• Aucun résultat trouvé

Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité est protégé par l’article 7 de la Charte canadienne en ces termes :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne

peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Afin de prouver une atteinte à cet article, il est nécessaire d’établir une atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité; un lien de causalité suffisant entre la mesure étatique et le préjudice subi416; et une atteinte à un principe de justice fondamentale417.

412 (1) Effectuer une recherche historique pour déterminer « si le pouvoir ou la compétence correspondent au pouvoir ou à la compétence qu’exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération »; (2) Se demander si la fonction est judiciaire dans son cadre institutionnel; et (3) examiner la « fonction globale du tribunal afin d’évaluer dans tout son contexte institutionnel la fonction attaquée ». Voir ibid au para 89, faisant référence à Renvoi sur la Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714 aux pp 734 et 735 et MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725 au para 12.

413 Trial Lawyers, supra note 222 au para 46. 414 Vayda, supra note 396 à la p 215. 415 Trial Lawyers, supra note 222 au para 48.

416 Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 RCS 1101 aux para 75 et 76 [Bedford]. 417 Brun, Tremblay et Brouillet, supra note 94 au para XII-6.18. Voir également Canada (P.G.) c. PHS Comm.

Serv. Soc., 2011 CSC 44, [2011] 3 RCS 134 au para 84 et Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5,

D’emblée, rappelons que la Cour suprême a octroyé le droit à un avocat payé par l’État à une requérante – menacée de se voir retirer la garde de ses enfants par le gouvernement – dans les circonstances bien particulières de l’arrêt G.(J.). Elle a clairement mentionné que « le gouvernement n’est nullement tenu d’octroyer l’aide juridique à tout parent qui n’a pas les moyens de retenir les services d’un avocat418 ». Il ne s’agit pas non plus d’un droit

absolu419 et la Cour ne s’est prononcée que sur les circonstances spécifiques de l’espèce420.

Malgré cette mise en garde, nous exposerons successivement les critères développés par l’arrêt G.(J.) et tenterons de déterminer si leur application pourrait être étendue à des matières civiles entre deux parties privées.

Dans le cas particulier où un individu invoque l’article 7 afin d’obtenir des conseils juridiques financés par le gouvernement, il devra établir trois éléments, soit :

(1) Que ses droits protégés par l’article 7 sont menacés;

(2) Que l’obtention de conseils juridiques est nécessaire à une audition équitable; et (3) Que l’audition a été engendrée par une action gouvernementale421.

En premier lieu, une atteinte à un droit protégé par l’article 7 doit être établie. Dans le cas qui nous occupe, le droit particulier qui a été appliqué par la Cour suprême dans l’arrêt G.(J.) est le droit à la sécurité de sa personne. Ce droit protège à la fois l’intégrité physique et psychologique422. L’atteinte à l’intégrité psychologique nécessite une tension psychologique

grave423. Dans le cas particulier où le gouvernement formule une demande afin de retirer à

un parent la garde de ses enfants, le droit à la sécurité de celui-ci est compromis, ce qui semble être une évidence424.

La professeure Lucie Lamarche argue que cette notion de sécurité devrait être entendue dans son sens large :

418 G.(J.), supra note 31 au para 100. 419 Ibid au para 107.

420 Ibid au para 75.

421 Arvay, supra note 397 à la p 37. 422 G.(J.), supra note 31 au para 58.

423 Ibid au paras 59 et 60. Sur les notions d’ « intégrité psychologique » et de « tension psychologique », voir la section sur l’évolution du droit à l’avocat en matière administrative à la p 67, ci-dessus.

La protection de la sécurité humaine n’est donc pas strictement une question de « droits économiques ». Elle est avant tout l’évocation d’une condition humaine digne qui exige la satisfaction des besoins de base. C’est pourquoi, dans le contexte de l’article 7 de la Charte canadienne, il faudrait prendre garde de réduire le débat relatif à la protection de la sécurité de la personne à la seule protection des droits économiques et sociaux425.

(nos soulignés)

De plus, le droit à la sécurité n’a de sens que s’il a une portée préventive, étant entendu que l’atteinte au droit doit avoir un degré de certitude qui s’approche de la probabilité426. Ce

faisant, le droit à la sécurité devrait être compris comme étant un niveau de qualité de vie suffisamment élevé pour permettre la réalisation et l’atteinte d’une dignité humaine, et qui dépasse de simples considérations ponctuelles.

À notre sens, l’état de vulnérabilité dans lequel sont placées les personnes qui ne peuvent obtenir de l’assistance dans leur navigation au sein du système judiciaire – et qui en sont exclues de ce fait – pourrait constituer une atteinte au droit à la sécurité de sa personne, considérant les conséquences que ce problème est susceptible d’engendrer. Le simple fait d’être partie à une action sans le bénéfice de conseils juridiques occasionne, pour la majorité, un stress psychologique important, tel que nous l’avons exposé précédemment427.

Cette conception ne tiendrait pas uniquement compte du type de cause, mais prendrait aussi en considération la situation particulière de la personne, permettant possiblement d’élargir le droit à l’avocat à d’autres types d’instances civiles. Le fait d’être partie à une instance civile sans assistance juridique – surtout lorsque l’autre partie dispose de ressources plus grandes – pourrait constituer en soi une atteinte au droit à la sécurité d’un justiciable, dépendamment des particularités de chaque affaire.

En deuxième lieu, il est nécessaire de prouver une atteinte aux principes de justice fondamentale. En l’espèce, le principe de justice fondamentale concerné est l’existence d’une audition équitable. Ainsi, il concerne à la fois le fond et la procédure428. Dans le cas

précis de l’arrêt G.(J.), « [l]’État ne peut retirer au parent la garde de son enfant que si cela

425 Lamarche, supra note 100 au para 27.

426 Brun, Tremblay et Brouillet, supra note 94 au para XII-6.33, faisant référence à Singh c. M.E.I., [1985] 1 R.C.S. 177 et Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 RCS. 441.

427 Voir la section « Le rôle essentiel des avocats au sein d’un système contradictoire » à la p 32, ci-dessus. 428 G.(J.), supra note 31 au para 70.

s’avère nécessaire pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, pourvu que cette décision soit prise selon une procédure équitable429 ». Or, pour que l’audience soit équitable, l’auteur

Joseph Arvay réitère que le parent doit avoir la possibilité de présenter efficacement sa cause :

Once a court has determined that the interests protected by section 7 are threatened, it must then determine whether the principles of fundamental justice have been respected. At a minimum, fundamental justice includes a requirement of procedural fairness. Procedural fairness requires that a party have an adequate opportunity of knowing the case to be met, of answering it, and putting forward the party’s own position.

In cases dealing with complex legal issues, the presence of counsel will be necessary to achieve the requirements of procedural fairness. For example, the ability to test evidence through skilled cross-examination is an essential aspect of a full and fair hearing, and a skill which the ordinary citizen does not possess430.

(nos soulignés)

Il s’agit donc de déterminer si la présence d’un avocat sera nécessaire à cette fin. Les critères pour la détermination de cette nécessité ont été posés par l’arrêt G.(J.), soit l’importance des intérêts en jeu, la complexité de l’affaire et les capacités du justiciable431.

Convenons que dans beaucoup de dossiers judiciaires, même lorsque considérés comme simples aux yeux d’un juriste, la complexité peut sembler insurmontable pour un profane. Il sera donc nécessaire de fournir un conseiller juridique à une partie lorsque sa participation ne pourra être entière sans celui-ci, en raison de la grande considération qui doit être accordée à une pleine participation de toutes les parties. Nous l’avons vu précédemment, les parties non représentées ont plus de chances de perdre. La participation d’un conseiller juridique serait essentielle dans plusieurs cas afin de rétablir un équilibre.

En troisième et dernier lieu, pour que l’article 7 trouve application, l’audition doit être engendrée par une action gouvernementale. Dans l’arrêt G.(J.), la Cour suprême établit également qu’en matière d’interactions avec le système de justice, l’objet de la protection de l’article 7 est « le comportement de l’État tant qu’il fait observer et appliquer la loi, lorsque ce comportement prive un individu de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa

429 Ibid.

430 Arvay, supra note 397 à la p 38. 431 G.(J.), supra note 31 au para 75.

personne432 ». L’article 7 peut donc intervenir « pour imposer des normes minimales de

justice chaque fois que le justiciable est affecté par l'intervention étatique au-delà de ce qui doit être considéré comme purement économique ou financier433 ». Nous avons abordé

précédemment la question de l’intervention étatique434. Nous considérons que le défaut du

gouvernement de mettre en place un système d’aide juridique plus étendu constitue un acte gouvernemental donnant ouverture à l’application de l’article 7 de la Charte canadienne. Cette position est aussi défendue par la professeure Lucie Lamarche :

Il doit être reconnu que l’État “social” canadien, par ses actions et ses omissions, pourrait s’ingérer activement, sinon abusivement, dans la vie privée des citoyens et des citoyennes au risque de porter atteinte à leur sécurité et à leur liberté. Il faut donc distinguer, dans cette proposition du concept d’ingérence étatique active, l’identification des besoins des citoyens et des citoyennes de celle des solutions proposées par l’État. Ainsi, par exemple, il y aura une ingérence de l’État équivalant à une violation du droit à la sécurité si en suspendant ou en modifiant le contenu ou le mode de livraison d’un programme gouvernemental, tel l’aide juridique, les citoyens se trouvent en conséquence mis en situation d’insécurité physique et psychologique. A cet égard, il conviendra tout autant d’envisager l’insécurité psychologique réelle qu’appréhendée. Il y aura aussi ingérence de l’État (par omission) lorsque ce dernier rend le contrôle administratif ou judiciaire improbable ou inaccessible aux citoyens.

[...]

On doit accepter l’idée que l’insuffisance, l’absence ou la transformation d’un programme, d’une politique ou d’une loi destinée directement ou indirectement à la mise en œuvre de l’essentiel des droits nécessaires à la sécurité physique et psychologique de la personne peut constituer une atteinte aux règles de justice fondamentale en portant atteinte à la sécurité physique et psychologique des individus particulièrement vulnérables. L’évolution des programmes et législations en matière d’aide juridique révèle un tel souci au Canada. Comme pour toute autre loi ou intervention, l’État a cependant l’obligation de veiller à ce que les régimes d’aide juridique atteignent réellement leurs objectifs, en vue de la protection des dimensions les plus essentielles de chaque droit.

[...]

432 Ibid au para 65.

433 Brun, Tremblay et Brouillet, supra note 94 au para XII-6.20, faisant référence à Blencoe c. Colombie-

Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, au sujet des procédures suivies par une

commission des droits.

434 Voir l’argumentaire développé dans la section sur l’absence de reconnaissance du droit à la représentation juridique en matière civile à la p 74.

C’est plutôt la reconnaissance même de la vulnérabilité des citoyens privés des services de l’aide juridique par les législations pertinentes qu’il faut ici mettre en évidence435.

(nos soulignés)

Dans le cadre du test de l’article 7, il est donc nécessaire d’établir un lien de causalité suffisant entre la mesure étatique et le préjudice subi436. Le critère adopté est celui du « lien

de causalité suffisant437 ». Il ne s’agit pas que la mesure reprochée à l’État soit l’unique ou

la principale cause du préjudice causé438. Par définition, les justiciables qui réclament le

droit d’avoir accès un conseiller juridique fourni par l’État sont exclus du régime d’aide juridique mis en place par le gouvernement. Le préjudice causé par le manque d’accès d’un justiciable indigent à un conseiller juridique est donc au moins en partie causé par l’insuffisance actuelle du régime d’aide juridique mis en place par l’État. Ce critère serait donc facilement rencontré.

En résumé, afin d’évaluer le droit des justiciables d’être représentés par un avocat lorsqu’ils n’en ont pas les moyens, les critères présentés dans la figure suivante devront être considérés.

435 Lamarche, supra note 100 aux para 37, 50 et 52. 436 Bedford, supra note 416 aux para 75 et 76. 437 Ibid au para 75.

Critères à remplir

Le droit à la sécurité est menacé : Atteinte à l’intégrité psychologique, selon le type de cause ou les difficultés rencontrées par la personne concernée.

L’obtention de conseils juridiques est nécessaire à une audition équitable, selon : - L’importance des intérêts en jeu - La complexité de l’affaire - Les capacités du justiciable

Comme pour toute atteinte alléguée à un droit protégé par la Charte canadienne, il est nécessaire d’analyser une possible justification de la violation selon les critères de l’article premier avant d’examiner la réparation appropriée. Mentionnons qu’il n’est pas facile de justifier une atteinte à l’article 7 par l’article premier de la Charte canadienne439. Ce sera

possible « seulement dans les circonstances qui résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d’hostilités, les épidémies et ainsi de suite440 ». La justification de cette situation exceptionnelle a été exposée dans l’arrêt G.(J.) :

Deux raisons expliquent ceci. D’abord, les intérêts protégés par l’art. 7 — la vie, la liberté et la sécurité de la personne — revêtent une grande importance et généralement, des exigences sociales concurrentes ne pourront prendre le pas sur eux. Ensuite, le non-respect des principes de justice fondamentale — et, en particulier, du droit à une audience équitable — sera rarement reconnu comme une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique441.

Dans cette décision, la Cour suprême conclut que des impératifs financiers ne sont pas suffisants pour justifier une atteinte au droit à la sécurité de l’appelante et à son droit à une audience juste et équitable442. Bien que la reconnaissance du droit à la représentation

juridique de manière plus générale emporte des conséquences financières à plus grande échelle, nous considérons que le même principe devrait s’appliquer.

Ainsi, l’article 7 de la Charte canadienne pourrait octroyer une protection du droit à l’avocat dans les cas où le droit à la sécurité psychologique des justiciables est menacé par l’absence de représentation juridique, soit en raison des enjeux en cause – par exemple des affaires mettant en cause le droit de la famille, de l’emploi, du logement, le droit à des prestations d’aide sociale ou autre – ou soit en raison des difficultés rencontrées par la personne.

439 G.(J.), supra note 31 au para 99.

440 Renvoi sur la Motor Vehicle Act de la Colombie-Britannique, [1985] 2 RCS 486 à la p 518. 441 G.(J.), supra note 31 au para 99.