Pinel et Zafiropoulos, 1983, 82). La psychiatrie médicale s’offre l’horizon de l’inadaptation sociale, de la délinquance76 et plus récemment de la souffrance psychique

dans son acceptation la plus large. Les divergences de conception psychopathologique ont un effet direct sur la définition de la population infantile susceptible d’être diagnostiquée et soignée en conséquence et ceci est d’autant plus vrai que la palette des thérapies à disposition s’est élargie et diversifiée.

Au cours du processus de professionnalisation des « métiers de l’humain » (des activités certifiées et rémunérées qu’exercent les uns pour s’occuper des autres, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l’éducation) de nouveaux domaines de spécialisation apparaissent qui s’approprient des champs d’investigations spécifiques et définissent de plus en plus précisément des populations-cibles. Nous verrons que la concurrence entre psychiatres-médecins et psychologues est toujours d’actualité et qu’elle est non seulement sous-tendue par des politiques différentes, mais également par des définitions divergentes de la pathologie.

73Comme le résument Ajuriaguerra, Diatkine et Lebovici : « Historiquement, la psychiatrie infantile surgit et se développe par trois impulsions principales qui se sont présentées dans des époques différentes : 1. La nécessité d'étude et de rééducation de l'oligophrène dans ses différentes formes et selon la gravité et, plus tard, aussi de l'épileptique. 2. Le problème de la délinquance des mineurs qui s'est aggravé après la première et la deuxième guerre mondiale. 3. Et, en dernier lieu, avec l'extension de l'hygiène mentale et infantile et, en conséquence, la généralisation du problème de l'assistance, les diagnostics et le traitement des aspects multiformes de désadaptation au milieu et des troubles affectifs. " [39] (Ajuriaguerra De J. Diatkine R., Lebovici S., 1958, La psychiatrie de l'enfant. Paris : PUF, 202-203).

74 « A côté des débiles légers des classes de perfectionnement et des « relégués » vers les services de gardiennage de l’asile, se constituent de nouvelles catégories définissables par leur prise en charge institutionnelles (inadaptés des C.P.P et des Instituts Médico-Pédagogiques) hétérogènes du point de vue des discours savants qui les constituent et (…) hétérogènes par leurs compositions sociales » (Pinel P. & Zafiropoulos M., 1983, Un siècle d’échecs scolaires, 1882-1982, Paris, Ed. Ouvrières 78).

75 « dans le mixage entre différents corpus d’interprétation empruntant à la psychologie génétique, la psychométrie, la psychanalyse, voire la génétique et la sociologie » (Pinel et Zafiropoulos, 1983, 82).

76Le lien entre les syndromes psychiatriques et la délinquance a une longue histoire (voir Foucault). Heuyer G., par exemple, publiait en 1914 un ouvrage intitulé : « Enfants anormaux et délinquants juvéniles, nécessité de l’examen psychiatrique ». 55 ans plus tard, le titre d’un nouveau livre montre que ce lien n’a pas énormément évolué : « La délinquance juvénile : étude psychiatrique » (1969), ouvrage qui suivait de peu celui sur « Les troubles mentaux » dont le sous-titre suppose ce lien d’évidence (quasi interchangeable) : « Etude criminologique » (PUF : Paris, 1968).

La présentation schématique des différentes tendances à laquelle nous venons de procéder manque de rigueur historique. Son but était de montrer que le champ de la psychiatrie de l’enfant est complexe, qu’il n’a jamais cessé d’être traversé par des écoles de pensées diverses et plus ou moins antagonistes. Malgré son autonomisation progressive (apparente), la psychiatrie infantile influence et est influencée par le système institutionnel éducatif et médical qui à la fois la sollicite et la stimule, tout en la limitant et l’orientant. Ce retour quelque peu sommaire sur l’automisation progressive d’un pan spécifique de la psychiatrie consacré à l’enfance permet également de tracer dans ses grandes lignes ce qui le distingue de la psychiatrie des adultes.

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