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La jurisprudence des autres provinces canadiennes a quant à elle établi clairement que le droit d’accéder aux tribunaux civils est un droit constitutionnel de common law222. Ce droit

constitutionnel est toutefois qualifié de « raisonnable223 » puisqu’il peut être limité. La

jurisprudence développée par les cours canadiennes concernant l’imposition par l’État de différents frais judiciaires a reconnu ce droit à plusieurs reprises.

La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, dans la décision Pleau224 clarifie la portée de ce

droit constitutionnel. Un règlement créant des frais pour entreprendre et poursuivre un litige – hearing fees – avait été édicté par le gouvernement, prévoyant notamment un certain montant par jour afin de pouvoir se rendre devant la Cour suprême et la Cour d’appel de la province225. La Cour mentionne que l’accès aux tribunaux est un droit constitutionnel de

common law en ce sens qu’il ne peut être limité que par une loi approuvée par le Parlement226. La Cour expose ainsi sa position quant à l’accès à la justice :

Access to justice is neither a service nor a commodity. It is a constitutional right of all citizens; any impediments must be strictly scrutinized. Regardless of whether the impediment takes the form of a tax, a fee, an allowance, or some other form, it will, and must fail if its effect is to unduly “impede, impair or delay access to the courts”227.

(nos soulignés)

220 Au para 27.

221 La jurisprudence concernant l’octroi de provisions pour frais à des parties indigentes le démontre bien. Nous ne nous attarderons pas en détails à cette question puisque la jurisprudence s’y rapportant ne permet pas de dégager des enseignements quant à l’obligation de l’état de garantir l’accès des justiciables aux tribunaux. Les tribunaux se refusent à intervenir dans de telles situations puisqu’il ne reviendrait pas à une partie de financer le recours d’une autre moins fortunée. Voir les décisions Hêtu c. Notre-Dame de Lourdes (Municipalité de), 2005 QCCA 199 (dans laquelle le demandeur alléguait un congédiement injustifié par une municipalité et il n’avait plus les moyens financiers de payer les honoraires de ses avocats en raison de la multiplication des procédures judiciaires par celle-ci); St-Arnaud c. C.L., 2009 QCCA 97 (une affaire de responsabilité médicale qui mettait en cause un demandeur non admissible à l’aide juridique qui était contraint, « pour s’adresser au tribunal, de franchir des obstacles financiers et pratiques insurmontables » (para 27)).

222 Trial Lawyers Assn. of B.C. c. C.-B. (P.-G.), 2014 CSC 59 au para 71 (motifs du juge Cromwell, dissident) [Trial Lawyers].

223 Ibid au para 71. 224 Pleau, supra note 29. 225 Ibid aux pp 1 et 2. 226 Ibid à la p 40. 227 Ibid à la p 29.

Elle déclare ainsi que les frais d’audition en question sont inconstitutionnels. Selon cette cour, le droit d’accéder aux tribunaux serait effectivement une composante de la constitution, tel qu’établi par l’arrêt B.C.G.E.U.228. Bien que de tels frais ne violent pas de

disposition spécifique de la Charte canadienne, ils entravent l’accès à un juge229 puisqu’ils

imposent une limite de temps afin de présenter une cause; ils mettent ainsi un prix sur la justice230. Le droit d’accéder à un tribunal est un droit fondamental, un pilier des droits des

justiciables dans une société démocratique231. Toutefois, l’imposition de frais raisonnables

ne fait pas entrave à ce droit s’ils ne portent pas une atteinte significative à l’accès aux tribunaux232.

Plusieurs autres décisions se sont penchées sur ce droit constitutionnel de common law et ont interprété les principes développés par Pleau. La décision ontarienne Polewsky233 est

significative à cet égard. Celle-ci met en cause la contestation de frais judiciaires préalables à l’instruction d’une cause aux petites créances. La Cour supérieure de l’Ontario conclut que de tels frais sont inconstitutionnels puisque aucune mesure d’exemption basée sur la pauvreté n’est prévue. Le droit d’accéder aux tribunaux, bien que constitutionnel, n’est pas illimité :

[60] […] [T]he Advocates' Society […] urged us to conclude that a citizen's right to unimpeded access to the courts to enforce his or her civil rights is a common law constitutional right that can only be abrogated by clear and express statutory language. We agree in part adding that we would not use the term "unimpeded". We say that the right of access is subject to the caveats of merit and proof of indigence.

[…]

[64] We agree that Pleau does not stand for the broad proposition that a person has an unrestricted right to recourse to the courts for civil litigation. This is why we emphasize the requirements of proof of indigence and a meritorious claim. We do not suggest that the constitutional right of access to the courts precludes reasonable fees, such as those challenged in this appeal. We do say, however, that in cases where their existence, combined with the requirement to pay them prevents a person from pursuing a meritorious claim, they are unconstitutional. We see this as something that

228 Supra note 213. 229 Ibid aux pp 45 et ss. 230 Ibid à la p 54. 231 Ibid à la p 48. 232 Ibid à la p 46.

233 Polewsky v. Home Hardware Store Ltd., (2003), 66 O.R. (3d) 600 (C.S.J.), 2003 CanLII 48473 (ON SCDC) [Polewsky].

is quite different from the concept that unimpeded or unrestricted access to the civil courts is a constitutionally guaranteed right […].

(nos soulignés)

La Cour du banc de la reine de l’Alberta a interprété les principes de Polewsky et a établi que l’accès à la justice est un droit constitutionnel dans certaines situations restreintes : d’une part, le requérant doit prouver qu’il ne peut réellement pas débourser les frais judiciaires et d’autre part, la cause doit avoir un mérite234.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a également eu l’occasion de se prononcer sur la question dans la décision Vilardell235. Elle a conclu que l’imposition de frais d’audition

représenterait effectivement un obstacle inconstitutionnel à la justice si ce n’était du pouvoir des tribunaux d’en dispenser une partie indigente236. Le tribunal de première instance avait

plutôt conclu que cette discrétion restreinte constituerait une atteinte au droit d’accéder aux tribunaux puisque la possibilité de dispense était ouverte uniquement lorsque la partie était pauvre, mais pas à une personne de la classe moyenne en difficulté qui – bien que pas nécessairement pauvre dans le sens commun du terme – n’avait pas davantage les moyens de débourser les frais237. La Cour d’appel a choisi d’interpréter les termes de l’exception de

manière large afin d’inclure toute personne qui ne pourrait couvrir ses dépenses courantes en raison des frais d’audition, ou qui pourrait poursuivre sa réclamation si ce n’était du versement de ces frais238. Elle a ainsi déterminé qu’en élargissant la portée de l’exception

afin de comprendre les personnes « dans le besoin », la disposition résisterait au contrôle de constitutionnalité.

La Cour d’appel fédérale a résumé les principes développés jusqu’alors dans la décision Fabrikant239. Un détenu demandait à être dispensé des droits payables pour le dépôt d’un

avis d’appel. En examinant la demande, la Cour résume le principe général alors applicable au droit d’accéder aux tribunaux :

[7] […] Le droit de s’adresser à la Cour [n’est] pas un droit illimité et absolu […]. Des restrictions raisonnables sont appropriées. Cependant, au moment de considérer l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder

234 Toronto Dominion Bank v. Beaton, 2012 ABQB 125 au para 18.

235 Vilardell v. Dunham, 2013 BCCA 65 [Vilardell], entendu par la Cour suprême dans Trial Lawyers, 222. 236 Vilardell, supra note 235 au para 3.

237 Ibid au para 2. 238 Ibid au para 41.

une dispense des droits payables, la Cour doit tenir dûment compte du principe de l’accès aux tribunaux. Il constitue « un des piliers de base qui protège les droits et libertés de nos citoyens » […]. À vrai dire, depuis plus de 500 ans, en vertu du système de justice que nous tenons de l’Angleterre, ceux qui sont incapables d’acquitter les frais judiciaires ont été́ exemptés de le faire […].

(nos soulignés)

En fonction de la preuve présentée, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et autorise la dispense puisque les droits payables afin d’accéder au tribunal correspondaient à plus de cinq semaines de salaire net du requérant, avant même d’acquitter ses autres dépenses240.

En résumé, jusqu’à ce moment, la jurisprudence canadienne reconnaissait le droit constitutionnel d’accéder aux tribunaux, mais les décisions des tribunaux mentionnées ci- dessus révèlent que ce droit était restreint à certaines circonstances précises.