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La discrétion judiciaire a historiquement été plus facilement exercée en matière criminelle, mais ce raisonnement a tout de même été transposé dans d’autres domaines, permettant

293 Voir notamment : Québec (Procureur général) c. St-Pierre, 2009 QCCA 1417; R. c. Savoie, J.E. 2003-1903 (C.A.); Fortin c. R., J.E. 2004-78 (C.A.); Pearson c. Québec, 2010 QCCS 4857; Couture c. R., 2008 QCCS 6502;

Anderson c. R., 2007 QCCS 4499; R. c. Girard, 2004 CanLII 60041 (QC CS); Tremblay c. R., 2008 QCCQ 2236; Autorité des marchés financiers c. Lacroix, 2007 QCCQ 1799; R. c. Chartrand, J.E. 2004-932 (C.Q.).

294 Voir notamment : D.B. c. M.B., 2018 QCCA 1050 au para 11; Gemme c. R., 2008 QCCA 520 au para 19. 295 Québec c. Québec, supra note 206 au para 123 faisant référence aux décisions suivantes : R. c. Sechon, (1995) 45 C.R. (4th) 231; R. v. Rockwood, (1989) 49 C.C.C. (3d) 129 (N.S. C.A.); Rain, supra note 284; R. v.

Drury, [2000] M.B.C.A. 100 (Man. C.A.); R. v. Kim, 2002 BCCA 133 (B.C. C.A.).

296 Winters c. Legal Services Society, [1990] 3 RCS 624 au para 6, dont l’interprétation est appliquée par Québec

c. Québec, supra note 206 au para 123.

297 Lafond, supra note 5 à la p 110.

Indigence : - Actifs; - Revenus; - Capacité d’emprunt; - Autres ressources. Nécessité : - Gravité; - Durée; - Complexité; - Capacité de participation. Critères à remplir

ainsi d’obtenir des avancées sur le plan de la reconnaissance du droit à l’avocat en matière administrative.

Plusieurs justiciables se sont inspirés des enseignements de Rowbotham afin de mobiliser le droit à la représentation juridique devant les instances administratives. Les tribunaux se sont montrés ouverts à cette possibilité, ce qui s’explique vraisemblablement par le fait que – tout comme en matière criminelle – l’État est impliqué dans un litige susceptible d’avoir des conséquences importantes sur un justiciable.

La question du droit à l’avocat devant les tribunaux administratifs a fait couler beaucoup d’encre en jurisprudence canadienne298, particulièrement devant les cours fédérales. Nous

ne nous attarderons pas aux décisions qui déterminent dans quelles circonstances il est nécessaire qu’un administré ait accès à un avocat, mais uniquement sur celles qui comportent l’aspect particulier que cet avocat soit fourni par l’État.

La décision la plus significative en matière administrative est l’arrêt G.(J.)299. Celle-ci mettait

en cause une mère sans ressources financières – touchant des prestations d’aide sociale – qui était visée par une demande d’ordonnance du gouvernement afin de lui retirer la garde de ses enfants. La requête du ministère a été présentée devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. Cette affaire est considérée comme étant administrative bien qu’elle soit entendue devant un tribunal judiciaire de droit commun, puisqu’il s’agit de procédures administratives entreprises par le gouvernement à l’encontre d’un individu300. Le

système d’aide juridique du Nouveau-Brunswick avait déterminé qu’elle ne pouvait y être admissible puisque les demandes de garde étaient spécifiquement exclues du régime.

En première instance, l’appelante avait formulé une requête en vue d’obtenir « une ordonnance enjoignant au ministre de lui accorder les fonds suffisants pour couvrir les honoraires et débours raisonnables d’un avocat pour la représenter dans l’instance concernant la garde, ou, subsidiairement, prescrivant que le programme d’aide juridique ou

298 Voir notamment la décision de principe Howard c. Établissement de Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.) où le droit d’un détenu d’avoir accès à un avocat pour une audience disciplinaire a été reconnu en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne, l’affaire devant la Cour suprême n’ayant jamais été entendue puisque devenue théorique : [1987] 3 RCS 687. Pour une revue plus complète, voir l’énumération effectuée dans : Patrice Garant, Droit administratif, 7e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais aux pp 741 et 742.

299 Supra note 31. 300 Ibid au para 79.

le procureur général du Nouveau-Brunswick lui fournisse un avocat301 ». Elle invoquait son

droit constitutionnel d’être représentée par un avocat payé par l’État dans cette instance, en raison des conséquences importantes que cette dernière était susceptible d’engendrer. La juge de première instance n’avait pas été en mesure de rendre un jugement concernant cette requête avant l’audience sur la garde des enfants302. Cependant, un avocat avait

accepté de représenter la mère bénévolement aux fins de l’audience et de la requête. Plus d’un an après la formulation de cette requête, la juge de première instance l’avait rejetée303.

En appel, le juge Bastarache, dissident – avec l’appui du juge Ryan – avait exprimé l’opinion que la juge de première instance avait commis une erreur en concluant que l’appelante pouvait se charger de sa propre défense. La Cour suprême résume sa position sur ce point :

[…] [L]e juge Bastarache a exprimé l’opinion que le juge de première instance [TRADUCTION] « a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que Mme G. pouvait se charger de sa propre défense en l’instance sans sacrifier son droit à un procès équitable » (p. 139). À l’appui de cette conclusion, il a indiqué que l’instance était de nature contradictoire, que le tribunal avait examiné la conduite de l’appelante et que les conclusions qu’il prononcerait auraient des conséquences stigmatisantes analogues à celles d’un verdict de culpabilité dans certaines poursuites criminelles. L’appelante était dans le dénuement, elle recevait des prestations d’aide sociale et [TRADUCTION] «ne pass[ait] pas pour très rationnelle » (p.139). Toutes les autres parties étaient représentées par avocat. L’instance était longue et complexe, et les questions en jeu touchaient une corde très sensible. De plus, il importait que le tribunal comprenne bien les points de vue et les explications de l’appelante pour déterminer l’intérêt supérieur des enfants304.

(nos soulignés)

Tous ces éléments permettent de mettre en lumière le sérieux de l’affaire à laquelle était confrontée l’appelante.

La majorité de la Cour suprême, sous la plume du juge en chef Lamer, conclut que le gouvernement avait l’obligation constitutionnelle de fournir un avocat à cette personne puisque, étant à l’origine d’une audience mettant en cause des droits protégés par l’article 7 de la Charte canadienne, l’État se devait de s’assurer que cette audience soit équitable.

301 Ibid au para 6. 302 Ibid au para 8. 303 Ibid au para 10. 304 Ibid au para 38.

La Cour établit que le fait de retirer la garde d’un enfant à un parent restreint le droit de ce dernier à la sécurité de sa personne, puisque ce droit protège à la fois l’intégrité physique et psychologique et peut intervenir dans des instances qui débordent du cadre du droit criminel305. Afin de préciser cette notion d’« intégrité psychologique », la Cour énonce :

[59] Il est manifeste que le droit à la sécurité de la personne ne protège pas l’individu contre les tensions et les angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d’un acte gouvernemental. […]

[60] Pour qu’une restriction de la sécurité de la personne soit établie, il faut donc que l’acte de l’État faisant l’objet de la contestation ait des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique d’une personne. On doit procéder à l’évaluation objective des répercussions de l’ingérence de l’État, en particulier de son incidence sur l’intégrité psychologique d’une personne ayant une sensibilité raisonnable. Il n’est pas nécessaire que l’ingérence de l’État ait entraîné un choc nerveux ou un trouble psychiatrique, mais ses répercussions doivent être plus importantes qu’une tension ou une angoisse ordinaires.

[61] […] Outre l’affliction évidente causée par la perte de la compagnie de l’enfant, l’ingérence directe de l’État dans le lien parent-enfant, par le biais d’une procédure dans laquelle le lien est examiné et contrôlé par l’État, est une intrusion flagrante dans un domaine privé et intime. De plus, les parents sont souvent marqués comme étant « inaptes » quand on leur retire la garde de leurs enfants. Comme la qualité de parent est souvent fondamentale à l’identité personnelle, la honte et l’affliction résultant de la perte de cette qualité est une conséquence particulièrement grave de la conduite de l’État.

La sécurité de la personne, protégée par l’article 7, sera donc restreinte par une « tension psychologique grave causée par l’État306 ». En l’espèce, la Cour conclut que la demande du

gouvernement menaçait de restreindre le droit de l’appelante à la sécurité de sa personne.

Tel que le prévoit l’article 7, une telle violation ne peut survenir qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans les instances concernant la protection des enfants, ces principes visent tant le fond – le retrait de la garde ne peut être effectué que si cela s’avère nécessaire pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant – que la forme – cette

305 Ibid au para 58, faisant référence à R. c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30 à la p 173; Renvoi relatif à l’art. 193

et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel, [1990] 1 RCS 1123 à la p 1177; et Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519 aux pp 587 et 588.

décision doit être prise selon une procédure équitable307. L’appelante s’appuye sur le

second volet; elle remet en question le caractère équitable de la procédure la concernant. La Cour expose avec éloquence les difficultés que serait susceptible de rencontrer un parent placé dans de pareilles circonstances :

[73] Pour que l’audience soit équitable, il faut que le parent ait la possibilité de présenter efficacement sa cause. Lorsque le père ou la mère cherche à conserver la garde, la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant exige une participation parentale efficace à l’audience. […] Si on refuse au parent la possibilité de participer efficacement à l’audience, le juge peut se trouver dans l’impossibilité de déterminer avec précision l’intérêt supérieur de l’enfant. Le parent risque de perdre la garde de l’enfant alors qu’en réalité il aurait peut-être mieux valu pour l’enfant qu’il continue à s’en occuper.

(nos soulignés)

Le droit à une audience équitable est donc un principe de justice fondamentale308. En

l’espèce, la Cour suprême conclut que le droit de « l’appelante à une audience équitable exigeait qu’elle soit représentée par avocat309» en raison de « l’importance des intérêts en

jeu, [de] la complexité de l’instance et [d]es capacités de l’appelante310 ». Il s’agit donc des

mêmes critères qu’en matière criminelle. Sur la question de la complexité, les propos du juge en chef sont encore une fois éloquents :

[79] […] Bien qu’elles soient peut-être de nature plus administrative que les instances criminelles, les instances relatives à la garde des enfants sont réellement des instances contradictoires ayant lieu devant un tribunal. Les parties sont responsables de la préparation et de la présentation de leur cause. Bien que les règles de preuve soient quelque peu assouplies, des questions de preuve compliquées sont fréquemment soulevées. Les parents, en proie à une tension émotive considérable, doivent soumettre des éléments de preuve, contre-interroger des témoins, formuler des objections et présenter des moyens de défense prévus par la loi dans un contexte qui, la plupart du temps, leur est inconnu. Dans la présente affaire, toutes les autres parties étaient représentées par avocat. L’audience devait durer trois jours, et l’avocat du ministre projetait de présenter 15 affidavits, incluant deux rapports d’experts.

307 Ibid au para 70. 308 Ibid au para 100. 309 Ibid au para 75. 310 Ibid.

[80] Dans des instances aussi importantes et complexes, le parent non représenté devra, en général, être très intelligent ou très instruit, posséder d’excellentes capacités de communication ainsi que beaucoup de sang- froid et bien connaître le système judiciaire pour pouvoir présenter efficacement sa cause.

(nos soulignés)

Le juge ajoute, concernant la capacité de l’appelante, que ce critère appelle la possibilité d’une participation à l’audience, ce qui dépasse le seuil de la simple capacité de comprendre et de communiquer311. La juge de première instance aurait donc dû accorder à l’appelante,

à titre de réparation en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne, l’octroi d’un avocat payé par les derniers publics.

Malgré cette conclusion favorable à l’appelante, la Cour prend le soin d’exposer un tempérament important qui met en lumière le caractère plutôt exceptionnel de l’affaire :

[86] Je tiens à souligner que le droit à une audience équitable ne nécessitera pas toujours qu’une personne soit représentée par un avocat lorsque la décision porte sur son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne. […] L’importance et la complexité de l’audience ainsi que les capacités du parent varient d’une affaire à l’autre. La nécessité de la représentation d’un parent par avocat est directement proportionnelle à l’importance et à la complexité de l’instance et inversement proportionnelle aux capacités du parent.

(nos soulignés)

La Cour souligne qu’il est primordial que de telles requêtes soient tranchées avant l’audience, sans quoi elles deviennent sans objet puisque la partie requérante devra nécessairement procéder sans l’aide d’un avocat312.

Cette décision est significative en ce qu’elle étend l’application des principes développés en matière criminelle à d’autres circonstances par le biais de l’article 7 de la Charte canadienne. La Cour suprême développe donc des critères similaires à ceux de Rowbotham, qui sont désormais applicables aux instances de garde d’enfants. Elle rappelle toutefois que ses enseignements se limitent à la protection des enfants et qu’elle ne considère ni opportun, ni nécessaire d’aborder d’autres types de causes313. De plus, la Cour fait preuve de prudence

311 Ibid au para 83. 312 Ibid au para 46. 313 Ibid au para 104.

et énonce qu’« il ne faut pas interpréter l’art. 7 comme prévoyant un droit absolu à ces services dans toutes les audiences où la vie, la liberté et la sécurité d’une personne sont en jeu et que la personne n’a pas les moyens de se payer un avocat314 ».

Depuis cette décision de principe, les tribunaux ont eu l’opportunité de se pencher sur la question à quelques occasions, surtout dans le cadre de demandes de garde d’enfants315.

Dans d’autre types d’affaires administratives, l’octroi d’un conseiller juridique n’est pas survenu à de nombreuses reprises. En 2005, le Tribunal administratif du Québec – dans F.H. c. Québec316 – a refusé la demande d’un requérant de se faire octroyer un avocat pour

l’audience alors qu’il contestait le retrait de ses prestations d’aide sociale. Sa demande d’aide juridique avait préalablement été refusée317. Le Tribunal conclut que la sécurité du

requérant n’est pas compromise de façon grave, sérieuse et profonde318 et que la

complexité de l’affaire ne justifie pas l’assistance d’un avocat319. Il n’est donc pas acquis

que ce droit puisse être étendu à d’autres types d’affaires administratives.

Malgré tout, cette décision établit que le droit à une audience équitable est un principe de justice fondamentale commandant le droit à l’assistance d’un avocat dans certaines situations précises et ponctuelles. L’arrêt G.(J.) est une représentation éloquente du pouvoir de transformation d’une décision judiciaire. Bien que la Cour suprême ait délibérément choisi de ne pas ordonner au gouvernement néo-brunswickois de revoir ses politiques d’allocation d’aide juridique320, il s’agit précisément de l’effet qu’a eu cette décision. Les

parents visés par une ordonnance de garde de cette nature sont désormais admissibles à l’aide juridique de cette province. Toutefois, cette approche au cas par cas ne semble pas idéale. L’auteur Lorne Sossin la déplore :

While these scattershot efforts have been important, they demonstrate the flaws of piecemeal adjudication in the context of access to justice. Providing funding to one class of family law litigants in G.(J.), for example, caused unintended consequences in other sectors of legal aid funding321.

314 Emphase dans le texte original. Ibid au para 107.

315 Voir notamment Province du Nouveau-Brunswick c. A. et B., 2012 NBCA 45; J.R. v. New Brunswick (Minister

of Social Development), 2010 NCBA 81; New Brunswick (Minister of Social Development) v. T.S., 2009 NBCA

67.

316 F.H. c. Québec, supra note 207. 317 Ibid au para 5.

318 Ibid au para 37. 319 Ibid au para 39.

320 G.(J.), supra note 31 aux paras 92 et 93. 321 Sossin, supra note 217 à la p 738.

Nous reviendrons plus en détails sur les éléments que nous considérons problématique dans cette approche contextuelle322.

Bien que l’arrêt G.(J.) n’ait reconnu le droit constitutionnel à l’aide juridique que dans le cas précis de parents confrontés à des demandes de retrait de la garde par le gouvernement – et encore, lorsque certaines conditions strictes sont rencontrées – cet arrêt donne à penser que les principes développés pourraient être transposés en matière privée. Toutefois, le chemin vers cette reconnaissance reste encore à tracer.